VI.
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J-14.
Ce matin-là, Annie monopolisa le salon entier. Elle étala les différentes photos qu'elle avait récupérées chez sa grand-mère sur la table basse, posa le répertoire de Madeleine à côté d'elle et sortit son ordinateur d'un tiroir tout en ouvrant les pages jaunes. Il ne lui manquait que le journal du lycée de garçon. Mais il n'était pas dans les cartons qu'elle avait fouillés de fond en comble. La théière qu'elle avait mise à chauffer émit un bruit sourd et elle se dépêcha de la retirer du feu. Malgré ses vingt ans, Annie gardait l'ancienne théière de sa mère. C'était comme un souvenir d'elle alors qu'elle faisait le tour du monde. La demoiselle se versa une tasse d'eau chaude et plongea un sachet de thé de Noël à l'intérieur. La fragrance sucrée de la cannelle se rependit dans la pièce, couvrant l'odeur des bougies qui brûlaient sur les rebords de fenêtres. Disposant quelques biscuits sur une assiette, elle se rendit dans le salon.
Elle reprit sa place derrière ses documents et fouilla longuement avant de retrouver une photo de Charles et Madeleine avant qu'il ne parte au Vietnam. Les cheveux de l'homme étaient d'un brun si foncé qu'on aurait pu croire qu'ils étaient noirs. Des billes caramel fixaient l'objectif tandis que ses mains tenaient fermement les menottes de Madeleine. A côté de lui, sa grand-mère paraissait toute petite. Annie ne put s'empêcher de sourire devant le sourire rayonnant qui s'affichait sur le visage de son aïeule. La demoiselle passa délicatement sa main sur la photo, dessinant les contours des deux visages qui y figuraient. Elle remit la photographie à sa place et feuilleta le calepin taché d'encre noir. Elle trouva le numéro de Fabienne, une amie de sa grand-mère. Elle composa rapidement le numéro sur son téléphone portable avant de coller l'appareil à son oreille.
- Bonjour Fabienne, je suis Annie, la petite-fille de Madeleine.
- Elle rit. Non ce n'est pas pour ça que je vous appelle, même si ça s'en approche énormément.
- J'aimerai faire une surprise à mamie ce Noël. Du moins, j'espère que s'en sera une. Il faudrait que j'apprenne des choses sur l'ex petit-ami de mamie, Charles.
- Vous pouvez m'aider ? Vraiment ? Merci.
- Et bien, je suis à la maison toute la journée, passez quand vous aurez le temps. Encore merci.
- Au revoir.
Annie laissa tomber son cellulaire sur le canapé et leva les bras en l'air en faisant une grimace. Fabienne saurait lui en dire énormément sur Charles, étant donné qu'elle l'avait côtoyé. Elle se sentait plus capable d'y arriver.
Des flocons se mirent à tomber au moment où la demoiselle se laissa aller dans le canapé. C'était une bien bonne journée. C'est alors que les toits voisins se recouvraient d'un manteau blanc qu'un frisson parcourue le corps d'Annie. Maintenant qu'il neigeait, elle avait froid. Elle attrapa un plaid et s'enroula dedans, cherchant de la chaleur dans ce rectangle de tissu. Son thé dans les mains, elle regardait, par la fenêtre, les flocons qui dégringolaient du ciel, comme s'ils n'y étaient pas assez bien. Elle aimait bien la neige, ce n'était pas ça le problème, mais c'était le froid permanent auquel elle ne s'habituait pas. Elle ferma les paupières -une migraine menaçait de lui marteler la tête- lorsque la sonnette de son appartement retentit.
Rangeant ses documents dans une pochette en carton, Annie enleva le plaid de sur ses épaules. Elle partit ouvrir et découvrit Fabienne, des sacs de courses dans les mains. Elle la laissa entrer et lui prit sa veste qu'elle accrocha sur le porte manteau de l'entrée. La vieille dame déposa ses sacs contre une chaise et se dirigea vers le salon.
- Vous voulez un thé ? un café ?
- Je prendrais bien un café, s'il te plait.
Pendant que la demoiselle préparait le café, Fabienne découvrit la pochette remplie de feuilles et de photos en tous genres. Elle en sortit une et ne put se retenir d'émettre un petit rire amusé. Annie vint la rejoindre, la tasse en main. Elle posa le sucre et le lait à côté et ramena une assiette de biscuits.
- Cette photo je la connais, c'est même moi qui l'ai prise. Ils étaient rayonnants ce jour-là, quoique tristes. Leur séparation m'a fait du mal, je ne voyais pas Madeleine sans Charles et vice versa.
- Ils étaient si complémentaires ?
- Ho oui. Ils ne pouvaient vivre l'un sans l'autre, du moins jusqu'au jour où il a du s'en aller au Vietnam.
- Savez-vous comment il se porte ? Où est-ce qu'il réside ?
- Il habitait deux rues plus loin lorsqu'il était jeune, ses parents gagnaient bien leurs vies et ils avaient une grande maison avec jardin dans un quartier riche. Maintenant que ses parents sont morts, je ne sais pas s'il a reprit la maison ou s'il l'a vendu. Et puis, faudrait-il déjà qu'il soit vivant. Tu pourrais peut-être aller voir les nouveaux habitants de la maison, s'il s'agit de Charles, tu auras gagné plusieurs jours de recherche. Autrement les nouveaux propriétaires pourront peut-être te donner des renseignements.
- J'irai voir, en effet, ça peut être utile. Merci beaucoup Fabienne, je n'y serais pas arrivée sans vous.
La vieille dame lui sourit et tapota doucement sa main. Elle se leva, suivie de près par Annie, qui l'aida à enfiler son manteau et à reprendre ses sachets. Elle l'accompagna jusqu'à la porte avant de la saluer de la main et de lui souhaiter une bonne journée. La demoiselle rangea les tasses dans le lave-vaisselle, nettoya la table basse des miettes qu'avaient laissées les petits gâteaux et partit se rasseoir sur le divan. Elle savait ce qu'il lui restait à faire dans la semaine.