Vieil excentrique.

Christophe Hulé

Ce vieil excentrique aux cheveux filasse, qui nourrit les pigeons et semble converser avec eux.

Ça amuse ou ça effraie les passants, c'est selon. 

Les mômes gardent leur distance, mais sont un peu fascinés quand même, pas de jambe de bois ou de bandeau sur l'œil, mais ils en rêveront cette nuit.

Un vieux hibou, comme ces personnages de théâtre qui improvisent à la lueur des chandelles, dans quelque bois ou parc de château.

Sans doute inoffensif, il aura échappé à l'asile, n'étant un danger ni pour les autres, ni pour lui-même.

Les bancs en face de lui sont toujours encombrés, comme au spectacle, surtout à la pause déjeuner, des cadres en costume-cravate irréprochables, comme pour une inspection militaire, des ados blasés, comme ils le sont toujours, de jeunes mères à landeaux, des besogneux, des oisifs, des sans abris, des sans repères, et puis toute la faune des faubourgs qui fait son business.

Presque trente ans qu'il sévit sur le même banc, à part quelques touristes, personne ne s'y assoit.

D'ailleurs, quelque soit leur nationalité, le vieux a vite fait de marquer son territoire, oui, au sens euh … propre, ça marche à tous les coups.

Les Chinoises et leurs sacs de courses d'enseignes prestigieuses, ou les Américains sûrs de leur prestige, ou les Italiens qui s'expriment comme si un drame venait de se produire, enfin tous les clichés y passent, et le vieux s'en fout bien.

De quoi il vit, a-t'il eu une enfance, un métier, des projets, aucun des spectateurs ne se pose ces questions.

On se divertit sans doute à peu de frais, chacun ira retrouver sa routine.

Pourtant y a pas grand-chose à voir, comme un savant fou aux yeux bleus et avec cet air tellement sérieux.

Et cette armée de pigeons qui ne semble pas le craindre mais plutôt se bousculer pour avoir la préséance.

Ce jour est à marquer d'une croix blanche, comme sur les plages du Débarquement.

Le vieux n'est pas venu.

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