Vincennes ou Dérèglement de comptes, les 122 miroirs
koss-ultane
Vincennes ou Dérèglement de comptes, les cent-vingt-deux miroirs
En même temps, avec un corps qui comprend un cerveau, trois bras droits, un électron libre et six petites mains, à part une resucée de “l’île du docteur Moreau”, je ne vois pas bien à quoi on aurait pu s’attendre.
Le temps du silence était venu. Les fanfaronnades s’étranglaient maintenant dans la gorge des jeunes cons devant les préparatifs minutieux des anciens et leurs faces de cire. Un plan simplifié avait suffit à savoir comment se rendre sur place mais une carte détaillée s’étalait désormais sur la grande table de la salle à manger du beau-frère du chef que l’on avait envoyé faire les courses sous prétexte qu’il n’y avait plus de pistaches. Le pavillon de la banlieue nord-ouest regorgeait de clichés sur les beaufs et leur penchant pour la norme. Des nains de jardins gardaient l’entrée et polluaient la pelouse en même temps que le décor.
_ Je vous ai réuni ici pour être moins détectables, entama le chef. Vous vous êtes bien tous arrangés un alibi pour après-demain, on est bien d’accord ?! Rien d’extravagant, que de l’ordinaire, comme le dit maître Taillanbier “rien n’est moins attaquable que la routine”, on s’est bien compris ? Bon. Si je vous ai demandé de prendre toutes ces précautions c’est parce qu’il va y avoir chiffon. On va envoyer un message à tous les autres gangs en curetant la seule verrue de notre palmarès. Cette fois-ci, on n’y va pas à moins de quatre sulfateuses et trois de lance-cachous.
Tous ces hommes regardaient leur cerveau en se demandant ce qu’il pouvait bien avoir dans le ciboulot. Il marqua un temps, se frotta la lèvre inférieure de son index droit et lâcha une bombe en plein milieu du salon.
_ On a retrouvé Farrès et ses frères, plus la bande à Gilot avec lesquels y sont toujours collés.
Les assis se levèrent et les debout s’appuyèrent au murs et chambranles.
_ La bande à Farrès, murmura “Zig le fardé” d’une voix blanche, seul demeuré attablé, les yeux dans le vague.
Lui s’était adossé sous l’effet de l’annonce comme si on lui avait dit qu’il y avait quelqu’un dans Casimir. Ce surnom du “fardé” venait du fait qu’il était d’une extrême pâleur, même pour un albinos. Ses cils blancs démesurés battirent l’air une série de fois avant de recouvrer tout son lucide. De son vrai nom Helmut Ziglauer, c’était le plus ancien bras droit de son chef et orateur de l’instant, “Frunch la Gencive”. Personne n’osait demander l’origine, et beaucoup des plus anciens n’en savaient plus la raison, de ce surnom qui collait aux tatouages courant le long des membres puissants de cet ancien légionnaire cassé, rentré dans la normalité sociétale, et leur servant à tous de phare dans la nuit. Ses frères étaient en cabane, sa mère y était morte et son père y avait loué un cinq mètres carrés pour vingt piges à l’issue d’un braquage qui avait tourné à la zizanie, puis à l’étal de boucher, lorsque son équipe et lui s’étaient retrouvés à braquer le crédit du Nord de La Tranche-sur-mer en même temps que “Cil la Taraude” et sa bande de Nobel consanguins. On n’avait pas voulu s’entendre à chaud sur le partage alors ce furent refroidis que beaucoup des deux équipages ressortirent de la succursale tenant plus du showroom pour pompes funèbres que de la vitrine à prêts à taux préférentiels. Le Dab de “Frunch” avait prit une balle dans le cou qui lui avait coupé la chique mais pas déchiré le bulletin de naissance. Sous les yeux médusés des clients et des employés de banque, les bandes rivales s’étaient d’abord braquées puis admonestées et, enfin, expédiées en enfer sous un déluge fers et feux et noms volatils. Les juges et jurés avaient été cléments avec les rescapés, deux sur sept du côté “Cil la Taraude” dont lui-même plus un de ses frères qui était en plus un cousin ou son oncle, et trois sur cinq du côté de la bande à “Papa Frunch”, Gino “l’ergot”, un simili cousin, et leur pilote qui les espérait dehors. Les flingueurs rescapés des deux bords ramassèrent dix piges et le chauffeur huit plus une prune pour stationnement gênant. En effet, la plèbe et les professionnels de la sentence furent sensibles au fait que la fusillade n’avait blessé aucun non professionnel de la gâchette et débarrassé la société, et ses cellules, de sept crétins dangereux et potentiellement fiers de l’être. Les dix piges de rab que fit papa “Frunch” étaient dues à une mise au point avec un co-détenu trop câlin retrouvé la tête encastrée et à demi écrasée, entre des barreaux que l’on pensait inaccessibles, et le cou tout tirebouchonné à sa suite. A tel point que les “ramasse-viande” l’extirpèrent en deux fois de sa cellule, c’est dire. Que voulez-vous, en prison, quand on ne peut plus dire non. Comme un signe du destin, le père, à peine rendu à la vie civile, s’était tué en donnant un coup de main à la réparation collective d’un fauteuil roulant autonome, autrement dit une chaise électrique. Comme quoi rendre service est un métier, le tertiaire à encore de belles années d’expansion devant lui. Bref, toute la bande de son digne héritier, “Frunch la Gencive”, était rassemblée quarante-huit heures avant l’expédition punitive de la décennie et probablement comme on n’en avait encore jamais connue sous le règne de la cinquième.
Cette supputation s’avéra vrai au-delà de toutes leurs espérances. Hélas !
Cela allait être les étrennes de la rancune, la Saint-Barthélemy de la note à payer, le solde de tout conte à propos du romantisme voyou. “La Gencive” était connu pour sa prudence et la préparation minutieuse de ses interventions dans le monde de la finance ou de la bijouterie de luxe. Il avait des rituels auxquels il ne dérogeait jamais : se réunir dans un endroit nouveau et à l’abri des regards deux jours avant de passer à l’action, bétonner des alibis banaux pour tous les membres de son gang, faire un ultime repérage déguisé en vieille à chapeau à larges bords la veille du coup et embrasser, et faire embrasser, la médaille de Santo-Gaspare del Bufalo à tous ses mecs juste avant de défourailler sous prétexte que, enfant souffreteux, le boss avait été sauvé par de nombreuses transfusions de raisiné et le cul béni médaillé, fondateur de l’institut du “Précieux Sang”. Sans commentaires. Mais aujourd’hui, il était pleinement conscient que l’originalité de l’objectif faisait que le repérage, même déguisé en lampadaire, était exclu. Ce n’était ni des banquiers ni des convoyeurs en face mais des particuliers bien particuliers quant à leur savoir faire en matière de dessoudures à la chaîne et la volée. Les frères Farrès and Co avaient au moins vingt refroidissements homologués à leur actif dont celui, encore tout frais, de Tancrède Corso dit “la Tire-lire” parce qu’il travaillait ces dames par là où ça les chatouille et poinçonnait ces messieurs par le sommet du crâne avec masse et burin. Un style. Une vidéo de son exécution tournait sur le net dans la rubrique “fake snuff movie”. On n’y voyait que des silhouettes en ombres chinoises mais le dialogue était cristallin :
_ T’as mordu la ligne une fois de trop, “la Tire-lire”, disait un des Farrès parfaitement audible.
_ Qu’est-ce que tu veux, j’ai le pied grec, répondait le sursitaire avant de se faire suriner la nuque, la langue tirée déraisonnablement loin de la bouche parce que fourrée à la baïonnette.
La lourde filiation de “Frunch la Gencive” l’avait protégé pendant ses deux années de détention, tombé qu’il fut pour avoir hébergé un fuyard de ses amis. Ce qui renforça encore son aura de forçat auprès des autres malfrats. Beaucoup étaient venus lui proposer leurs services. Un seul était devenu un homme à lui, et ce dès sa relaxe, c’était Larry Ost, Larry Peter Ost dit “le Globeur”. Aucune naïveté galopante ou amour irraisonné de la géographie mondiale là-dedans. Il était simplement de notoriété publique, depuis son procès, qu’il avait un faible pour les humeurs vitrées avalées toutes rondes. Petit déjà, dans son village du comté de Klimt, il crevait les yeux des chats et se léchait les doigts jusqu’à plus soif. A chaque nouvelle proposition, “Frunch la Gencive” faisait la même réponse aux demandeurs d’emploi qui venait le trouver à la promenade : “impressionne-moi”. Beaucoup se retrouvèrent au mitard ou à l’infirmerie voire sous cellophane pour les premiers de cordée. Larry P. Ost ne répondit rien, eut un petit sourire en coin et disparut de la vie de “la Gencive” pour quelques heures seulement. Le lendemain, les gardiens qui distribuèrent le petit-déjeuner devinrent fous en découvrant la grappe humaine, chattertonée à l’excès et bâillonnée, agenouillée au milieu de sa cellule. Larry avait gobé les globes oculaires de ses cinq co-détenus. “Frunch la Gencive” se dit qu’il ne pouvait pas passer à côté d’un talent pareil même si le Real Madrid ou un gouvernement d’ouverture étaient sur le point de le recruter. Jean Fiunch dit “Frunch la Gencive”, “Frunch” parce que, petit, il n’arrivait pas à prononcer les “i”, eut alors l’idée de l’enrôler aux cuisines. “Avec moi les témoins oculaires ont du souci à se faire”, souffla “le Globeur” à son futur patron entre deux portions de pudding vaseux. “La Gencive” s’était laissé impressionner par tant d’inventivité et de capacité de succion et n’avait jamais eu à le regretter. Un temps soupçonné par les autorités compétentes, fallait-il le croire ?, et malgré les témoignages concordants mais en braille de ses cinq co-détenus unanimes, Larry Ost ne fut pas inquiété pour cet… “épiphénomène regrettable”, dixit l’administration pénitentiaire. En effet, les dix globes oculaires manquants furent retrouvés par paire dépareillée dans les cinq estomacs des apprentis cannes blanches. Les sucs gastriques ayant trop dégradés les objets du délice, on ne put établir formellement qui avait sucé qui ou quoi. Après tout, n’est-ce pas là le secret des soirées réussies ? “Le Globeur” se défendit en disant qu’il les avait mis en pack afin de sauver ses yeux, en infériorité numérique qu’il était et sans possibilité d’échapper à cette frénésie aussi effroyable qu’incompréhensible. “Je préfère les oeufs dorénavant, votre honneur”, témoigna-t-il aux côtés de son tout nouvel avocat, prêté par “la Gencive”, maître Taillanbier, un mètre quarante-huit et quarante-quatre kilogrammes trois cents de hargne pure, qu’il avait baptisé son “avocat-crevette”. Dès lors, Larry Ost dit “le Globeur” fut le numéro trois incontestable du plus efficace gang de braqueurs du nord de la Loire. Zig et lui, passés de gens de peu à chiens de guerre, étaient la paire de mâchoires que n’importe quel carnassier de la création enviait légitimement à “Frunch la Gencive”.
Pour l’anecdote, ils n’étaient plus que deux, avec “Zig le Fardé”, à savoir que ce surnom de “la Gencive” lui était resté de son premier fait d’arme non répertorié dans son casier judiciaire. Un soir ordinaire du début des années quatre-vingt, il avait plombé d’une dragée derrière l’oreille un homme en train de violer une jeune femme sur le capot d’une voiture en plein bois de Cartignies. Zig et lui, légalement censés être ailleurs, avaient aussitôt abandonné la demoiselle à son sort de rescapée et disparurent dans la nuit, heureux d’avoir fait quelque chose d’utile pour la société pour la première et sans doute unique fois de leurs existences. Ce ne fut que le lendemain qu’ils lurent dans “La Montée des Sambre”, la feuille de chou locale, qu’il avait abattu l’agent Cive, Jacques Cive, alors en plein coït marital. Le nom plus la boulette, un fou rire comme on en a qu’un dans une vie, les terrassèrent pendant de longues minutes. Le jour de la mise en bière, avant de changer définitivement de région, ils envoyèrent sur leur argent de poche trois boites de dentifrice contre la gingivite à la jeune veuve éplorée. Les “il a pas fait un pli, tu l’as fait capot” fleurirent entre eux pendant de longues années de complicité.
Le gang Fiunch comptait aussi Olivier Sarmois et Léo Bracq dits “Riton la Chignole” et “Dédé le Derviche” à cause de leurs carrières parallèles, et souvent superposées ou contiguës, de marteaux-pilons dans plus de deux-mil-cinq-cents pornos polono-ukrainiens à cheval sur la frontière, les années quatre-vingt-dix et deux mil et des tas de trucs dont le règne animal a encore honte aujourd’hui. “La Chignole” était un as du poinçon, toujours utile pour effacer en milieu achalandé, et grand “contrarieur” de serrures devant l’éternel, pendant que “le Derviche” excellait au couteau-papillon et à la conduite à haute vitesse sur tous types de parcours et véhicules. Il y avait aussi et surtout Segismundo Stence alias “Monsieur Jean”, l’éminence grise qui sied à toute organisation criminelle, un comptable à la retraite qui avait toujours eu le vice dans la peau et le sens de la présentation et de la place de la virgule dans notre société. Toujours tiré à quatre épingles, chapeau melon et gilet vert anglais sous un costume beige ou réciproquement, c’était un chtarbé qui ne travaillait qu’à la seringue d’acide le coffre-fort ou son propriétaire. Ni sadique ni verbeux, il obtenait toujours, ce qu’il désirait ardemment, une montagne de pèze afin d’entretenir un train de vie hallucinant qui faisait baver d’envie et d’admiration les autres rebuts de la société. “Nous ne sommes pas des ordures, juste des copeaux”, aimait-il à répéter les rares fois où il l’ouvrait, “et toi, tu es de la sciure” poursuivait-il invariablement lorsqu’un jeunot essayait de le chatouiller en vain sur ses manières d’aristo de la cambriole. Toujours très renseigné sur ses coups ou ceux de la bande à “Frunch la Gencive”, dont il était l’unique électron libre, il avait gagné ses galons d’intouchable auprès de celui-ci et de “Zig le Fardé” le jour où il s’était fait bousculer par deux de la bande du “Requin de Jouy-en-Josas”, alias Hervé Stuc, qui voulait balancer “la Gencive” et ses gars pour avoir mains et champ libres sur le quartier de la moitié nord du pays de France. Non seulement “Monsieur Jean” les avait endormi en les recevant, contraint et forcé chez lui, mais en plus il les avait aiguillé droit dans le mur en envoyant la bande au complet mitrailler un hangar où il leur avait garanti sur facture contre sa vie qu’ils y trouveraient “la Gencive” et toutes ses incisives les plus acérées en train de se mettre au vert. Un magnifique entrepôt, perdu en pleine nature, sans plus aucun chemin carrossable y menant, où s’entraînait à balles réelles un GIPN remonté comme une pendule après une récente semi déconvenue. “Le Requin” et ses roussettes s’y firent lever des steaks dans le quart d’heure et sauter les têtes comme les pipes qu’ils étaient à la fête foraine. Quand à la paire de truffes qui menaçait et séquestrait “Monsieur Jean” en sa tanière, on ne la retrouva jamais. Le seul indice que l’on ait quant à sa fin, c’est qu’un élégant Anglo-espagnol, retraité du service comptabilité des “Fonderies Ardennaises”, s’était présenté chez un cuisiniste artisan réputé afin de refaire son intérieur. Il faut dire que l’injection carotidienne ou l’ingestion chocolatée de vitriol est fortement déconseillée aux personnes n’ayant pas l’entonnoir en zinc ou un goût certain pour l’in extremis. Comme l’a dit “Monsieur Jean” un jour de réunion du conseil des sages à la lecture d’un courrier de menace émanant d’une bande rivale et néanmoins éphémère : “vous ne pouvez pas imaginer tout ce qui peut disparaître sans jamais laisser la moindre trace aux abords d’une fonderie et de ses hauts fourneaux. De quoi rester marié à tout jamais alors que l’on se sait veuf et ancien cocu”. C’est un fait, il ne nous est appris nulle part que le métal en fusion est grand omnivore et pourtant. Ces figures du milieu parisien misent à part, le complément de la bande trouvait son plein épanouissement dans la quintuple fratrie Boulier-Marquet. L’aîné, Jean-Paul, avait fait maternelle, primaire, collège, “centrifugeuse” et “centrale” avec “Frunch la Gencive” et était coreligionnaire de l’autre pour à peu près tout ce qui fait la vie d’un homme, un vrai, un tatoué. Les douches communes de leur première maison de redressement avaient été bien vite baptisées “la centrifugeuse” parce que tous y avaient compris l’intérêt de s’adosser à ses murs. Ce n’était pas que le personnel fût spécialement porté sur l’œil de bronze mais le savon se faisait rare et il valait mieux se laver à sec que de se faire enfiler de la sorte. Les Boulier-Marquet, à Gennevilliers, c’étaient les “Boulmar”, tout le monde connaissait cette marque déposée comme un étron devant une porte-cochère. Jusqu’à vingt-cinq ans pour l’aîné et dix-huit pour les jumeaux qui parachevaient la lignée, ils n’avaient jamais eu l’impression d’être aussi nombreux tant les placards et différents frigos de la région pénitentiaire numéro un recelaient en permanence un, deux, trois ou cinq exemplaires des Boulier-Marquet. Une fois la quinte dehors, vous vous accrochiez avec l’un et vous aviez dans la seconde cinq rasoirs une lame au garde-à-vous sous la jugulaire. Jean-Paul, c’était “Preums” pour les intimes et il y en avait peu en circulation. Droit d’aînesse aidant, et seul Q.I. à deux chiffres, c’était le meneur naturel des “Boulmar”, jamais contesté, privilège du con passé dans les emmerdes avant les autres, cela suffisait à asseoir sa suprématie aux yeux de ses frères. D’ailleurs son second, Martin dit “Deuz”, était le pondéré, l’intello, qui avait fait trois quatrième et était un ancien CPPN de renom dans son collège Raoul Villain de Nanterre. Il l’épaulait sans jamais faillir ni sourciller. Dès lors les autres ne pouvaient que suivre, ce qu’ils faisaient avec félicité et béatitude, se répétant à chaque instant que c’était une bénédiction de vivre dans une telle famille, au cœur d’une fratrie qui avait tout compris à la vie et à cette nécessité vitale de s’amuser tous les jours et de ne travailler jamais, pas pour quelqu’un d’autre en tout cas et certainement pas pour un patron. Ses ravis suiveurs étaient dans l’ordre : Tony, dit “Troiz”, et moins mauvais tireur de toute la bande et les “Boulbis”, les jumeaux, Kévin et Jules. Kévin, c’était “Kéju” et Jules, c’était “Djuke”. Les seuls de la famille à avoir eu, depuis l’invention du papier journal, leurs noms et photo dans un canard en dehors de la chronique judiciaire parce que, tout petit, ils avaient eu le prix du plus beau bambin du département ex aequo. Sorte d’anges de Botticelli croisés avec un QI de tiroir et un attendrisseur à viande. Ils avaient été grandement fêtés à la maternelle Gilles de Rais qui les accueillait alors. Avant de l’incendier quinze ans plus tard pour marquer le coup et signifier à quel point ils étaient rebelles. A cause de ce haut fait d’arme et ce passé couronné, “Monsieur Jean” était le seul à les appelés les “comprimés”, appellation allusive à laquelle ils ne comprirent jamais rien. De Martin à Jules, en passant par Tony et Kévin, la brochette de forts en thème des Boulier-Marquet avait toujours suivit le mouvement subjuguée par la dévotion et la vénération de leur aîné Jean-Paul pour ce leader charismatique qu’était “la Gencive”. Fidélité toute canine pour “ses crocs” comme Fiunch aimait à les appeler. Un chef et dix hommes comme dix doigts, un main composite et multi-tâches, une main Boulier-Marquet, homogène et monocorde. Et multi taches aussi. A propos de ceux d’en face, les futurs mitraillés, on avait déjà payé pour savoir que les Farrès étaient six frères toujours épaulés par les huit de la bande à Gilot. Cela faisait trois ans qu’ils avaient tous changé de marigot et que plus aucun cousin n’avait de nouvelles d’eux. Il faut dire qu’ils avaient enfreint une des règles d’or de ce code des truands que plus personne ne respectait de nos jours, ils avaient volé un voleur, des voleurs en l’occurrence, la bande à “la Gencive”, et s’étaient carapatés avec les deux millions trois cent mil Euro que ces derniers avaient cassé deux semaines avant dans le coquet pavillon d’un diamantaire. Ce professionnel de la sécurité avait cru dur comme fer que l’homme mur portant beau et costume vert anglais sur gilet beige lui avait vendu et installé une alarme révolutionnaire et infaillible. Les adieux entre les quatre bandes et les deux camps s’étaient faits lors d’une fusillade homérique, car au long cours, qui avait ravagé les déjà tristes vestiges des anciennes carrières d’Ivry-sur-seine. Plus de sept mil projectiles furent échangés pour le triste bilan d’un pouce retourné, accroché dans une poche en courant en position semi fléchie, et un bénouse éclaté lors d’une génuflexion d’urgence mal maîtrisée sous la grenaille. Ces vingt-cinq cons là dans un peloton d’exécution et le Mont-Valérien serait une anonyme colline pourrie d’immeubles aujourd’hui. A la suite de cette escarmouche pétardière, seules trois céphalées et un jeu d’acouphènes furent à déplorées en guise de séquelles du lendemain presque aussi dures à avaler que la pilule du même nom. “Frunch la Gencive” s’était fait décaissé d’une grosse part de son trésor de guerre. “Butin de merde !”, son mot était resté célèbre dans tous les troquets de la côte est de Paname. Trente-huit mois plus loin, il avait eu vent du retour des détrousseurs de talent par le biais de “Lolo la Niortaise” qui tenait un salon de massage avec finition buccale, point de chute quasi obligé de tous les traqués et détraqués en rupture d’équilibre avec la maréchaussée d’outre Quiévrain, professionnelle exilée par amour de l’argent en la rieuse commune de Bruxelles au numéro treize de sa rue des Glands, métro Bizet. Amateurs d’horizontalités ascétique et neurasthénique s’abstenir.
Inférieurs en nombre mais avec l’avantage de la surprise, “la Gencive” ne se faisait aucune illusion, il y aurait quand même de la casse. C’était d’ailleurs la première chose qu’il avait dit à ses hommes rangés de part et d’autre de l’imposante table sur laquelle la grande carte avachie servait désormais de sous-bock à dix mousses blondes et au verre de liqueur des Alpes suisses de “Monsieur Jean” qu’un des frères Boulier-marquet avait moqué avant de tousser à sa première gorgée de dégustation des produits helvètes proposée made in topette par l’homme au gilet beige. Breuvage frelaté entrant dans la composition secrète du vitriol de ce comptable-chimiste qui en taisait jalousement ses dix-huit variantes élaborées ce jour. Les mitraillettes et pistolets automatiques seraient privilégiées pour les moins bons tireurs, autant dire que chacun avait le sien, “Monsieur Jean” excepté qui ne travaillait qu’au revolver Schmidt de la Waffenfabrik de Bern, millésime dix-neuf-cent-treize, année de naissance de sa tendre maman. Arme archaïque qu’il nourrissait de munitions faites maison à la charge évidée en bout puis emplies de BTX, poison ultra violent car transpiration de petites grenouilles multicolores d’Amérique du sud dont il faisait collection en vivarium géant en son pavillon de famille du treizième arrondissement. La seule délicatesse avec laquelle il manipulait ses charges creuses pendant que les autres astiquaient et graissaient joyeusement leurs engins faisait frémir les plus jeunes et travailler l’imagination morbide des anciens. Ganté, lunetté, relaxé par un verre de liqueur en préambule, il extrayait ses dragées de Satan, d’un petit coffre mignonnet à l’aide d’une pince, et les glissait une par une dans les six chambres de ce barillet qui avait connu Anthème VII de Constantinople et Gaston La Touche. Il y avait en exergue sur la crosse en bakélite de son naja des temps modernes une citation de Winston Leonard Spencer Churchill : “quand on tue quelqu’un, il ne coûte rien d’être poli”. Après une longue séance de nettoyage et rangement de tous les lance-dragées que comptait le gang des pistaches, “Frunch la Gencive” reprit la parole posément tout en s’inquiétant du fait que son beauf n’était pas revenu d’une course d’un quart d’heure maximum, depuis trois quarts d’heure maintenant, et pouvait donc le surprendre pendant son grand exposé.
_ T’inquiète ! J’ai diabétisé sa Xantia, il en a pour la matinée à bichonner son joujou, lâcha un “Zig le Fardé” de sa voix de stentor.
“Frunch la Gencive” sourit de cette brillante et fourbe initiative. Tous unis et réunis, ils étaient vraiment les plus forts. Tranquillisé, il reprit :
_ On y va à une voiture plus la camionnette des “Joints Francis” que l’on pas encore utilisée pour un coup et que “Deuz” a chouravé y a cinq piges maintenant. Comme elle est morte et enterrée pour tout le monde, ceux que je vais désigner pourront repartir avec. Voiture : Dédé au cerceau, moi, place du mort, Zig et “Monsieur Jean” en garniture derrière. Camionnette : “Deuz” au cerceau, “Preums” place du mort et liaison avec moi et les piétons, les “Boulbis” derrière avec le gros matos. “Le Globeur”, Riton et “Troiz” à pedibus cum jambis aux installations des herses devant les deux commissariats et la caserne pimpon les plus proches pour nous laisser le temps de dératiser le cent-vingt-deux de la rue de Vincennes à Montreuil. Puis les pédestres vous allumez au bégayeur les premiers bleus ou rouges qui voudraient toucher nos pointes. Courts en sucreries vous vous évaporés en piétons, pardessus et blousons réversibles et casquettes à cheveux comme d’hab’. Les gants et guns en bouches d’égout et les mains chargées, tasseaux de douze mil’ et pot de peinture plein, et pas berceau à magnum, n’est-ce pas “la Chignole” ? Merci. Pour les huit pavillonnaires, c’est voiture sur un bateau dans la rue perpendiculaire la plus proche et le “Joint Francis” qui cale en début de rue, pose d’un “rue barrée” par les “Boulbis” par le cul du van, puis stationnaire devant le cent-vingt-deux. C’est un pavillon ordinaire avec porte d’entrée étroite. Zig et moi, la porte d’entrée, “Monsieur Jean” prend le revers pour le tir aux fuyards de chez pigeon. Les “Boulbis” au lance-roquette sur la grande fenêtre du rez-de-chaussée, “Preums” et “Deuz” aux grenades sur les fenêtres à l’étage. Une fois ouvert, on entre à quatre seulement, y s’agit pas de nous allumer entre nous. Zig et moi par le couloir derrière la porte d’entrée qui conduit à l’étage et “Preums” et “Kéju” par la fenêtre pour le premier niveau. Pour les “rue”, adossés sans se montrer prêts à défourailler sur la cavalerie pour “Djuke” et à la liaison avec moi et prêt à reprendre le cerceau pour “Deuz”. Le tout après-demain à trois heures du mat’. Entre temps, chacun se tisse un alibi habituel, rien ne doit sortir de l’ordinaire et rien ne doit pouvoir vous placer sur les lieux du hachis. Cagoules et passe-montagnes de rigueur, pas de fantaisie dans les masques, j’ai passé l’âge de faire des cauchemars après chaque braquage. Rendez-vous de seize à dix-huit heures trente, à la librairie au rideau tiré de Clichy, passez par la cour, un à la fois tout les quart d’heure, les deux véhicules garés loin, de nous et l’un de l’autre, s’il en manque un on annule tout, s’il manque un seul d’entre vous, on annule tout aussi. D’ici là, je veux plus voir vos tronches. Vos horaires d’arrivées, vos objectifs persos et un plan détaillé de la cible et ses alentours sont sous vos bocks. Ce sera un coup de poing dans la gueule par minute de retard ou d’avance sur votre horaire. Synchronisez vos montres avec l’horloge parlante sur l’ordinateur du beauf. A demain. Et d’ici là, je veux de l’exemplarité dans la conduite citoyenne. C’est pas parce qu’on va tuer de la hyène que l’on a le droit de se faire alpaguer pour avoir jeté un papier par terre. Capiche ? Ciao tutti ! Que Saint-Gaspard veille et vous protège ! Amen.
Chacun repartit chez lui sur un signe de croix faire comme le chef avait dit, croisant le beau-frère en sueur, revenant à pinces ventre à terre du lointain centre commercial, chargé de pistaches. Mais il était décidément dit qu’une simple entorse aux principes de base de “Frunch la Gencive” pourrait empêcher ses magnifiques étalons de la connerie de s’élancer comme prévu. En effet, les premiers en poste, le trident de piétons face aux commissariats et caserne de Vincennes et Saint-Mandé, contactèrent leur cerveau en catastrophe. Les herses étaient rendues inutiles par le simple fait que pompiers et flics vincennois étaient déjà sur le pont depuis la veille pour cause de célébration des jumelages de la ville avec carnaval et tout le toutim et tintamarre qui va avec. Le département semblait encore dans les rues entre cotillons et langues de belles-mères à ce détail près que les quidams parlaient portugais, anglais comme des Américains, allemand et parfois français avec l’accent belge. Il apparaissait aussi que c’était à quelle viande serait la plus saoule et à qui guincherait le plus longtemps. Pire, en arrivant sur place, les occupants de la voiture découvrirent que la rue était inaccessible car déjà barrée par les fomenteurs des réjouissances. Les bars improvisés, les attractions et la touffeur de cette nuit de juin laissaient les gens à l’air et le week-end du lendemain ne les aiderait pas à prendre un dormitif. Loin de le paniquer, ce bordel, métastasé dans toute l’agglomération, couronna “Frunch la Gencive” roi de l’impro. Les véhicules rallièrent, après un large détour, la rue tant espérée. Il demanda à ses piétons de rapporter leurs herses en banlieue de fusillade, fit reculer la camionnette dans la rue coupée jusqu’à hauteur du pavillon-cible puis garer, comme planifié à l’origine, la voiture quartier-général sur un bateau dans une rue transversale à la circulation libre et l’azimut parisien.
_ Quelle tête il a le pavillon ? demanda “Frunch la Gencive” d’une voix posée et tranquillisante via son cellulaire.
_ La tête d’une baraque de gens qu’en n’ont rien à carrer de la nouba, volets clos en bas comme prévu, fenêtres ouvertes en haut comme prévu, tout comme prévu, répondit un “Preums” plus glaçant que son arme. Les frères Farrès n’ont jamais été des rigolards, rajouta-t-il dans un hoquet de mépris.
_ On passera encore plus inaperçus comme ça avant, pendant et après aussi probablement, se réjouit “la Gencive”. Les dieux du retour de bâton sont avec nous. On laisse encore cinq minutes aux piétons et tu appelles “Troiz” pour lui dire de placer sa herse, sitôt qu’il entendra crépiter, au coin des rue de Vincennes et rue de l’Union. Je répète : au coin des rue de Vincennes et rue de l’Union.
_ Vincennes et Union. Compris. Dans cinq minutes.
“Frunch la Gencive” fit couper tous les autres carrefours et ne laissa libre que la rue Michelet, son échappatoire. Ils descendirent de voiture, on entendait les flonflons dans le lointain. Répondant sans doute à un certain mimétisme, “Dédé le Derviche” laissait tourner le moteur de la berline surpuissante dont il avait soigné le ralenti. Zig et “Monsieur Jean” encadraient leur chef en marchant plein bitume comme dans ces westerns qui les avaient tant fait rêver lorsqu’ils étaient mioches. La camionnette, trônant sur la chaussée à la hauteur du cent-vingt-deux dans la rue déserte et barrée, leur procurait plus que jamais un sentiment de toute puissance. Un des panneaux de côté s’ouvrit et, au premier top, une roquette s’élança, en incendiant l’utilitaire, vers les larges volets clos du pavillon endormi. “Deuz” doublonna avec une paire de tirs de lance-grenade vers les fenêtres ouvertes du premier étage. Tout détonna si fort que leurs organes internes en firent des huit pendant cinq longues secondes d’enfer pur. Le pistolet-mitrailleur de Zig reconvertissait déjà la porte du pavillon en allumettes en vrac pendant que les autres en étaient encore à sauter le portail. Une fois qu’on lui eût ouvert une brèche, “Monsieur Jean” marcha d’un pas tranquille vers le dos de la bâtisse et s’assit sur son mouchoir déplié couvrant une chaise de jardin, son venimeux Schmidt sur les genoux. Il n’apercevait que des éclairs de-ci de-là et endurait un vacarme se confondant avec le gazouillis entêtant de la bringue géante enfiévrant la ville. Il sentit également quelques projectiles lui siffler requiem aux oreilles et déplaça sa chaise tapissée de son tire-moelle au dos d’un tas de bois. Scrutateur penché, il épiait aussi les habitations voisines desquelles aucune lumière ne filtrait. Bon signe. Après une minute sept secondes de nano-troisième guerre mondiale, un début de long silence relatif et aucune tentative d’évasion convainquirent “Monsieur Jean” de rentrer chez lui. Les “Joints Francis” en feu, quatre hommes repartirent en voiture, les autres se mêlèrent à la fête et rentrèrent en bus et métro ou se joignirent à la soupe à l’oignon de “l’after” de la municipale fête pour les plus endurants. A l’intérieur du cent-vingt-deux de la rue de Montreuil à Vincennes, un nettoyage par le bordel avait été fait dans les règles de l’art. On se serait cru dans l’anti-chambre du Krakatoa un soir d’éjac’. Plus rien ne respirait, pas même une plante verte. Tout y avait été retapissé. Une fois le calme revenu et la tangente prise, dopés à l’adrénaline, ils s’éparpillèrent sur un “salut les copeaux !” et ne purent s’empêcher de sourire à pleines dents chacun dans leur coin, sans même s’en rendre compte, tellement ils s’étaient auto-épatés de la facilité avec laquelle ils avaient effacé le plus redoutable gang de tueurs sanguinaires de l’Europe de l’ouest. Comme le disait encore récemment le patron du Crillon : “Avoir un grand chef fera toujours la différence”. Ils ne lurent leurs exploits qu’une fois rentrés chez eux le lendemain. “Le Francilien détaché” fit sa une avec ce fait divers aussi extraordinaire que sordide vingt-sept heures après la fusillade : “une maison médicalisée de Vincennes, abritant des personnes âgées, mitraillée et attaquée à la roquette et grenades. Ses rescapés abattus aux pistolets-mitrailleurs, six assassinés”.
Madame Germaine Michard, née Mitanque, quatre-vingt-dix-neuf ans et madame Rubié, née Prendergast, quatre-vingt-quinze ans, furent éparpillée par la roquette anti-volets du prologue. A l’étage, les deux petites chambres de monsieur Soulier, quatre-vingt-trois ans et madame Pons, née Rabuteau, quatre-vingt-neuf ans, s’égayèrent de leur boyasse sur tous les murs. Madame Cossuet, née Molandre, mourut le jour de ses soixante-dix-sept ans d’une appendicectomie d’un nouvel âge, un trou rouge au côté, pratiqué par le docteur Ziglauer et son fidèle bégayeur, un pistolet-mitrailleur baptisé “Dodolphe” qui ne le quittait jamais. Pas même lorsque “Kéju” se prit les pieds dans un déambulateur, il ne se dit qu’il y avait un œil dans le bouillon. Un des frères Farrès, à peine debout, fut pulvérisé par deux, trois, vaporisations de “Frunch la Gencive” avec force jurons. Ce “frère Farrès” était en réalité Gérard Chabriou, infirmier diplômé d’état de quarante-trois ans et d’astreinte ce soir là.
“Frunch la Gencive” passait et repassait le film de la nuit devant les images du journal télévisé de la mi-journée sans réussir à faire le lien avec ce qu’il avait vécu et provoqué. Le débriefing de la fin d’après-midi promettait d’être rock’n roll. Il revoyait les éclairs de lumière vive, ressentait encore le vacarme en sa poitrine qui battait la chamade, apercevait clairement la silhouette debout devant lui dans l’escalier qu’il avait éparpillée de son chargeur entier. La poussière qui envahissait l’air et cette odeur de poudre âcre qui les avaient fait tousser durant le trajet retour, tout lui revenait. Il relisait les articles, rien ne le frappait dans les détails relatés sinon les identités des victimes. Cinq vieillards et leur infirmier étaient restés au tas. Pas trace de Farrès et ses frères et encore moins de Gilot et ses sbires. Il demeurait bouche-bée, la tête dans les mains, abasourdi jusqu’à l’étourdissement. Sa fin de carrière de chef charismatique était programmée pour cet après-midi seize heures à moins de trouver une explication à ce sac de vieux. Le speech du jour fut prononcé du bout des lèvres et la boulette mise sur le compte d’une manipulation par la source, “Lolo la Niortaise”, ou sur un coup de trafalguimauve de Farrès et ses doubles. Ils n’étaient que dix à cette réunion-bilan, “Monsieur Jean” manquait à l’appel. “Il a trop honte de moi” pensa “la Gencive”.
Son chapeau melon posé à l’envers à ses pieds, l’air stupéfait égayant un faciès bleu aux lèvres violacées, Segismundo Stence alias “Monsieur Jean” recueillit dix-sept Euro soixante-quatorze cent pendant sa journée de performance pétrifiée et croupissante. Une balle amie avait frappé sa poche de veste abritant la boîte à cigares dans laquelle était disposé un second jeu de six cartouches maison si jamais il avait eu à redonner la becquée à son crache-venin berno-amazonien. La dose infinitésimale du poison létal de deux munitions s’était écoulé dans sa doublure puis, par sournoise capillarité, s’était apprêtée à sécher sur son pantalon lorsqu’il retira ses gants et s’assit, jambes serrées, mains sur les genoux, en lisière de banc de ce square René Le Gall, posé à l’autre bout de son arrondissement de naissance. Adossé au mobilier national, vieux fantasme assouvi par allégorie, la fesse abreuvée de cette substance supra-toxique, il s’était graduellement privé de son oxygène et de la manière d’en attraper. Le plus expérimenté de la bande mourut bleu. Il ne fut découvert qu’à vingt-et-une heures trente par les gardiens du temple qui en jouèrent du sifflet de façon frénétique et stérile dans un réflexe outrancier et débilitant sous le coup de l’émotion. On croisait tellement de mimes statues toute la sainte journée de nos jours que plus personne ne s’étonnait de voir un vieux, élégamment fagoté et originalement coloré, faire une tête de flétan à peine sorti du congélo, assis sur un banc, un chapeau à ses pieds en guise de mange-oboles. Comme il ne s’agissait évidemment pas de monter au carton avec ses papiers sur soi, que croyez-vous qu’il arriva ? Tout le vivarium creva. A poison, poison ennemi.
Dans les jours qui suivirent Zig fit un saut de puce en Belgique et “Lolo la Niortaise” fut retrouvée farcie de cire épilatoire refroidie dans son estomac et son œsophage, la caisse éclatée, deux “dépoileurs” laser en marche dans les cul et con plantés et les yeux exorbités. “Quel gâchis !” pensa “le Globeur”, la bave aux lèvres, lorsqu’il vit la photo de la malheureuse dans “le Francilien du sang” du surlendemain. Deux semaines plus tard, au domicile de Jean Fiunch dit “Frunch la Gencive”, arriva une magnifique carte postale du Congo-Brazzaville portant quatorze signatures des six frères Farrès et des huit de la bande à Gilot avec pour seul commentaire : “si loin, si proche”. En effet, profitant de cette nuit de chaos et du week-end prolongé qui s’en suivit, les “Farrès-Gilot” réussirent un joli casse de banque à quelques rues du massacre et au cœur d’une immense fête qui battait son plein et couvrait les leurs. Bien qu’absents cette nuit là parce qu’occupés à percer murs et coffre-forts, les Farrès et les “Gilot” habitaient effectivement la rue passante du drame. Mais, par une étrange distribution des cartes, la même voie se partageait en deux trottoirs, jusque là rien d’ébouriffant me direz-vous, on en a chez nous, certes, néanmoins l’un se nomme rue de Vincennes et appartient à la commune de Montreuil mais est adossé à un quartier de Vincennes et l’autre se nomme rue de Montreuil et dépend de la commune de Vincennes mais est quasiment enclavé dans un quartier de Montreuil. Ainsi, et comme les deux numérotations sont croissante d’un côté et décroissante de l’autre, les numéros cent-vingt-deux de l’époque se faisaient-ils face transformant tous les facteurs suppléants en hystériques inefficaces depuis toujours et les détrousseurs de haut vol en assassins dignes du livre des records de la connerie humaine à tout jamais. La ressemblance entre les deux pavillons n’était pas même frappante contrairement au traitement qui fut réservé à la maison médicalisée et ses occupants. Pas une dosette individuelle de compote n’avait survécu, c’est dire la violence de l’attaque.
Que pensez s’il y avait eu un hôpital à cette adresse ? Ils sont drôlement bien logés les Farrès ! T’as vu le nombre de chambres et la taille de l’entrée !?
Tous les ans, jusqu’à sa mort, Jean Fiunch reçut, le jour anniversaire du carnage grabataire, une carte postale, frappée en gros caractères du nombre “cent-vingt-deux”, à laquelle il ne comprit jamais rien.
Ne sous-estimez jamais la bêtise d’un individu qui n’a pas saisi que rien ne vaut d’avoir sa conscience pour soi et tout le reste pour les autres. C’est un grand politicien ou un minable malfrat en puissance, si vous faites encore la différence.