Violeta (concours Jouir sans entraves)

marianne-desroziers

« La jouissance c’est du temps volé à la société ».

Elle disait ça tout le temps Violeta. Ca et d’autres choses aussi. Un mélange de citations apprises par cœur à l’école, d’aphorismes lus dans des livres et d’expressions populaires qu’elle avait entendu dire et répéter toute son enfance et son adolescence par sa mère et sa grand-mère. A cheval donné on ne regarde pas la monture, faute de grives on mange des merles, un tien vaut mieux que deux tu l’auras, qui vole un œuf vole un bœuf, pierre qui roule n’amasse pas mousse. Et parfois, au milieu de tout ça, une pensée profonde et personnelle, sorti tout droit du cerveau de la fière Violeta : « La jouissance c’est du temps volé à la société ».

J’étais bien d’accord avec elle et j’étais prêt à me faire voleur de grand chemin, braqueur de rêves, délinquant « jouivénil » pour jouir à l’infini dans les bras et entre les cuisses de ma douce Violeta.  Je l’avais rencontrée deux semaines plus tôt, dans le train express régional qui nous ramenait tous les soirs de nos lieux de travail à nos domiciles respectifs. J’avais tout de suite été irrésistiblement attiré par la généreuse courbure de ses seins qui affleurait sous son pull d’angora rose, la finesse de ses jambes qu’on devinait à peine sous ses bottes dont le cuir noir brillait dans tout le compartiment bondé où nous avions tous deux pris place.

Elle aussi n’était pas insensible à mon charme austère et à mon corps d’albâtre ainsi qu’elle me l’avoua bientôt entre deux regards de braise et deux frôlements de mains sur le quai. Nous décidâmes d’aller boire un café au bistrot le plus proche, ce que nous fîmes sans presque rien nous dire. Comme elle approchait le café de ses lèvres je ne pouvais m’empêcher de les admirer. Quand elle dit « ouh, c’est chaud !», je sursautai, perdu dans mes rêveries érotiques. Je laissais tiédir le mien, jusqu’à ce qu’il faut buvable sans risque de lésions buccales puis lançai un « on y va ? » qu’elle trouva engageant à en juger par la tournure que prit notre rencontre.

Nous passâmes tout le week-end à l’hôtel, étonnés et ravis des possibilités de jouissance infinies autant qu’insoupçonnées de nos corps. J’appris par la suite qu’elle était célibataire, sans enfant, caissière à mi-temps dans un supermarché Lidl et hébergée par un sale type, un vague ami d’ami qui essayait de profiter d’elle. J’étais pour ma part cadre dans la finance, marié depuis quatre ans, père de trois enfants, propriétaire d’un F4 et endetté pour les vingt-cinq prochaines années comme tout bon français qui se respecte. Tout cela ne pesa pas grand-chose face à la bouche de Violeta, au cul de Violeta, aux seins de Violeta. Le lundi suivant notre improbable mais évidente rencontre, je démissionnai, annonçai à ma femme que je la quittais et embarquai quelques effets personnels dans ma voiture. Direction : l’inconnu !

Pas question que Violeta redevienne caissière et plutôt crever que de chercher du boulot dans ma branche, ni dans aucune branche d’ailleurs. Nous dilapidâmes notre pécule en vivant à l’hôtel, en allant tous les jours au restaurant et en achetant tout ce qui nous faisait plaisir, changeant de région au gré de nos envies et de la météo (Nice, Cannes, Antibes, Biarritz). Nous vécûmes notre passion jusqu’au bout, jusqu’à ce qu’elle s’épuise d’elle-même ou qu’elle nous épuise si l’on veut. Je finis par rentrers chez ma femme quelques mois après mon départ et par chance elle me laissa reprendre ma place à ses côtés, presque comme si de rien n’était.

Elle avait bien raison Violeta : « la jouissance, c’est du temps volé à la société ». J’ajouterai qu’il n’est pas possible pour tous de jouir sans entrave, ni de faire durer cela indéfiniment. Il se peut que ce qui nous entrave le plus ce soit nous-même. A moins que ce soit la société qui réussisse toujours à nous faire rembourser notre dette.

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