Violon

Lev Hamels

Ma main tremble un peu, j'hésite, puis je raffermis doucement ma poigne sur le long archet en gardant la main souple et approche le ruban immaculé des cordes. Je les effleure, d'abord trop lentement, et le son n'est pas celui que j'attendais. Je ris nerveusement, et te lance un regard gêné. Avec un sourire tendre, tu m'expliques patiemment comment doit être le mouvement de ma main. Je réessaie, mais mon son est assez faible, je n'ose pas vraiment appuyer l'archet sur les cordes. Alors tu ris doucement en voyant mon mouvement de recul et ma grimace, moi qui ai horreur de la mauvaise musique, lorsque j'entends mon « œuvre ». Tu passe derrière moi, prend ma main droite dans la tienne, et je me souviens que tu es gaucher, et je me demande si toi, tu joues du violon comme un gaucher ou si tu tiens ce si bel instrument et son inséparable ami archet comme je le fais en ce moment. Quand tes doigts s'enroulent autour des miens comme une coque protectrice, tu guide ma main pour poser l'archet sur une autre corde et me murmure doucement « celle là est plus facile ». Alors j'ose, et, pleine de confiance en tes paroles, je m'imagine quelques secondes dans la peau de cette idole que nous avons en commun. Moi, dont l'art consiste à me glisser dans la peau de ceux que je ne suis pas, pendant quelques secondes, j'ai l'impression que ce violon et cet archet sont fait pour être dans mes mains, et je frotte la corde en question, et là…
Je me rappelle que je ne suis qu'une débutante, dont la main tremble d'hésitation et d'émotion. Je t'avoue en souriant nerveusement que si peu de personnes ont mon respect, du moins parmi les vivants, beaucoup d'objets l'ont, et que tous les violons, violoncelles et autres altos m'évoquent un respect immense, comme si en les voyant, je découvrais le sens du monde, de la vie, le sens de mon existence. Ce n'est pas pour en jouer, surtout pas, que je suis née, mais pour écouter leur son délicieux, l'écouter comme je jouerais dans ma bouche avec la plus merveilleuse des friandises, l'écouter parfois comme si ma vie en dépendait, comme un assoiffé boirait des notes…
Alors tu ris et, honteuse, je te tends le violon et l'archet de mes mains frémissantes, les tenant tous les deux avec la plus grande délicatesse, comme s'ils étaient fait de sucre. Tu les prends et te moques gentiment de moi, tu jongles un peu avec le violon, jusqu'à ce que je pose les mains sur ton bras en t'implorant presque d'arrêter, alors tu ris encore, ce rire diaboliquement angélique, comme si tu mélangeais une immense malice à la plus pure des candeurs. Tu cale l'instrument sur ton épaule comme si tu l'avais toujours fait, du moins c'est ce que je vois, moi, l'impie de cette religion secrète aux milles adeptes qu'est la musique. Tu me joues quelques notes, et moi, les yeux ronds, je t'écoute. Je me dis que ton jeu à beaucoup d'assurance, pour un débutant, et ce contraste avec ta timidité habituelle m'amuse. Puis, tu remets ce bijou au bois brillant et aux formes pures et parfaites dans son grand écrin, tu le nettoies, avec un grand amour, tu essuies ses cordes avec un tissu, m'expliquant la cause de chacun de tes gestes, et je bois tes paroles comme une assoiffée, avide de connaissances sur cette merveille que l'on appelle violon.
Violon… Quel beau mot ! Le v, bas, profond, doux, évoque assez bien son son. Le i, lui, me fait me rappeler des notes aiguës qu'il peut sortir, contrairement au o qui renvoie aux notes plus graves. Le l, long et glissant, me figure le glissement de l'archet sur les cordes. Et le on, son long et suave, me remet en tête la longueur que le violoniste peut donner aux notes. Un violon… ce mot fait partie des mots friandises, de ceux que l'on prononce avec un long délice.
Violon…

  • Superbe texte ! J'adore le son du violon et certains morceaux me procurent une vive émotion. Mais je n'ai jamais touché même frôlé ce sublime instrument, ni aucun autre d'ailleurs.
    J'ai écrit récemment un petit texte intitulé "Le violon" et c'est surtout la vidéo qui est émouvante et qui m'a fait écrire ce poème

    · Il y a plus de 6 ans ·
    Louve blanche

    Louve

    • J'irais voir ;) pour ma part, ce qui m'a inspiré ce texte c'est les débuts de mon ex

      · Il y a plus de 6 ans ·
      Sticker mural papillon bleu noir

      Lev Hamels

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