Virginale Crucifixion

Jaap De Boer

  Dans l'obscurité glaciale du petit monastère bourguignon balayé par les vents froids d'un novembre engourdi, les cloches se mirent à sonner d'un son brutal, tragique, lancinant. Effrayé, un engoulevent hurla avant de s'évanouir dans une futaie blanchie par un frimas naissant.
Je serrai la cordelette de cuir autour des poignets violacés de ma victime qui me regarda, les yeux embués de larmes, mais ne tenta pas de résister tant elle était plongée dans une hébétude soumise. C'était une nonne, une novice d'à peine vingt ans. Sa peau, sous sa robe de bure noire, avait la couleur de l'ivoire et son visage triste évoquait celui des statuettes numide, façonnées par ces artisans légendaires des époques pharaoniques. J'y décelai, dans un éclat mauve, des sentiments de honte et de surprise. J'y pris plaisir et retirais d'un geste violent son habit ecclésiastique. Il voltigea négligemment sur le sol carrelé et une myriade de grains de poussière étincela dans la lumière fauve des candélabres dégoulinants de cire posés autour de nous séduisant un lieu d'enfer interdit aux hommes. Les seins de la jeune religieuse apparurent, lourds et laiteux, promesses de maternité et d'excès. Je m'imaginais Pandore, ouvrant la boite interdite d'où jaillirent la folie, le stupre et la perversité. Leur pointe fière et orgueilleuse était dure et ce n'était ni l'excitation ni le désir qui le provoquait. Dans la crypte romane il faisait très froid, et le visage sans vie de quelques statues grimaçantes cachées par des ombres sournoises glaçait également l'imagination. La buée blanchâtre sortait de nos souffles à l'une et à l'autre et montait péniblement pour se diluer dans des courants d'air. Elle frissonna, j'en fit autant .J'ôtai ma lourde cape de velours grenat où s'agrippaient  encore des flocons de neige en quête désespérée d'une immortalité que des déités séculaires leur avaient interdite. J'étais nue en dessous. J'étais très belle et je le savais. Mes seins étaient fermes, ma taille fine et mes hanches sembles à celles des cariatides des temples Egéens;  Comment en étais-je arrivé là? Lors d'un enterrement, je l'avais vue, ombre furtive glissant entre les bancs de la chapelle. L'éclat doré des chandelles lui dessinait une aura divine et je pensais à une toile de Quentin de la Tour. Son regard se posa  sur moi avec une compassion et mon cœur battit plus vite. Elle s'éloigna, tel un spectre dans son  suaire couleur de nuit, et je devinais à sa démarche sensuelle, une nature de feu sous sa chape de foi.  Une femme pouvait donc déclencher mes passions? Il me semblait pourtant n'avoir jamais été attirée par mes consœurs. Je me trompais. J'échafaudais un plan pour la posséder et vint lui rendre visite fréquemment pour gagner sa confiance. Ce ne fut guerre aisé, la belle était timide et la religion lui enseignait une rigoureuse prudence malgré la générosité et le don d'elle-même qu'elle tentait d'afficher. Jusqu'à cette après midi où je lui offris une friandise dans laquelle
j'avais préalablement injecté un somnifère.  Elle était désormais mienne. Sa nudité offerte, sa chasteté, sa virginité et son innocence étaient tout ce que j'avais perdu depuis trop longtemps. Ses courbes étaient gracieuses, son ventre plat, ses membres sveltes. Son pubis, où poussait un duvet roux, m'indiqua ses origines celtes ou nordiques. Ses hanches pleines étaient celles des madones italiennes. Je les caressais délicatement. Ma main se fit plus pressante sur son sexe. Ses cuisses semblèrent se décrisper, s'écarter, mais peut-être était-ce simplement  le fruit de mon désir pervers. Je me blottis contre elle et l'embrassais. Ma langue pénétra de force sa bouche. La sienne était sèche. J'y fis couler ma salive et notre baiser fut un mélange de possession brutale et d'effluves odorantes. Elle avait un goût d'épices et de cannelle. Je la mordis. Sous la douleur, elle gémit. Je m'agenouillais à ses pieds, telle une dévote devant une pieuse icône, pour lui lécher le ventre, l'intérieur des cuisses et enfin son sexe aux lèvres gonflées et délicatement ourlées où je pus discerner un minuscule grain de beauté qui semblait m'observer d'un oeil courroucé et
réprobateur. Ophidienne, ma langue la pénétra. Elle n'était pas vierge ! Sous cette offense qu'elle me faisait, je me redressai et la giflai, une fois, deux fois. Sa chevelure flamboyante virevolta. Dans ses yeux apparurent des larmes, au travers desquelles se lisait l'incompréhension. Elle avait mal et moi aussi. Gourmande, je les happai sur sa bouche et ses joues. Elles avaient la saveur salée de la mer et je pensais un bref instant à la valeur symbolique de cet acte bien singulier. Je m'abreuvai de cette saveur originelle qui coulait sur les joues d'une jeune fille, qui refusait par la sexualité et la maternité ce que lui imposait l'atavisme implacable et instinctif caché au plus profond de chacun de nous. Mes doigts la fouillèrent moins délicatement, plus profondément. Je la punissais. Ils étaient glacés mais se réchauffèrent dans l'humidité onctueuse et brûlante de ses chairs souples. J'y effectuais quelques va et vient, lentement puis  plus rapidement et je sentis comme un appel de ses hanches lorsque plusieurs de mes doigts envahirent son intimité. Je me suis masturbée et l'ai obligée à me lécher les doigts lorsque j'eu fini de jouir. J'ai bu telle un  vampire un liquide transparent qu'elle avait laissé sur ma main. J'y décelai une saveur de miel. Je l'ai embrassée partout, j'ai violé son anus qu'elle m'a  cédé dans gémissement étouffé. J'étais partout et je l'ai aimée sans concession ni douceur plusieurs heures durant. Au petit matin, je l'ai abandonnée, toujours attachée. Avant de fermer la porte de la petite chapelle, je me suis retournée: elle était crucifiée à l'autel du plaisir et avait été mon martyr. J'avais été sa punition. Aux matines, je savais que de pieuses bigotes la délivrerait en se signant en marmonnant mille prières vers dieu sourd à la détresse des hommes.
Que leur dirait-elle? Se confesserait-elle? Attendrait-elle mon retour annoncé? Je me promis qu'après l'humiliation vécue entre mes bras je lui offrirais l'amour et le don de soi comme ses saints ne le lui ont jamais enseigné...

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