Vision et Prière

Nathan Noirh

Nous ne savons plus. En réalité, nous savons beaucoup trop. L'information. Sous toutes ces formes, elle nous alimente. Des analyses, des données, des noms, des dates, des faits, des lieux, des pensées, des chiffres, des explications, des théories, des thèses, des mémoires, des réponses. Nous cherchons tous des réponses. Pourquoi, comment, où, quand, pour qui. Chaque événement quotidien est une fontaine de questions. Nous cherchons à expliquer et démontrer la moindre action. La moindre entreprise. Notre magnifique capacité à penser est aussi notre plus grand défaut. Chaque moment est sujet à un temps pour chercher la conclusion d'un effet. Nous faisons. Nous pensons. Nous ressentons ? De moins en moins. Nous sommes tous à la recherche de la compréhension, de la solution. Pourquoi mon site internet a t-il plus de visite ? Pourquoi mon bus est en retard ? Pourquoi il pleut encore ? Pourquoi m'a t-on fait un compliment ? Pourquoi pourquoi pourquoi. Nous ne savons plus ressentir sans nous poser de question. Nous cherchons constamment à tout quantifier, à tout analyser tout en prenant le risque de ne jamais comprendre la véritable signification, celle qui nous fait vivre : l'émotion. Les gens ne se comprennent pas. Ils communiquent entre eux à travers d'innombrables moyens tout en omettant la plus élémentaire des communications : l'émotion. Contempler un tableau de la nature, comme un levé de soleil ou de lune, aussi élémentaire mais aussi puissant que n'importe quelle drogue, nous arrachera toujours une pensée, un mot pour définir ce moment pourtant indéfinissable. « C'est magnifique ». Il est impossible de ne pas penser. Notre cerveau est constamment en fonctionnement, ce qui rend la recherche de l'apaisement et du silence si nécessaire. Voilà tout ce que l'on m'a certifié depuis ma naissance. On ne peut pas s'arrêter de penser. Je ne suis pas d'accord. Lorsque nos émotions atteignent un degré d'intensité si élevé que notre corps réagit avant notre cerveau, une larmes ou une rire, c'est là, notre réponse. Les sentiments altèrent la raison. L'amour. Le cœur. Vous pouvez choisir la représentation métaphysique qui vous convient le mieux. Cette émotion, quand elle devient si puissante que votre corps bouge de lui même, c'est à cet instant que vous ne pensez pas. C'est à ce moment que vous ressentez vraiment. Parce que vos pensées ne sont pas ordonnées et clarifiées, elles sont vagues et brouillons comme un océan. Avez vous déjà essayé de dessiner les contours d'un océan ? Sur notre terre, il n'a pas de limite. Une mer peut-être, mais pas un océan. Il est continu comme une boucle temporel. Mais est-ce que le fait que votre océan n'ait pas de limite lui enlève sa beauté ? Mais pourtant vous avez déjà essayé de dessiner un océan. C'est ce qu'il se passe dans votre tête, votre « moi ». Nous cherchons toujours à apporter une définition à ce que nous ne pouvons définir. Paradoxalement c'est humain, mais c'est aussi l'éloignement constant de l'humanité. Toujours plus de chiffres et de lettres pour expliquer, moins de temps pour ressentir. C'est ce qui a créé les barrières au fil des années entre les hommes. Lorsque les explications divergent, les conflits naissent. Lorsque les réponses concordent, les alliances s'opèrent. L'ignorance crée l'intolérance. Mais pourquoi chercher à connaître lorsque se contenter de la réciprocité d'un regard peut suffire. Lorsque l'attaque de Charlie Hebdo a eu lieu, les gens se sont rassemblés. Mais tout le monde a cherché à comprendre pourquoi. Tout le monde a voulu expliquer l'action. Les implications. Les évènements qui en découlent. Les répercussions. Quand tout le monde devait se taire et laisser le corps réagir, la tête à tenter de quantifier l'émotion. On nous disait comment réagir et où aller. C'est à ce moment que j'ai eu une terrible révélation. Comme le disait Charlie Chaplin, nous ne sommes pas des machines avec une machine à la place du cœur.

 

N'entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s'emporter à la chute du jour ;
Rager, s'enrager contre la mort de la lumière.

 

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