VIve la mariée!
Yann Sayr
Elle regardait autour d’elle. La nuit était bien avancée, à présent. Le bercement rassurant du train emplissait totalement l’espace du compartiment où elle se trouvait, blottie contre l’épaule de son homme endormi.
Elle était bien, heureuse mais ne parvenait pas à trouver le sommeil.
- Elle aurait bien le temps de dormir tout le reste de sa vie ! Se disait-elle en souriant. Elle se sentait si jeune.
Encore cette musique, ces danses et ces rires qui ne parvenaient pas à quitter son esprit…
Dans la demi pénombre du lieu, à part la veilleuse bleutée du compartiment de deuxième classe qu'ils avaient réservé pour un très long voyage,seuls les yeux grands ouverts de la jeune femme semblaient animés d’une intense vie intérieur si colorée, relatant à leur manière les dernières heures passée…
…............
La jeune slave criait, courait, chantait, allait de l'un à l'autre, riait, plaisantait, disait quelques mots à l'un, offrait du champagne à l'autre en en versant systématiquement quelques gouttes, sans doute par pur plaisir, parce qu'elle pouvait se le permettre ce jour et qu'elle était un peu folle.
Sa magnifique robe blanche de la cérémonie n'avait de blancheur que ce qu'on voulait bien lui accorder encore. Son épaulette ne cessait de tomber dévoilant un sein à peine voilé dont l'auréole sombre enchâssant un téton bien net tranchait avec la blancheur du vêtement. Comme le décolleté impressionnant du dos interdisait tout port de soutien-gorge, rien n'empêchait quiconque de jeter un œil discret à toutes ces belles choses. Elle riait. Elle s'en fichait. Elle se fichait d'ailleurs de tout. Cette nuit serait sa dernière en quelque sorte et tout lui était tacitement permis. Après, autre chose allait lui arriver. Elle était heureuse. Très heureuse et cela se voyait sur son visage et son attitude.
Régulièrement, son mari, beau brun, habillé d'une manière élégante qui ne lui allait pas très bien, souriait de cette nonchalance incontrôlée, de cette exubérance exagérée, de ce sein mignon qui n'en faisait qu'à sa tête, signes extérieurs d'une insouciance profonde issue d'un sentiment amoureux partagé dont il était l'heureux élu.
Ils venaient tout juste de faire l'amour - une nouvelle fois! - sur un lit déniché, volé au hasard dans une des nombreuses pièces du château délabré et inhabité de l'Oncle venu de loin pour l'occasion et sans même prendre la précaution de fermer la porte tant ils ne pensaient qu'à eux, qu'à leur plaisir, qu'à leur bonheur. Cette fois là, elle s'était jetée littéralement sur le grand lit poussiéreux, avait aussitôt écarté ses cuisses sans façons et soulevé l'immense jupon afin d'accueillir les ardentes adulations de son mari tout neuf. Pour plus de simplicité, elle avait, dès le début de la soirée, elle-même arraché son slip et laissé à un endroit dont elle ne souvenait plus.
De quand datait cette décision incroyable qui l'aurait faite bondir quelques semaines auparavant? Impossible de le fixer. Elle n'était plus elle. C'était tant mieux. Elle s'extirpait lentement de son pesant carcan familial et éducatif et ne craignait pas le moins du monde cette toute nouvelle liberté. Lui, s'était jeté sur cette offrande docile et jouissait sans discontinuer de ce jeune corps ferme qui fleurait si bon la compagne et l'odorante jeunesse à peine éveillée. Elle savait, bien sûr, que plus tard ce serait bien mieux mais elle voulait avant tout, pour l'instant, des rencontres violentes, nombreuses et brèves qui ne la soustrayait pas de la fête et des convives qu'elle aimait. Elle voulait tout et tout de suite.
Ces gens qui lui faisaient la fête, le champagne qui coulait à volonté, le vin, le mets les plus fins et surtout, surtout, son sexe qui réclamait le membre dur de son homme en lui sans apparemment vouloir s 'en lasser; tout cela la laissait un peu hagarde. Elle ne voulait pas perdre son temps en amabilité. L'orgasme? On lui en avait parlé, à mi-voix. Ce mot la répugnait. Orgasme! Quel terme idiot pour signifier une peut-être si belle expression de son anatomie. Pour l'heure, elle s'en fichait! Plus tard, on verrait à faire les choses mieux. Elle ne rêvait que de se coller entre les jambes de cet homme impossible dont la puissance musculaire l'effarait, d'attraper ses couilles en riant comme on cueille les pommes du verger de Père pour en manger une ou deux en cachette, les lèvres débordant de jus fruité. Ce n'était pas des pommes, mais c'était si bon de se vautrer sur ces chairs brûlantes et palpitantes et d'en téter tout ce qui en sortait.
Elle était folle. Folle de lui, de son mariage, de tout ce qui lui arrivait de bien et qu'elle ne parvenait pas encore à maîtriser. Entre deux jets de sperme, elle se rinçait la bouche d'une petite coupe de ce champagne doré dont les bulles la transfiguraient. Elle n'avait pas l'habitude. Ce bonheur, l'alcool, les étreintes, c'était nouveau pour elle. Une telle joie, elle ne l'avait rencontrée qu'une seule fois, il y a longtemps, lorsque sa mère l'avait emmenée dans une fête foraine de la grande ville si éloignée. Son plaisir n'avait alors pas connu de limite. Cette fois là, comme ce soir, elle s'était donnée toute entière, comme une aliénée. Pas une parcelle de sa peau, de son corps, qui ne fût en communion parfaite avec l'espace heureux dans lequel elle avait baigné. Elle en gardera sans doute le goût dans la bouche pour longtemps encore.
Son mariage, cet homme qui l'aimait et la fêtait comme jamais, tous ces gens aimables et simples et heureux de vivre venus seulement pour elle, pour la soutenir, la haussaient vers des sphères de bonheur dont elle ne soupçonnait même pas l'existence. Elle n'aurait su deviner combien on pouvait être plus heureux. Alors, elle donnait. Elle donnait tout ce qu'elle pouvait, et plus encore, bien au delà des limites qu'elle s'était toujours fixée, pour remercier la terre entière.
Maintenant, elle titubait de l'un à l'autre, communiquant, baisant d'un bout de lèvres, caressant, offrant son contentement à qui voulait. Eux, riaient de cette petite folie qui l'avait gagnée.
Pendant tout le repas, l'homme, tandis qu'il blaguait et parlait fort, les mains à couvert sous la nappe blanche, ne lâchait pas d'une seconde les cuisses dénudées de la femme tandis qu'elle tentait de dégrafer en malmenant la fermeture-éclair du pantalon pour empoigner fermement un membre éternellement dur. Mais comment faisait-il pour ne jamais ramollir? Se disait-elle naïvement sans prendre conscience que c'était elle qui le rendait fou. Elle, elle n'en avait jamais assez. Elle trouvait qu'il ne jouissait pas assez ni assez vite pour elle, pourtant elle ne comptait plus les fois où elle avait dû, en s'étouffant de rire, s'essuyer en douce les mains sur sa robe ou sous la nappe. Elle se fichait de tout; même des gamins qui les avaient surpris sous l'immense table de campagne dressée dans le parc, derrière les cuisines. Là, le personnel, complice, riait des petits cris de souris qu'elle poussait dès qu'il l'effleurait. On comprenait ces élans et les enviait secrètement. On les aimait. Sa douce folie avait quelque chose de contagieux. On souriait, regardait discrètement, se moquait un peu tout en permettant à une bonne chaleur significative de se développer en soi. Ils étaient tous autour d'elle et, en comparaison, le pauvre énorme cochon grillé, flanqué d'une tonne de victuailles, qui aurait dû être la vedette en trônant sur la table, faisait triste mine.
Lorsque la nuit enfin tomba sur tout ce petit monde en liesse et que vint le moment d'allumer les lampions de couleurs, quelques couples se mirent à danser bien serrés à la faveur de cette demi-obscurité. C'était ce que nos deux tourtereaux attendaient - s'ils en avaient encore besoin! - pour s'éclipser vite fait en pouffant et bavant des plaisirs qu'ils se promettaient , sûr que personne ne faisait attention à eux, en faisant un détour par le noir. Évidemment, personne n'était dupe de ce tendre manège, et quelques œillades révélatrices déformèrent les visages un rien avinés proches d'eux. Dans dix ans, on en rirait encore. Sûr!
Quand ils revinrent, bras dessus bras dessous, une petite demi-heure après, la robe et l'éclat de leur visages affichaient un état de délabrement avancé. On leur offrit aussitôt pour les remonter trois autres coupes de champagne frais en les priant de raconter ce qu'ils avaient bien pu faire ainsi loin de tout le monde. Toute la tablée se prit les côtes de rire à la vue des grimaces cocasses de la belle mariée en guenilles qui se défigurait les traits en tentant vainement d'expliquer, par quelques gestes pratiques, que les besoins de la nature sont impératifs et qu'il fallait bien, de temps à autre, évacuer un peu. - Comprenez-vous? - Adorable double sens quasi involontaire bien pardonnable.
Puis vint le moment du tirage au sort de la jarretelle et l'on ordonna à la belle de grimper prestement sur la table. Elle ne se fit guère prier, évidemment, mais on dut pas mal la soutenir tant elle riait et s'excitait de ses débordements. Les paris allèrent bon train et, en quelques minutes de folles exubérances, l'heureux élu réclama son dû et partit hardiment à sa recherche.
Elle se trémoussait, s'échappait, se dandinait, se donnait et se retirait en riant aux éclats. L'ambiance était bon enfant et l'on s'amusait grandement. Même les plus jeunes semblaient être de cette fête campagnarde qui tournait fort bas. C'est alors qu'on s'aperçut que la belle ne possédait plus la jarretelle en question; sans doute l'avait-elle égarée lors de quelques joutes amoureuses inavouables. On chercha partout, qui à quatre pattes sous la table, qui recroquevillé en des postures plutôt bien venues en cette chaude noirceur d'été sans parvenir à mettre la main sur la dite étoffe. On ne cherchait pas vraiment. L'homme élu cria, s'indigna, beugla au scandale, à la persécution tant et si bien que l'on décida de lui accorder un lot de consolation. La belle alors eut une idée qui ne lui ressemblait guère - mais le jour et le lieu n'étaient-ils pas propices à certains égarements bien excusables? Il serait temps plus tard de se purifier l'âme!- : elle lui ferait donc cadeau de sa petite culotte en lieu et place de la pauvre jarretelle disparue.
La mariée s'esclaffait crescendo et son mari se tenait les côtes de la belle idée qu'elle venait d'avoir. Elle s'approcha alors de l'homme en question qui se tenait près de la table souillée de victuailles et d'alcools et présenta de nouveau sa jambe en lui offrant, cette fois-là, de se saisir et d'emporter, à défaut de la jarretelle en question, tout ce qu'il trouverait sous les tissus emmêlés. Tout ce qu'il désirerait. Sans restriction aucune. Elle espérait qu'il serait ainsi satisfait. Elle ne pouvait faire plus et afficha un air marri pour se faire pardonner. L'autre, le bienheureux, s'empressa de glisser sa main sous l'énorme robe qui n'en pouvait plus d'être soulevée et malmenée et l'on suspendit son souffle.
Un silence très concentré s'installa. Les respiration se bloquèrent, les verres restèrent enfin tranquilles sur les tables. On ne bougea plus. La main fouillait, fouillait, cherchait, n'osait pas s'aventurer, hésiter à s'engager sur un terrain sensible devant toute cette assemblée avinée. L'homme restait au niveau du mollet et ses doigts gourds, perplexes, tambourinaient la belle peau fraiche de la donzelle qui le regardait faire. On l'encouragea. Il avait, semble-t-il, quelques difficultés; l'homme n'était plus très frais! Il poussa sur ses jambes, chercha un équilibre précaire d'une main posée sur la table et s'aventura bien plus haut sous les jupes; si haut qu'un tournis le prit. Que pouvait-il bien y avoir la-dessous? Enfin, un juron d'étonnement et plutôt vilain s'échappa involontairement de sa bouche maintenue grand ouverte d'ahurissement: il venait d'atteindre l'endroit fatidique. N'en revenant pas de ce qu'il touchait, de ce que sa main pouvait empoigner à pleine touffe humide d'une manière aussi libre, le noceur, fut, malgré lui, dessoûlé sur le champ. La foule, se méprenant sur le sens de cette réaction, crut qu'il renonçait finalement à emporter le cadeau, fit éclater sa joie en sautant et s'embrassant. Il fallut au marié beaucoup de persévérance pour qu'on parvienne à desceller l'entrejambe de la main suceuse de l'homme sans que la belle y laisse des poils. Il serait bien resté accroché éternellement à cette belle moule-là, le bougre! Il y avait belle lurette que la jolie mariée, on le sait, ne portait plus rien sous sa robe mais que, semblait-il, elle-même avait dû oublier ce détail. Beau souvenir pour l'ami, en vérité, à défaut du cadeau mérité. Il n'en reparla plus, du reste.
…......
Elle sursauta. Elle ouvrit les yeux et sourit en apercevant les photos accrochées devant elle sur le panneau, juste au-dessus du miroir. Elle retrouvait son train, son homme assoupi, sa nuit, son calme, elle. Encore quelques secondes d'observation tranquille puis elle se laissa de nouveau glisser dans l'inconscience en se calant et se pelotonnant entre les bras de son mari. Elle se rendormit aussitôt.
Ils s'étaient gorgés de joies, de plaisirs, d'amour, de folies. Tout ce qu'elle avait osé faire et penser la nuit dernière ne lui ressemblait pas, mais comme rien ne lui laissait un goût d'amertume dans la bouche, elle comprit qu'elle avait fait ce qu'elle avait à faire et qu'à présent, plus rien ne s'opposait à ce qu'elle retrouvât sa vie de femme tranquille et apaisée, libérée, en route vers un voyage qu'elle espérait le plus long possible.
merci d'avoir pris le temps.
· Il y a plus de 12 ans ·Yann Sayr
mais c'est excellent!
· Il y a plus de 12 ans ·où sont les commentaires? où sont les coeurs?
je répare cette erreur d'un clic.
très bien écrit. j'ai pris beaucoup de plaisir à te lire!
Karine Géhin