Vladik

salesgirl

Vladislav reposa son stylo sur son bureau en bois précieux. Les dossiers en cours étaient on ne peut plus délicats. Il était déjà tard. Ces jours-ci, le temps semblait le fuir dans une course effrénée. Il voulut appeler sa secrétaire puis se ravisa. Son travail méritait d’être plus approfondi, il en allait de l’avenir de la Russie. Il se coucherait sans doute au milieu de la nuit.

Il décida tout de même de faire une pause et consulta les notes que son fidèle assistant lui avaient remises. Tiens, le président français a une nouvelle compagne. Il ne faudrait pas faire de gaffe à la prochaine rencontre. Le candidat démocrate est placé en tête des sondages dans la course à la Maison-Blanche. Ça, il s’en fichait. Peu importe qui gagnait cette élection, il saurait rester ferme face à cet adversaire historique de son pays.

Il regarda sa montre une nouvelle fois. Ses filles devaient être couchées à présent. Il les voyait si peu mais il s’en contentait. Sa femme s’occupait très bien d’elles. Et de lui. Il se dit qu’il avait eu de la chance de la trouver.

Il se remit au travail.

Tout reposait sur lui: la situation économique du pays, son statut international, son influence. Il aurait voulu que tous tremblent en entendant la Russie protester. Il avait la nostalgie des temps anciens, de l’époque où c’était son pays qui dictait les règles.

Il aurait tant aimé être dirigeant à cette époque. C’était tellement plus simple en ce temps-là. Il suffisait de donner des ordres et dans chaque république, ils étaient suivis sans discussion. Il aurait sans doute réussi à déjouer les luttes intestines qui gangrénaient le parti. La soif du pouvoir rendait les gens fous.

Il aurait aimé avoir la mainmise sur les richesses dont regorgeait cette terre, la sienne. Lui aurait su les exploiter sans les dilapider, les préserver. Il aurait su résister à toutes les tentations. Il en avait la certitude.

Le téléphone sonna. Il se saisit du combiné. Il avait un mauvais pressentiment. En général, il ne se trompait jamais et son instinct lui disait que quelque chose de terrible était arrivé.

Il avait encore une fois raison. Des commandos tchétchènes avaient pris des otages dans une banlieue éloignée de Moscou. Il jura et se prépara à une longue nuit sans sommeil. Il contacta le président. Juste pour le prévenir car c’était encore Vladislav qui prenait les décisions. Même maintenant. Même dans l’ombre.

Une prise d’otages. C’est ce qu’il redoutait le plus. Non qu’il ne sache comment prendre le problème en main. Ça, il avait son idée sur la question. C’était plutôt que dès que les Tchétchènes étaient concernés, la communauté internationale semblait s’émouvoir. Heureusement, cet engouement ne durait en général que quelques jours. Le temps que le “problème” soit réglé. Mais les media du monde entier allait rappliquer et vouloir couvrir l’événement comme à chaque fois. Et il aurait du mal à déployer assez de force pour contenir tout ce beau monde.

Il s’occuperait de tout cela en temps voulu. Il devait maintenant convoquer tous ses lieutenants en catastrophe, son ministre de la défense en premier. Il fallait qu’il prenne contact avec son homme de confiance là-bas, l’homme qu’il avait placé à la tête de la Tchétchénie. Il fallait aussi qu’il verrouille tous les media russes. Aucune information ne devait filtrer sauf s’il l’autorisait.

Les gens rappliquaient un par un dans son bureau. La mine sombre. Le président était absent. Bien sûr, il n’avait pas grand chose à faire là. Mais c’était quand même lui qui devait se présenter devant les journalistes à la conférence de presse. Il lui restait encore quelques heures. Il serait briefé au moment voulu. Lui non plus il ne fallait pas lui en dire trop, juste le nécessaire.

A mesure que les heures avançaient, Vladislav se sentait de plus en plus las. Il avait hâte d’en finir. Il était conscient d’avoir la vie d’ innocentes personnes entre les mains mais pas seulement. Il voulait aussi préserver la fierté, blessée tant de fois, de son pays. Un pays qui s’était relevé d’une désintégration qui aurait été fatale à tout autre. Un pays qui bouillonnait désormais d’activité. Il en était d’ailleurs fier, conscient d’en être en partie responsable. Il ne laisserait pas un groupe d’idéalistes violents tâcher l’honneur de sa nation. Il fallait laver l’affront.

Au bout de quelques heures, il demanda un café noir à son assistant. Il devait faire une pause. Il avait besoin de réfléchir. Il se demandait pourquoi maintenant, pourquoi, alors que leur pays était exsangue, ces gens s’évertuaient à se battre, à se sacrifier dans ce combat perdu d’avance. Il se leva et fit les cent pas dans la pièce. Tout le monde le regardait sans rien dire. Les conversations s’étaient tues tout autour. Il prit alors sa décision. Cela ne pouvait plus durer. Il fallait donner l’assaut.

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