Vous avez dit bizarre

Jean Claude Blanc

Pour ces exclus du partage de Noël, et me rassurer sur mon sort (méthode Coué)

                              Vous avez dit bizarre

 

Se traine devant moi, vieil homme dépenaillé

Marmonne, tête basse, rien semble le déranger

Est-ce encore un humain, ou l'ombre d'un damné

Vous le trouvez bizarre, et vous vous étonnez…

 

C'est un gamin chétif, encore la goutte au nez

Qui guette aux coins des rues, un peu d'humanité

C'est sûr un peu bronzé, sans doute un émigré

A son air bizarre, on n'ose l'aborder

 

Les banlieusards hagards, dégueulent du métro

Une armée de blafards, qui rentrent du boulot

J'emboite leur routine, rejoins la procession

Je pense, c'est bizarre, se posent pas questions

 

Ma collègue de bureau, me sert mon café

Je vois bien dans ses yeux, quelques larmes ont coulé

Aux bleus de son visage, elle a dû dérouiller

Bizarre cette gonzesse, elle ne se plaint jamais  

 

Mon pote est manager, nanti de ses galons

Il passe ses journées à recompter des ronds

Ne parle que par les chiffres, à devenir dingo

Son humour a perdu, bizarre son numéro

 

Mon voisin de palier, je l'aperçois de loin

Ne reçoit plus chez lui, que son fidèle médecin

Peut-être perd la boule, ou a du vague à l'âme

En tout cas c'est bizarre, Dieu sait ce qui se trame

 

Pour s'éviter de penser, à perdre la raison

On se pose sans arrêts, des questions sans réponse

Chacun a son train-train, à son turbin, il fonce

Viendront bien assez tôt, les cris d'exclamations

 

La gosse de la gare, se bourre de cachetons

Ce n'est qu'une gamine, qu'est mignonne tout plein

Soudain m'a fait faux bond, partie à l'horizon

Bizarre cette jeunesse, qu'a perdu son chemin

 

Ce qu'il y a de grotesque, c'est qu'on accepte tout

Tellement préoccupés, par notre propre destin

Amnésique chaland, de tout ce contrefout

Caresse son nombril, des autres n'attend rien

 

Je me répète parfois, ne faudrait pas grand-chose

Pour transformer l'étrange réalité des choses

Mais c'est acte manqué, car la chance a tourné

Tu peux toujours courir, quand le train est passé

Dehors, c'est l'hiver, même dans mon cœur il neige

Ce verbe se conjugue qu'à la 3ème personne

Comme le St Esprit, un tiers bien abstrait

Juste pour dédouaner notre âme polissonne

 

On aime la nature, surtout quand il fait beau

A l'ombre des forêts, murmurent les oiseaux

Ça fait bien des années, qu'elle souffre le martyr

Bizarre la pollution, on l'a pas vue venir     

 

Nos sociétés modernes, brillent de mille éclats

Vitrines achalandées, souvent on fait faux pas

Chéquier à découvert, interdiction bancaire

En plus on nous rajoute, des intérêts galères 

 

Ce monde est destiné, à périr de ses plaies

« De Rérum Natura », de Lucrèce inspiré

Par la nature des choses, ton sort, coupe réglée

Les religions occultent, qu'on va tous y passer

 

Devant nos forfaitures, on joue les étonnés

On s'avoue pas en face, nos 4 vérités

Facile de s'enrober, de belles aventures

Bizarreries habiles, pour ne pas s'impliquer

 

Peut-être pour subsister, suffit de faire semblant

Manipuler les « si », prudent conditionnel

Le sage veut surtout pas, passer pour rebelle

Observe en ses patients, ce qui hante en dedans

 

En fait, y'a rien d'étrange, réalité cruelle

Epicurien gourmand, j'ai choisi la vie belle

Ce qui est pris, est pris, demain n'est que chimère

Ne suis pas philosophe, qu'un homme ordinaire

 

Autour de l'insolite, se rassemblent les commères

Bavardes comme des pies, commentent pour pas cher

Te taillent paletot, en invoquant le ciel

Que jamais mauvais sort, ne retombe sur elles

 

N'y a rien de bizarre, c'est un pet de l'esprit

Ainsi on se protège, de ses propres tyrannies

Le bipède à jugeote, épris d'éternité

Se gausse de volupté, apparences sauvées

 

Je m'observe rêver, errant dans mes pensées

Je joue les amnésiques, me croyant épargné

Car un jour à mon tour, ça pourrait m'arriver

Ce temps est si bizarre, qu'il pourrait m'échauder

JC Blanc      novembre 2021

(La mort ne nous concerne pas, puisque elle est la fin de toute sensation) Lucrèce

Signaler ce texte