Vous avez dit voyage ?
Dominique Arnaud
Vous avez dit voyage ?
Puisqu'on est dans le monde...
Après avoir lu Un Vent de liberté de Florence Arthaud, se plonger dans Océans'Songs d'Olivier de Kersauson, et ne pas inverser cet ordre, car bien que je n'aie pas, de prime abord, une sympathie particulière pour le premier, je pense que le texte de « la petite fiancée de l'Atlantique » risquerait de paraître mièvre s'il était feuilleté en seconde position...
Pourquoi ces références marines et littéraires aujourd'hui ? Parce que je suis exactement, au Mexique, entre influences Pacifique et Atlantique, que je me balade tous les jours sur Internet, mais que cela ne suffirait pas à mon besoin de dépaysement. Par contre j'y trouve les cartes qui me manquent pour aller sur le terrain. Or les premières pages de Kersauson m'ont vivement interpellé. Le skipper raconte comment il a reçu sur son bateau deux types souriants et presque enfantins qui s'empressèrent de sauter comme des gosses de six ans sur les trampolines de son navire. Ces quasi adolescents n'étaient autres que les fondateurs de Google, le fameux moteur de recherche, pour lequel ils avaient inventé « le planétarium à domicile et la dématérialisation du savoir » merveilleux outil ne pouvant totalement satisfaire qui a passé sa vie à tutoyer les océans et qui écrit « puisqu'on est dans le monde, il faut le courir ».
J'ajouterai qu'il faut le sentir sur sa peau, dans son corps, dans ses muscles et avec son âme, que tout voyage lointain mais stéréotypé, sans contact vrai avec la nature et avec les gens, n'est pas un vrai voyage, alors qu'en revanche un voyage court, et près, mais effectué sans moteur, au cœur des éléments, gagne ainsi des lettres de noblesse.
J'ai participé jadis, par profession, à des voyages organisés où le guide n'avait jamais le temps de nous laisser marcher, sentir le froid ou le chaud, humer la pluie ou la poussière, prendre le loisir de s'arrêter pour rêver. C'était frustrant. Au Mexique, (comme en France d'ailleurs) même les balades modestes peuvent prendre une dimension différente, on est toujours au cœur de quelque chose. Tenez, ce matin, j'ai utilisé le vélo pour aller voir un village m'ayant fait penser un peu au Far West : Santa Catarina.
Il fallait d'abord monter de sacrées côtes à travers les quartiers situés au nord de Cuernavaca parmi des embouteillages de mamas conduisant les enfants à l'école, affronter le trafic de la grand'route, déjouer les embuches d'une chaussée inégale (nids de poules et topes), mais aussi traverser une végétation luxuriante, avoir pour horizon des montagnes rocheuses déchiquetées et un drôle de cratère en fer à cheval, respirer en passant l'odeur des tortillas qui cuisent, sentir se durcir les mollets dans les côtes et se raccourcir le souffle pour cause d'altitude, entendre hurler les hauts-parleurs des crieurs de journaux mettant en évidence quelque nouveau crime maffieux, leur acheter des pages ensanglantées, et enfin s'arrêter à une terrasse pour déguster un Coca à sept pesos, dans un lieu précaire où la monnaie vous est rendue deux fois : en piécettes et en sourires.
Et enfin rebrousser chemin en tentant de varier l'itinéraire, doubler par la droite des processions de voitures, prendre le temps d'observer un monde bigarré composé d'une multitude de petits métiers qui disparaissent d'Europe. Pour ne pas rallonger le texte je n'en dirai pas davantage, il y a le descriptible et ce qui ne l'est pas. Mais ce qui est sûr, c'est que tout ce que je vous ai raconté ne se rencontre pas en surfant sur Google Earth. Pas davantage que les embruns de l'océan et les trampolines de Kersauson !
D.A.
J'aime beaucoup cette idée d'un voyage court mais un voyage vrai. Votre texte est très beau, très riche. Il imprègne le lecteur en profondeur. On sent nettement chez vous l'envie véritable de découvrir de nouvelles cultures en sortant des sentiers battus. J'adore cette façon de voir les choses.
· Il y a environ 14 ans ·bibine-poivron
En réalité, aucune balade n'est modeste, il suffit d'ouvrir les yeux et d'être perméable à ce qui nous entoure ... C'est peut-être le fait de les raconter ou encore mieux, de les écrire si bien, qui les magnifie .
· Il y a environ 14 ans ·the-cat-a-strophes