Vous pourriez tout avoir, les enfants !

henri-charte-pocel

Voici une petite chronique qui concerne l'éducation. Vous pourriez tout avoir si vous choisissiez de tout avoir. Mais comment cette idée pourrait-elle vous venir, quand on vous rabâche depuis la prime enfance que vous êtes contraints de devenir "comme" vos aïeux, dont les armes se résument à un denier tout neuf ?

Je promenais mon chien dans le parc de mon quartier par cette belle journée d’été, et je repensais aux articles que je venais de lire relatifs à l’éducation. Au cours de ma balade, je rencontrai un couple de personnes âgées qui accompagnait ses deux petits-enfants qui ne dépassaient pas les sept ou huit ans. Parmi la foule qui m’entourait, je les remarquai car la grand-mère les gronda de la sorte : « On vous a payé des gaufres, on vous a payé des tours de manège. Vous ne pouvez pas tout avoir ! ». Ces phrases m’interpellèrent pour plusieurs raisons, d’une part parce que j’entendais une revendication pécuniaire dans ce qui aurait dû, à mon sens, être un acte désintéressé et gratuit, et d’autre part pour cette maxime impérieuse du « Vous ne pouvez pas tout avoir » qui m’exaspéra intensément. Non pas que je reproche à cette mamie de « faire l’éducation » de ses petits-enfants, il est naturel et de bon sens, je crois, de ne pas céder à tous leurs caprices, car nous savons trop bien à quoi mène de trop les gâter.

Mais je voyais là toutes les pseudo-valeurs de la société actuelle, en pleine transmission intergénérationnelle : l’argent, et la bride du potentiel des jeunes générations. Avec ce genre de tournures, les cadeaux n’avaient même plus l’air de cadeaux, mais de valeurs monnayées distribuées comme telles, et non pour leur produit, ou mieux, pour le geste de donner. De même, je voyais dans le « Vous ne pouvez pas tout avoir » une imprécation que j’aurais voulu corriger en « Je ne veux pas vous donner tout ce que vous voulez ». Car pourquoi et au nom de quoi cette hyperbole ? A force de répéter aux enfants qu’ils ne peuvent pas atteindre leurs désirs sous prétexte que nous sommes incapables –ou ne souhaitons pas les leur céder, nous ne devons pas les empêcher de s’en donner les moyens. Je crois qu’il serait bon de tirer de la philosophie américaine son encouragement à la réalisation de soi par l’atteinte de ses objectifs, et de lui allier la conscience d’autrui, de décentrer le sujet sur lui-même et de lui permettre de se réaliser avec la pleine conscience de l’impact qu’aura la réalisation de ses désirs sur son environnement comme sur lui-même.

Il me semble que les mots ont leur résonance sur le monde, et que nous devrions prêter plus d’attention aux terminologies que nous utilisons, car même si les idées de cette grand-mère n’étaient que de discipliner ses petits-enfants, elle a laissé déborder des valeurs qu’elle ne souhaitait peut-être pas extraire de ses pensées. Et qui sait combien de fois au cours de leur existence ces enfants seront les auditeurs de ce genre de lapsus ? A combien de reprises ils auront tout le loisir de les assimiler ?

Je ne me veux pas un Jean-Jacques Rousseau distribuant gracieusement des friandises à des petits enfants, mais je crois qu’il faut remettre de l’amour dans les actes de notre quotidien, et que l’éducation passe aussi, et peut-être d’abord, par le don au sens propre, celui qui n’attend rien, ni plus, ni moins que ce que nous voulons qu’il soit, en passant par le don de soi, c'est-à-dire un acte d’amour, qui apporte, comme le notait si justement Luc Ferry, la confiance en soi nécessaire pour grandir et s’élever.

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