Voyage aux confins de l’amour
Michel Chansiaux
Voyage aux confins de l’amour
Roberto aime passionnément les femmes. À cinquante ans, il se rend compte qu’il en a connu une centaine environ. Bien que deux de ces femmes puissent prétendre au statut de « mères de ses enfants », trois magnifiées en « amours de jeunesse », quatre reconnues comme « compagnes affichées », cinq admises en tant que « maîtresses attitrées », six dites « collègues qu’on aurait surprises en train de lui tailler… », dix certifiées « horizontales tarifées », trente consacrées « belles rencontres de la vie » et le solde étiqueté « anonymes enfilées en club ou en sauna », il se refuse à croire que la durée passée auprès d’une en particuliers ou la multiplicité des rencontres contribuent en quoi que ce soit à la connaissance du sexe opposé. Reprenant la classification en vogue des femmes en trois catégories selon Frédéric Beigbeder : les nymphos, les oiseaux mazoutés et maquées-coincées, il se dit qu’il a tâté largement de chacune. Et comme le romancier à succès, il tire cette conclusion qu’il existe une incompréhension totale entre les hommes et les femmes. Car aucun de ces genres ne peut satisfaire un homme. Les premières ne sont que des garages à queues, leur prétendue audace en matière de sexe n’est en fait qu’une « désinhibition » froide et prophylactique, telle qu’elles la décrivent dans leur profil sur les sites libertins : « pratique anulingus si hygiène en rapport ». La tendresse, la sensualité, la complicité les ont quittées. Les blessées temporaires ou incurables de l’amour ont perdu toute confiance dans la gent masculine. Célibataires ou séparées, elles ne gardent comme amis que les homosexuels ou les impuissants et appellent secrètement de leurs vœux que les mutuelles prennent en charge tout ou partie des achats des sex-toys de base. Si elles consentent à faire l’amour, ce sera après les longs préliminaires durant lesquels toute l’énergie de libido aura été affectée à la parole. Elles n’en veulent d’ailleurs à quiconque de rester mou pour peu que ses doigts fassent haleter, en post-palabres, leur clito poussif. Enfin la grande masse de la troisième catégorie cohabite avec un homme dont elles laissent l’accès libre à leur fente, notamment pour sa Carte Bleue, voire à son pénis, tandis qu’observant le plafond elles revisitent les devis de leur prochain botox. Cependant, se dit Roberto, les premières heures intimes avec une femme peuvent être formidables. Dans ces rencontres de type « coup de foudre » l’homme va truster sur cette relation pleine de promesses, d’espoirs, d’épanouissements, de découvertes. La femme, dans ces circonstances va donner le meilleur d’elle-même. Elle va se surprendre à demander ou à jouir de l’inconcevable il y a encore quelques heures. Le lendemain, l’un se dira, quel début, jusqu’où irais-je avec cette compagne à mes côtés ? L’autre dira, je l’ai comblé, il a vu de quoi j’étais capable par amour, ainsi pourrais-je le garder près de moi. Roberto comme tous les hommes qui ont un peu roulé leur bite a l’intuition de ce hiatus. Au fil des jours, la femme redescend à une offre de croisière tandis que l’homme mise sur l’amélioration de ce minimum syndical. L’un reste toujours un enfant qui veut grimper, l’autre s’empresse de mûrir pour mieux gérer son déclin. Le malentendu va aller croissant. L’une va bientôt se sentir harcelée par les propositions outrancières qui vont lui être faites et l’autre va désespérer à l’entrée du vagin. Car finalement, le seul terrain d’entente est là. « Prends-moi » « Oui je te prends » « comme époux » ou « comme épouse » dit-on devant le prêtre le jour du mariage. Ces mots ne sont pas là par hasard, car l’union d’un homme et d’une femme, c’est un vagin à prendre ou à laisser. Tant qu' à faire autant prendre de dit Roberto ! Mais que prend-on ? Roberto s’est posé la question durant la nuit. Tandis que sa femme dormait, il a glissé ses doigts dans la grotte, chose qu’elle supporte à peine lorsqu'elle est éveillée. Et puis, lentement sans forcer, tout en douceur, il a continué le voyage. Au fond de ce couloir, il y a une porte. Il est possible de la passer avec beaucoup de doigté. Ensuite, c’est la matrice. Un long vestibule dont le circuit semble être plein de coudes. On y tourne en rond mais c’est immense. Une sorte de labyrinthe soyeux. On marche sur une épaisse moquette. De çà de là, dans la pénombre on entrevoit la capacité du lieu en matière d’enfant. Des nids douillets où ils vont pouvoir se fixer et grandir. Roberto en fut fort ému. Il essaya d’aller plus loin. Il toucha un objet métallique froid. Pas possible, se dit-il, serait-ce un vieux stérilet ? Il voulut vérifier mais maladroitement il fit tomber la chose. Cela fit un boucan épouvantable qui réveilla sa femme. Aussitôt, elle se précipita sur l’interrupteur de la lampe de chevet et la lumière envahit l’espace. Roberto ébloui trébucha et entraîna dans sa chute d’autres objets similaires. Où pouvait-il bien être ? Jusqu’où mène le sexe ? Jusqu'où les femmes veulent-elles nous entraîner ? Finalement que désire une femme dans son fors intérieur ? Cette chose métallique effleurée du bout des doigts, est-ce une pépite ? Les femmes ne fabriqueraient-elles pas un matériau précieux, comme les perles des coquillages ou l’ambre des baleines ? Qui y a-t-il aux confins extrêmes de l’amour ? Au fond n’était-ce pas merveilleux ? Ses yeux 'accoutumant, il vit enfin là où le vagin menait. Sur le sol rebondissaient en tintant les fameuses pépites : des louches et des écumoires. Se retournant, il aperçut les lits d’enfants, les couettes, les taies. Il était chez Ikéa !
Je te remercie de ton passage dans mon placard !
· Il y a plus de 11 ans ·Michel Chansiaux
Réussi !
· Il y a plus de 11 ans ·Pas facile de faire rimer érotisme désabusé et ustensiles de cuisine mais à ta lecture...
ça coule de source, si je puis m'exprimer ainsi ;))
jones