Voyage en assiette

Colette Bonnet Seigue

Quand enfant, on a plutôt faim de rêves...


Assiette débordante de jours heureux

Le fumet s'anime,

Titille mes papilles,

Se faufile

En creux d'estomac.

Ça sent le frichti des tables d'autrefois,

Aux heures douces.

Attention ! Tiens-toi droit !

« On ne mange pas avec ses doigts !

Sans bruit de gargouille ! »

Assiette sirupeuse

Trop pleine,

Impossible à vider.

Ça s'arrête là

Comme la coulée de lave

Qui engorge son terminus !

J'peux pas !

Pas faim !

« Mange ! Mais mange donc ! »

La coulée grossit

A débordement.

Des hauts le cœur.

« Tu dois manger ! »

J'peux pas, j'peux pas !

Assiette gargantuesque

Pour mon estomac muet,

Désobéissant.

« Si on ne mange pas,

On ne grandit pas ! »

Alors, je veux rester naine

Avec mon cœur,

 Grand comme l'Everest !

J'ai faim de regards sirupeux

De baisers gourmands,

De caresses crémeuses. 

« Mange ! Mais mange donc ! »

Mon assiette,

Mon antre,

Où le rêve tenace

A pris place

Effaçant la déferlante de rots.

Je nage en flots verts,

Salsifis-pirates, passez mon chenal !

Je prends le large

Dans mon assiette voilier.

J'écope le trop plein

Pour rassasier les poissons.

Mon assiette se vide,

Ma fourchette pagaye

A contre-courant

« Mais enfin tu rêves ? 

T'as rien mangé ! »

J'peux pas, j'peux pas !

Mon cœur est repu

D'écume, d'horizon tentateurs

A fumet libéré.

Je m'endors au quai désobéissant

De mon assiette-radeau…

 

 

 

 

 

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