Vu d'en bas

ladyquiet14

Une histoire courte. Des souvenirs remontent à la surface, des images... Une chute inattendue.

Je m'étire, comme chaque matin depuis bien longtemps. Mon dos craque, chaque vertèbre, une à une. Je baille, mes yeux encore lourds de sommeil tentent de se fermer à nouveau et je dois lutter pour les rouvrir. Je me lève, descends du premier étage, puis par la petite échelle. Le petit-déjeuner est servi ! Parfait, comme toujours ! Elle y pense, chaque matin. De l'eau fraîche, un peu de lait aussi. Et mon met préféré : un peu de poisson. Du saumon ce matin ! Oui, j'en suis conscient, tout le monde ne prend pas ça au petit-déjeuner, certains seraient même rebutés, dégoutés de manger ça à peine levé. Mais c'est ce que je préfère, et nous avons pris cette habitude, elle et moi, depuis bien longtemps maintenant. Je me rappelle encore de mon arrivée ici, dans cet appartement du second étage, dans une rue très passante, où la sirène des pompiers ne cesse de retentir. Elle vient se répercuter d'un mur à l'autre, d'un côté à l'autre de la rue, et elle s'amplifie ! Jusqu'à parvenir à mes oreilles. Tiens ! La voilà qui retenti. Ayant terminé de manger, je me lève et vais à la fenêtre pour voir le camion rouge passer, la grande échelle est de sortie, ça doit être assez grave. Enfin… Il est temps pour moi de me laver, avant de reprendre mes occupations habituelles. Je la suis dans la salle de bain, la frôle. Je la regarde, elle a changé elle aussi, physiquement parlant, par rapport au tout début, par rapport à mon arrivée dans sa vie. Mais avec moi, elle reste la même, gentille, attentionnée. Tout ce dont je pourrais rêver, et surement plus encore.
         Après m'être soigneusement lavé, je vais m'assoir, les yeux dans le vague, je regarde sans regarder. Les souvenirs remontent, elle était si jolie… Elle l'est encore bien sûr ! Mais plus dans la fleur de l'âge. Quelques rides commencent à cerner ses yeux, ceux-ci continuent de pétiller de joie quand ils me voient. Nous avons tellement partagé depuis ces 15 années. Le début me parait si loin, et souvent j'ai l'impression d'être si vieux… Moi aussi je vieilli… Je commence à blanchir tout doucement… Enfin, le temps passe, et nous sommes toujours ensemble, rien ne nous sépare. Je me rappelle, et je souris. Quand j'y réfléchi, mes souvenirs remontent à ma naissance. Ma mère, brave femme, je n'ai pas eu le loisir de la connaître longtemps… mais je sais qu'elle l'était. Elle nous a élevé, mes frères et sœurs et moi-même, sans père. Nous étions six ! Deux filles et quatre garçons. J'étais le plus petit d'entre eux. Elle nous aimait, nous le montrait par ses caresses, ses câlins. Elle a eu le temps de m'apprendre les choses les plus importantes pour que je puisse mener ma vie comme il le fallait, dignement, sagement. Et surtout, pour être heureux, car le bonheur est l'important en ce bas monde. Je repense à tout cela, quand elle passe devant moi, me souriant puis vacant à ses occupations. On se connait tellement maintenant, que l'on peut se passer de mot. Rien qu'un regard, un sourire, et l'important est là, dans ces moments. Et l'instant passe et s'allonge. Je repense à ce regard, la première fois. C'est elle qui m'a trouvé. Je jouais avec mes frères et sœurs, dehors devant la maison, dans le carré d'herbe qui faisait office de jardin d'entrée. Elle était là, de l'autre côté de la rue. Elle nous observait, moi en particulier. J'aurais voulu m'approcher d'elle, mais j'avais peur de traverser la route, peur pour les voitures, mais aussi parce qu'à l'époque, j'étais jeune et ma mère me l'avais formellement interdit. Mais on se regardait, on se comprenait. Et un jour, c'est elle qui est venue… Comme j'étais timide, comme j'avais peur, je me réfugiais derrière mes frères et sœurs. Eux sont allés jouer avec elle. Mais même dans ces moments de jeux, elle n'avait d'yeux que pour moi. Et ça, ça a créé un déclic. Je me suis approché, sans un bruit et ai joué avec elle. Mon cœur était pris, et j'ai su, que plus jamais je ne pourrais la quitter.
         C'est comme ça qu'elle m'a embarqué, dès ma plus tendre enfance, et me voilà parti ! J'entre dans son monde, qui deviendra par la suite le mien. La première fois que je suis allé chez elle, à l'appartement du 2ème étage, je me sentais tout petit ! Et pour cause : je l'étais. Encore très jeune, trop jeune. Et mon cœur, arraché à ma famille, tant est si bien que je ne les ai jamais revu, mais peu m'importait, elle était là, avec moi, et elle ne me quitterait jamais.

J'entrais, et un espace m'était réservé, comme si elle attendait mon arrivée depuis longtemps, et j'appris d'ailleurs par la suite que c'était le cas. C'était de moi qu'elle rêvait, et ce depuis si longtemps. Elle me disait qu'elle me cherchait, la nuit quand elle se réveillait, mais je n'étais pas encore là, et pour cause : je n'étais même pas né ! Oui, nous avons une sacrée différence d'âge… Mais qu'importe, je l'aime et elle est à moi, comme je suis à elle, dévoué et fidèle. Donc me voilà, franchissant le seuil, entrant dans une pièce blanche, lumineuse et richement décoré de tableaux faits main, et quel talent ! La joie que j'ai alors ressentie, un chez moi, un chez nous ! Et je l'acceptais, dès que j'entrais. J'inspectais tous les recoins, plusieurs fois, pour être sûr d'avoir bien fait le tour du propriétaire. Dès mon arrivée, je me faisais chouchouter, j'avais une chance immense, bien plus que mes frères et sœurs restés à la maison, avec ma mère. Moi, je vivais ! Je m'envolais de mes propres ailes si je puis dire. Et ce, grâce à elle ! Je dormais beaucoup à l'époque, non pas que je ne dorme presque plus, mais surement un peu moins. Ses bras étaient toujours prêts à m'accueillir, et comme j'aimais m'y blottir ! La douceur, la sécurité, les sentiments… Tout passait par ce simple geste. Nous jouions, nous nous chamaillons. Je l'embêtais avec ses pinceaux quand elle peignait… Faisant tomber la peinture et marchant dedans, en mettant plein l'appartement… Comme je me faisais gronder ! Et je n'en menais pas large ! La queue entre les jambes, je filais à l'autre bout de l'appartement, me faisant tout petit, invisible. Puis après m'avoir grondé, peu de temps après, tout redevenait normal.

Que de souvenirs ! Je m'étire à nouveau avant de sortir par la porte, je dévale les escaliers et sors. Je me balade maintenant dans les rues où j'avais si peur autrefois. Après tout, il suffit de faire attention aux voitures, aux vélos et aux gens qui marchent sur le trottoir. Je salue en passant quelques amis. Je m'arrête au café du coin, la patronne qui me connait bien m'offre un peu de lait, elle sait que j'en raffole ! Quand je pense à ce que la maîtresse de maison dirait de cela… Ah ! Mieux vaut ne pas y penser. Je vais dans le parc près de l'appartement, l'herbe est si tendre, je m'allonge de tout mon long au soleil. Je regarde les oiseaux dans les arbres, j'aurais bien envie de les rejoindre, mais je ne suis plus si jeune, et plus aussi souple pour grimper aux arbres ! Ah je me rappelle, quand j'étais petit, j'adorais y grimper, et Elle détestait cela, ayant toujours peur que je me blesse, que je ne tombe et me fasse mal ! Mais j'étais bien trop agile pour cela ! Je retombais toujours sur mes pattes. Le bon vieux temps.

Après quelques heures passées là, je rentrais chez moi, chez nous. Elle est là, me sourit en me voyant arriver, puis elle me prend dans ses bras où je ronronne allègrement ! J'adore quand elle me gratouille derrière les oreilles ! Eh oui ! Le chat que je suis apprécie toujours les bonnes choses. Je retourne tranquillement dans mon panier, celui qu'elle m'a confectionné, bien rembourré avec du coton, et du tissu si doux ! Au petit soin pensais-je, elle l'a toujours été, et ce dès mon arrivé. Son affection n'a jamais tarie. A quelque mois, 3 exactement, elle m'a enlevé à ma famille, à ma mère et mes frères et sœurs. Mais elle m'a donné tant d'amour en retour ! Je l'ai soutenue, avec toute la force que j'avais. Et je l'ai aimé en retour, oui je l'avoue, malgré cette séparation imposée.

Je m'allonge, heureux de ces pensées, heureux d'avoir toujours ces souvenirs. Un jour je m'éteindrai, comme les autres, et je vieilli, comme les autres. Le jour approche de plus en plus, et ça lui brisera le cœur tout en arrêtant le mien. Mais il ne faut pas y penser.

Je savoure l'instant, me contentant de la regarder s'occuper du linge, elle me regarde en souriant. Et je sais que c'est ça le bonheur. Et chaque prochain jour qui passera sera comme ça, même le dernier. Je ferme les yeux après avoir baillé, l'image d'une femme heureuse, de la femme qui m'a aimé m'accompagne jusque dans mes songes.

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