Wakan

Marie Guzman

dans l'Afghanistan d'aujourd'hui un conte, une histoire comme on l'imaginerait ... @ Photos de l'Express 2012
« Que ton avion s'écrase et que le pilote meure, Toi qui déverses des bombes sur mon cher Afghanistan. » Un landai est une poésie à deux vers celui-ci est un des plus célèbres dans la période de la guerre contre les soviétiques. La poésie patchoune est un instrument de rébeillon, les femmes enfin un petit nombre d'entre elles l'utilisent pour dire leur révolte. J'ai écrit cette nouvelle pour penser à elles en ce 8 Mars 2016.
 
Dans un zeste d'azur à faire pâlir le ciel du Nevada, Jack atterrit sur le sol afghan. L'aéroport de Kaboul loin de ressembler à celui de McCarran se présente comme un lieu de guerre. Les rues dorénavant dédiées au culte d'hommes violents tentent de se remémorer les acquis légitimes des femmes.  Il pense à Wakan. Que fait-elle maintenant ? Souffre-t-elle encore ? Une angoisse diffuse s'immisce dans sa poitrine. Il la rejoindrait dans deux jours  maintenant.
 
Deux mois plus tôt dans son container climatisé, Jack pilotait un drone et survolait les villages autour de Kaboul. Les ordres étaient d'éliminer la menace talibane, pudique formule qui signifiait la mort pour d'autres êtres humains loin du Nevada. La reconnaissance des individus était faite en amont, et les ordres arrivaient en même temps que l'identification de tel ou tel terroriste. Jack n'y tenait plus...
 
C'est dans un de ces moments de doutes qu'il observa un homme en armes rentrer chez lui dans un village situé à deux cent cinquante kilomètres de Kaboul. Un combattant obéissant à un chef présumé, un taliban sortit de ténèbres obscurantistes probablement responsable des dernières lapidations et autres tortures légitimes dans cette région du monde, la Haute-Asie si belle autrefois. Les maisons en terre donnaient aux habitants accablés de chaleur la possibilité de rester à l'abri. Autour de quelques cuves d'eau souvent aménagées pour les enfants, les villageois se réunissaient pour se rafraîchir. Des villages au passé tranquille et au présent déchiqueté.
 
Un présent où cet homme avançait maintenant à grands pas dans la direction de sa maison. Son épouse ratissait un jardin sommaire, fait de lavandes et de quelques herbes aromatiques reconnaissables à leurs couleurs violettes et argentées. Quand la femme entendit le pas de son époux elle partit chercher son tchadri dont elle se passait pour les travaux. Elle tenta de le remettre avant son arrivée. Jack ne quittait pas la scène des yeux. Plutôt grande et frêle elle cacha son visage, apeurée. Les coups ne tardèrent pas à pleuvoir tantôt à mains nues, tantôt à l'aide de la crosse du fusil, puis son tortionnaire la retourna à même le sol et la viola sauvagement. Jack resta interdit. Les yeux embués de rage, il fulminait. Il regarda la malheureuse se hisser après quelques longues minutes sur ses poings ensanglantés, il pouvait distinguer la douleur qu'elle ressentait dans la difficulté qu'elle exprimait à se redresser. Elle se remit pourtant au travail, s'en suivirent quelques difficiles allers et retours pour le râteau dans les allées autour des bosquets de plantes gris perlé. L'officier aux côtés de Jack cherchait une explication, une parole réconfortante à coller sur cette scène d'extrême violence. Ils restèrent muets un moment, puis Jack déjà exposé à une trop forte montée de stress décida de prendre l'air. Il demanda au second de prendre sa place et sortit du container.
 
 Il shoota dans le sable, hurla au ciel sans tache, témoin de la guerre invisible qui frappe et qui décime sans bruit jusqu'à l'étouffement de toute conscience. Il resta dans cette colère une dizaine de minutes puis n'étant pas enclin aux débordements, Il se ressaisit et rentra prendre sa place dans le cockpit aux côtés de son second qu'il installerait au marquage pour le reste de la journée. Il garderait la conduite du drone en survolant le fameux village pour surveiller ce salopard. Jack décida de l'identifier. Il prit les six heures restantes au satellite et à son statut de militaire, pour régler à sa manière ce conflit qui le rendait malade de ce monde.
 
Quatre heures après cet ignoble spectacle il avait réussi à localiser l'endroit où ce violeur s'était rendu et ne le lâcha plus. Il donna congés à ces deux sous-officiers en prétextant le peu d'activités et des rapports en retard. Il ferma la porte du container à double tour, se repositionna au-dessus des environs de la maison à l'aide du «  Joystick » et attendit patiemment le retour du mari. Ce ne fut pas long, il ajusta alors un tir en prenant soin de laisser une distance de sécurité, attendit les dix secondes nécessaires et regarda enfin le sol débarrassé de cet être malfaisant. Il avait éliminé la menace. Il caressa l'écran à l'endroit où se trouvait la femme sans voile, un moment d'émotion qu'il n'avait pas ressenti depuis des mois. Il essuya ses yeux. Il plia bagage, sa décision était prise. Il avait été pilote pour défendre son pays il ne finirait pas en assassin qui tue à dix mille kilomètres de distance des gens pas plus terroristes que lui finalement. Il se laissa aller à sourire dans sa voiture où Bob Dylan l'aida à ressentir des émotions oubliées … « Blood in my eyes » … le soir pouvait venir, « blood in his eyes, »
 
« Woke up this morning , feeling blue, 
Seen a good -lookin' girl , can I make love with you? 
Hey , hey, babe , I got blood in my eyes for you, 
Hey, hey, babe, I got blood in my eyes for you.
I got blood in my eyes for you, babe,
I don't care what in the world you do. »
 
Bob Dylan, décidément, avait le feeling …
La route fut porteuse d'espoir comme une rencontre récréative à l'heure des meilleurs copains ! ... La vie, que ce mot semblait asséché certains jours et gorgé de la plus vibrante des émotions à d'autres. Sans les explosions sur les terres afghanes, Jack regagnerait en humanité, du moins il l'espérait. Il se coucha et s'endormit facilement sans la demi-bouteille de vodka habituellement nécessaire pour effacer les fantômes. Bob fredonnait dans sa tête.
 
Un matin aux abords vibratiles, du soleil peu fanfaron, presque pas de tremblements au réveil, la vie fit une halte dans sa chambre de solitaire. La valise, le passeport, des tenues de rigueur pour un autre soleil moins discret : ses préparatifs semblaient aussi impatients que lui. Les éléments se liaient de belle manière, il commençait à entrevoir une trêve et se répétait intérieurement : j'ai fini la guerre. Il passa des coups de fil et se rencarda chez ses contacts au Penjab et à Kaboul. Kaboul la scintillante d'autrefois, Kaboul interdite de liberté, Kaboul privée du sourire des femmes. Il savait que ça ne serait plus comme avant, quand il se déplaçait avec son père, petit, il avait aimé cette partie du monde riche de couleurs et de sensations fantastiques. Les balades avec sa mère dans les allées d'une ville joyeuse. Il rêvait de ces premiers corps de femmes entre-aperçus responsables de ses émois adolescents, puis remit Bob Dylan qui proposait depuis vingt-quatre heures de nouveaux regards.  Une fois son séjour organisé sur le sol afghan, il prévoyait après le séjour à l'hôtel une retraite dans une maison abandonnée où ses contacts du Penjab avaient confirmé la discrétion du lieu et leur présence. Un vol et un séjour à peu près organisés, pour des retrouvailles entre amis d'autrefois et de même conviction. Leur mobilité serait assurée par la  location d'une voiture aguerrie aux terrains de toutes natures ainsi que la présence d'un guide qui pourrait diriger les pas de cette troupe d'hommes qui œuvrerait dorénavant au sauvetage de tout ce qui pouvait l'être. Il expliquerait son plan en détail une fois sur place. Edak à deux heures de Kaboul, serait le lieu où il peaufinerait les actions à mener.
 
Pendant les nuits suivantes,
Un souffle de désert l'embarqua…
Il la voyait danser dans l'onde blonde
Celle d'un jardin aux lavandes argentées,
Longtemps … dans l'immensité de la cité scintillante
 
Elle virevoltait les cheveux défaits
La vie moelleuse revenait le chercher
Pendant qu'il dormait son corps se cabrait
Il relevait les hommes tombés au combat
Longtemps…dans l'immensité de la cité scintillante
 
Et cette femme brune aux reflets de bleu mystérieux
Lui tirait la manche
Quand il osa poser son regard sur elle
Il vit des perles décorer sa taille
Elles roulèrent sous la pression légère de ses doigts
Longtemps … dans l'immensité de la cité scintillante
 
Des parfums gorgés de jasmin
Des orangeraies accueillaient les courbes des femmes
Aux visages libérés…
Des poudres ocrées et des sourires illuminaient sa nuit
Puis la douce déposa son hijab de fleurs et
L'emmena dans le verger aux fruits
Longtemps… dans  l'immensité de la nuit scintillante
 
Beauté des beautés
Cette trêve dans le jardin du monde enfin apaisé
Il porta son corps près de la source vive
Celle de sa biche safranée
Une fleur afghane sur un tapis de lumière
Il osa …
La toucher,
L'adorée,
Celle qui verserait l'eau
Sur sa soif oubliée
Longtemps… dans l'immensité de la vie scintillante…
 
Leurs deux corps
Longtemps…dans l'immensité de ses yeux scintillants…
 
 
Il se réveilla de ce temps comme étourdi de joie. La nuit lui avait porté merveilles. Il se hâta de se préparer, il restait le voyage et son plan à mettre en œuvre. Des cascades non loin de là chantaient et de ses flots argentés naissaient des sourires de femmes. Il ne tremblait qu'imperceptiblement. Il n'emmènerait pas d'alcool. Il prit un taxi avec une seule valise, tout était en ordre, pour un pilote c'était le minimum qu'il pouvait assurer, l'organisation et la rapidité au service d'une belle cause cette fois-ci. Il arriva à Kaboul et ne tarda pas à rencontrer ses amis et connaissances au Novotel, dans un premier temps ils se réuniraient là comme des correspondants de divers journaux, ce qu'ils étaient pour deux d'entre eux et pour les deux ex-militaires, les camps en faction non loin de là rendaient leurs présences crédibles. Il expliqua son plan à ses amis. Ils rirent de cette bonne idée et se séparèrent avec le rendez-vous fixé pour le lendemain matin huit heures. Cette nuit-là pas de ville scintillante et de soif argentée près de sa muse à l'hijab fleuri, il dormit justement, les fantômes eurent la décence de le laisser reprendre son souffle depuis si longtemps perturbé, la culpabilité commençait à lâcher prise sans excès.
 
A sept heures quarante le lendemain Emilio, le correspondant suisse, frappa à la porte, il leva les bras au ciel en apercevant  le contenu de la valise. Ils se changèrent rapidement et partirent pour Edak. A quatre occupants dans la voiture ça passerait pour un déplacement familial. Ils arrivèrent à Edak trois heures plus tard, ils avaient localisé la maison facilement grâce aux renseignements que Jack avait fournis. Ils rentrèrent enfin en contact avec elle. Jack s'avança fébrile. Il avait pensé à ce moment depuis le tout premier instant où il l'avait vue à terre. Pour arriver à leurs fins deux de ses compagnons et lui s'étaient déguisés en femme portant le tchadri, celle qui se présenta comme étant Wakan avait des notions d'anglais ce qui facilita les explications. Jack s'approcha d'elle et souleva le voile sur la situation pour qu'elle soit bien d'accord avec le projet, elle avait assez obéi au monde des hommes. Elle souffrait encore des coups qu'elle avait reçu. Mais Jack ne vit que son regard de geai, un oiseau effrayé qui tremblait d'inquiétude, cependant en entendant son nom mêlé à un départ pour le Pakistan elle sourit. Il n'osait pas encore s'approcher d'elle plus que de raisons. Il ressentit la même émotion indescriptible qu'en l'apercevant sur son écran, elle était plus émouvante à portée de regards.
 
Dans la voiture, il entendit surtout sa vie faite de solitude. Il lui apprit qu'il avait tué son mari, qu'il avait prévu de venir la chercher le jour où le monstre l'avait violenté dans le jardin. Elle détourna les yeux un moment le temps de sécher sa peine  qu'il n'était pas de bon goût de laisser paraître selon elle. Il lui prit la main, elle la retira de la sienne avec douceur. Ils arrivèrent à l'hôtel déguisés en femme pour deux d'entre eux. Les deux autres hommes étaient de Kaboul et complétèrent ce tableau acceptable pour faire couleur locale en matière de visiteurs.
Arrivés dans la chambre d'hôtel les amis se montrèrent discrets auprès de Wakan et ils partirent bientôt laissant Jack avec elle.
 
Il lui indiqua la salle de bain. Elle regarda avec envie l'eau couler des quatre robinets que Jack avait ouverts. Elle sourit et passa sa main sous le premier jet d'eau froide, même si elle avait été accueilli par une famille à Kaboul quand elle était petite elle n'avait pas eu le temps de profiter du confort bien longtemps. Rejetée pour ce qu'elle était, une fille non désirée, arrachée à l'orphelinat pour servir de bonne à tout faire puis vendue à treize ans à un cousin, enfin rien d'exceptionnel dans cette Afghanistan devenue folle. Elle avait cependant réussi lors d'une période plus longue dans une maison moins brutale à apprendre l'anglais et quelques notions de mathématiques. Son sourire blanc sur sa peau de lys noir encrait les prochaines phrases de Jack. Elle ne connaissait rien d'une approche masculine tendre. Jack monta le son de la radio et lui fit comprendre dans le peu de mots qu'elle semblait comprendre qu'elle pouvait prendre la radio avec elle pendant dans la salle de bain. Elle sourit, s'arrêta un long moment dans le regard de son hôte. Elle se jeta dans ses bras. Elle se blottit contre lui comme une tourterelle et commença à se déshabiller, comme on offre un cadeau à un bon ami. Il lui réajusta sa tenue, lui expliqua que ce n'était pas une obligation. Elle n'aurait rien à faire qu'elle ne voudrait pas. Elle sembla décontenancée. Mais elle prit son temps pour se préparer un long moment dans la baignoire.
 
Jack s'assoupit pendant ce temps sur le lit côté fenêtre.
 
Une effraction de lumière sembla chatouiller son menton.
Le désert se rapprocha
En même temps que la source vive des dernières nuits dans le Nevada.
Wakan, la lointaine femme des dunes
Lui rendait visite
Cette femme qui avait gonflé ses voiles et crevé les nuages trop noirs
Longtemps… dans l'immensité de la vie scintillante.
 
Elle se présenta nouvelle en sirène gracile
Où sa peau d'écaille amarrée à l'aurore brillait dans le levant.
Elle se cabra sur lui au jardin des délices et il goûta sa chair comme on boit au calice.
Petite naïade dans la mer attendue 
Qui donne la primeur de ses émois brumeux
Sur des flots de fraîcheur et de courbes félines.
Jack prit cette femme par le bout de ses yeux
Ses seins comme des pépites,
Ses cheveux comme les lianes du monde.
Jack en elle, Wakan sur un nuage, heureuse…
 
Jack ivre de bonheur
Effaçant les miasmes du monde
Sentit son cœur s'enflammer, puis battre à tout rompre
Sa poitrine se mit à brûler de l'intérieur
Il regarda Wakan tremblant
Elle se sentit désemparée
Et d'une voix blanche
Lui demanda de rester,
Reste avec moi encore un peu
Jack ne put malheureusement pas relancer son cœur
Et il rendit son dernier souffle apaisé du regard de Wakan.
 
Wakan en larme parla à l'écume de Lune qui s'était invitée
Sur le vent argenté :
« Jamais sans toi, je n'aurais permis à ma vie d'en être une »
 
Elle vogua jusqu'au matin sur le bleu des yeux de Jack.
Il avait fait d'elle une femme libre,
En cygne noir et précieux elle venait de compléter la beauté du monde,
Elle pouvait sur cette lagune enfin jeter l'ancre. 
  • alô Marie, désolée je ne lis pratiquement plus. Oui il s'agit d'effets secondaires de mes médocs, pour cette fausse dyslexie.. Alors mon commentaire :

    Le lente progression des rencontres. Des paroles qui torturent et disent ce qu'elles doivent dire. La réalité crue, enrobée de cette poésie qui articule le feeling, l'émotion de l'indicible.. Frottement des cultures, non, frottement des cœurs froissés, de lapidâmes bien encadrés ne pouvant qu'exister. Toucher le tangible :

    (Des villages au passé tranquille et au présent déchiqueté)

    Le texte se conifie et nous ramène à cette mort (représentation de tout ces morts) Au final, un lien, une phrase assassine pour l'histoire, la grande guerre des hommes qui ne savent pas. Mais personne ne sait, on apprend toujours trop tard. Ce sentiment d'accomplissement, ce que plusieurs nommeraient d'un terme vicieux :

    « Jamais sans toi, je n'aurais permis à ma vie d'en être une »

    Ça se nomme l'honneur-amoureux, si court dans ce si long... pas de médailles déshonorantes, mais ce qui est dans notre unique et seule vérité.

    Un merveilleux texte Bise, Sophie+++

    · Il y a environ 8 ans ·
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    suemai

    • ton commentaire est émouvant Suemai, mais je ne suis pas étonnée tu sais tellement faire vibrer les mots ^^ je te remercie de cette lecture ... et ton passage précieux près de mes mots ... donne-moi vite des nouvelles de ce traitement qui te fatigue visiblement au de là du raisonnable ...

      bises
      Marie xxx

      · Il y a environ 8 ans ·
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      Marie Guzman

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