WHERE ARE YOU MY LOVE ?

Isabelle Revenu

Cher Freddie Sailor, Cela fait quelque temps que vous n'avez rien vendu.

En mettant plus de produits en vente, vous augmentez vos chances de satisfaire les milliers d'acheteurs quotidiens qui font leurs emplettes sur PriceMinister.com et donc de renflouer votre porte-monnaie…

Que puis-je mettre en vente en ligne pour satisfaire des milliers de clients potentiels ?

Et d'un, je mets que des rossignols en vente. C'est pas demain la veille où je ferai du pognon avec. Si j'étais client de mes produits je les achèterais même pas.

Et de deux, pour les quatre ou cinq machins usagés que j'ai mis en vitrine sur mon profil Priceminister, c'est bien trop peu pour les milliers de soit-disant clients potentiels. Qui peut le moins n'a pas forcément envie de faire le plus. Et c'est pas avec les petits riens qui font ma déco intérieure que je pourrais y remédier. Trois malheureux tableaux de merde achetés en solde chez Gifi.com et un poisson articulé qui chante Et remettez-nous ça pour faire peur aux copains pendant l'apéro...

Et de trois, question de renflouer mon porte-monnaie, c'est pas trop un souci. Les consignes des bouteilles étoilées qui sont vides, je les rapporte à la Coopérative. Oui quand je dessoule évidemment.

Et de quatre, pourquoi que j'essayerais de satisfaire des pékins que je ne connais ni des lèvres ni des dents ?

Qu'est-ce que j'en ai à faire de ce torchon ?

Ca fait deux jours que je n'ai pas fermé l'oeil.

Je bois, je fume. J'écoute Django le regard dans le brouillard de ma tête.

J'ai rien compris au film.

Tout s'est déroulé si vite.

Si vite et sans moi.

Meeeerde, la bouteille s'est vidée à une vitesse incroyable. J'aurais juré qu'elle était pleine il n'y a pas demi-heure. Doit m'en rester à la cave. Faut que j'y aille. J'ai besoin de me sentir vivant, quitte à en crever.

Le jus immonde qui porte mal le nom de vin me descend lentement dans l'oesophage jusqu'à l'estomac prenant ma cervelle pour un manège changeant au passage. Et l'alcool qui chemine tranquillo dans le réseau-fouillis de mes veines me ressuscite pendant un court instant de gloire égoïste.

COOH est radical et ne laisse que peu de place à ma lucidité. C'est pas grave. Chaque pensée claire me malmène, me désarçonne. Alors, je bois pour ...

Je bois surtout pour boire. Pour me griser d'abord. Vous savez, cet état timide où on est ni tout à fait là et pas encore ailleurs. Cet instant cotonneux où même un Je T'Aime d'un ton un peu brusque est un jeu débordant.  Un rien fait la différence quand on marche en limite de la réalité, quand on est alcoolisé juste pour être borderline. Mais gris je ne ne le reste pas longtemps.

Django et son jeu de doigts si limpide,  Django et ses envolées lyriques, ses touches de peinture au couteau qui lacèrent mes douleurs...

Je t'aime dit-il en Mi Amor majeur. Je crie Je t'aime ! en l'air, et Je t'aime se cogne aux quatre murs du salon et me revient en pleine poire... Un boomerang creux.

Le son est amplifié, le mot n'a plus d'importance, les lettres se distordent, dérivent, se détachent du signifié. Pédalent dans une fange malodorante, s'enkystent, se fêlent et tombent de noir vêtues tout au fond d'une oubliette. Dans un cachot solitaire.

Et il y a une clé pour sortir de là. Une seule. En forme de goulot.

Alors je sors mon Reflex et je me mitraille, victorieux, humilié, buvant à même la bouteille en priant Dieu si fort de ne le dire à personne. Je mitraille encore le corps sans vie de mes bonnes résolutions. Et je contemple la bouteille et son sourire de salope. Je détourne le regard et je ferme les yeux pour ne pas tendre le bras vers l'hypocrisie crasse de celle qu'on a mise là, dans un coin de ma geôle pour me faire perdre les pédales. Pour faire de mon corps balourd une prison plus sûre que ce souterrain humide et terrifiant....

Bon, étant donné que je suis seul comme un con (et c'est normal, qui voudrait tenir compagnie à une outre pleine d'amertume ? Pas moi ) faut que je me lève,  déjà c'est pas gagné, que je tienne l'équilibre jusqu'au couloir, que je trouve l'interrupteur de l'escalier qui descend à la réserve de picrate qui rend idiot et sans me foutre la gueule en l'air et que je remonte lesté d'au moins trois soixante-quinze. J'ai pas envie de redescendre demain. Si j'arrive à remonter bien sûr...

Ouh la la Mmmm.. Je crois que ma calotte crânienne abrite tout un orchestre de beatbox. Me faut passer par la cuisine prendre deux aspro.

Tu sais j'ai plus la foi. Plus de celle qui est censée me sauver. Je n'avais déjà pas foi en moi. Maintenant c'est tout le reste qui me pose problème. Faut non seulement tenter de conserver - oui l'alcool conserve je sais c'est pas finaud de ta part - un semblant d'équilibre rationnel mais empêcher cette saloperie de finir son boulot. Retrouver une raison ? LA raison de renoncer à elle. Refaire corps avec moi. Recoller mes rêves ensemble. Retisser une jolie trame.

Pouvoir me regarder à nouveau dans le miroir, me reconnaître et enfin naître vraiment.

Oui je sais j'ai perdu la foi et je suis en train de perdre mon foie. J'ai jamais eu le mot qu'il fallait au moment qu'il fallait.

Je suis au crépuscule des ombres. Au paso doble des chances nulles. Sur le fil du rasoir allégorique.

Je cause, je cause et j'ai soif. Si t'étais encore là, tu me donnerais la main pour m'aider à me lever, à m'élever. Tu me prendrais doucement par le cou et tu mettrais doucement ma tête contre la tienne et tu me laisserais pleurer tout mon soul. J'en ai besoin tu sais...

Chais pas pourquoi t'es dans d'autres draps. Chais pas.

Chais plus...

Vazy Django, remets-moi une tournée mondiale d'accords lancinants, de cordes manouches, d'accents de chez toi à me tirer d'ici en quatrième.

Joue-moi Misty, je suis en plein dedans...

Pleure-moi Tears.

Emplis-moi de Nuages.

Reste encore un instant, le temps que je m'enfonce dans la terre humide, dans la mousse odorante, dans la bière Terminus. Moi le minus, l'inapte, l'inutile. Le vagabond des limbes troubles.

Abreuve mes convictions de doubles croche-pattes, parcours ma vie de fleurs ensoleillées.

Branche-moi sur ta fréquence.

Paris blues ?

Avec ces quelques notes appuyées sur la Marche Funèbre de Chopin et cette clarinette qui hurle sa gaité ? Oh oui dis donc c'est ça qu'il me faut...Je suis paumé de chez paumé.

Je mets bas ma détresse. J'enfante l'enfer.

Oui encore mon prince, attendris mon coeur imbibé avec Where are you my love ?

Si seulement je pouvais répondre à cette question.

Chais pas pourquoi t'as fichu le camp. Chais pas.

Chais plus...

Juste envie d'éteindre cet incendie. Je bois....

Tu manques à tous mes devoirs, tu manques à ma lumière.

Je peux dire comme cette femme en lettres de feu l'Amour m'a tuer et je bois pour fatiguer mes souffrances, pour endormir mes blessures, pour désinfecter mes errances.

Et si par une nuit sans lune je devais me cogner la tête aux étoiles, la dernière que je veux voir avant de m'éteindre sera la tienne.

A la tienne.

Je bois...

Je ne sais pas pourquoi je bois.

Where are you my love ?

I'm six feet under....

Signaler ce texte