Will you marry me?

tromatojuice

Histoire d'une demande et de quelques frayeurs... * * * *

J'ai rencontré ma future femme au Manoir de Paris.


Le Manoir de Paris, c'est comme un train fantôme que l'on parcourt à pieds. Dans les dédales de couloirs sombres aux décorations morbides, des acteurs grimés attendent le visiteur pour lui sauter dessus. Le principe emporte un franc succès aux États-Unis ; en France un moins. Dommage, c'est jouissif et c'est aussi l'occasion de mettre en œuvre un véritable savoir faire peur, tant la réussite de l'attraction dépend de l'histoire qu'elle raconte, de ses décors et surtout de ses comédiens.


Halloween 2013 : une amie me propose d'aller au Manoir pour l'occasion. L'amie Américaine d'un stagiaire de sa société serait à l'origine de l'idée. N'ayant rien de mieux à faire, j'ai accepté. Malgré la foule, le froid et une envie d'uriner à m'en faire péter la vessie, nous passons un bon moment. Puis, à la terrasse d'un café, elle sort une boite de gâteaux qu'elle a fait pour l'occasion : des yeux au beurre de cacahuètes et des muffins couverts de vers gélatineux. Je mange à peu près toute la boîte.

Au fait, elle s'appelle Cait'.

21 décembre 2014 : il est temps d'y retourner. Mais cette fois pour demander l' « Amie Américaine » en mariage.

Le trajet est le même, mais les sensations sont différentes. Les secousses du métro me donnent des sueurs froides et j'ai des hauts-le-cœur. Je tiens difficilement debout, mes jambes sont devenue aussi molles qu'une paire de Twizzlers®.

Elle ne sait pas où je l'emmène ; concentrée à ne pas succomber au mal des transports, elle ne pose pas de question. Et moi j'angoisse de toutes mes forces. Je n'ai jamais été très doué pour les effets de surprises et celle-là a une fâcheuse tendance à transformer mes sucs gastriques en Destop®.

Lorsque nous arrivons devant le Manoir, je lui demande de m'attendre. Je donne mon nom au guichetier, lui expliquant qu'il devrait y avoir deux invitations à mon nom.

« Deux places VIP ! » annonce-t-il. Je le regarde, incrédule. « Vous n'avez pas besoin de faire la queue... » Bonne nouvelle ! Il fait froid, ça m'évitera de mourir d'hypothermie et d'un ulcère.

Je reviens avec les deux tickets. Elle a l'air surprise.

Les billets coupe-file nous mènent tout droit devant une porte. Dernière nous la queue d'adolescents bruyants s'étend sur plusieurs dizaines de mètre. Une lutine toute droit sortie des enfers, frappe le sol d'un gros marteau gonflable. Elle fend la foule jusqu'à Cait' et entreprend de la harceler en lui hurlant dessus d'une voix pénétrante. Pendant ce temps le Passeur s'approche discrètement de moi.

Sous les manteaux, la bague change de main et la lutine s'éloigne. Ni vu ni connu.

Le Passeur nous ouvre la porte et le parcours commence.

A l'occasion des fêtes, le thème de la maison est la « Lutin Académie ». Le visiteur est un enfant n'ayant pas été sage. Pour lui éviter la colère du père fouettard, une cohorte de lutins et lutines défigurés vont tenter de lui enseigner les bonnes manières. Le tout dans une ambiance macabre.

Le labyrinthe de couloirs est un mélange de morgue, de souterrains crasseux et d'esprit de Noël version famille Manson. Les acteurs nous sautent dessus et nous inculquent les rudiments de la bonne conduite. Un peu perdus par notre usage empirique des langues de Molière et Shakespeare, ils oscillent entre Français et Anglais sans vraiment savoir quelle langue adopter. Le mélange sublime l'aspect schizophrène du lieu (et les lutins font preuve d'un bilinguisme impressionnant). A chaque intervention, Cait' pousse des petits cris et se blottit contre moi. Pour ma part, vaguement tétanisé à l'idée de faire ma demande, je profite du spectacle de ma future femme (?) harcelée par des gnomes défigurés.

A mesure que les couloirs défilent, mon angoisse monte. « Et s'ils ne savaient pas que c'était nous ? » « Et si j'avais donné la bague au mauvais mec ? » Bref, je suis au bord de la descente d'organes.

Finalement, nous débouchons sur une salle plus grande que les autres. Au fond, tapie dans les ténèbres, une silhouette menaçante siège sur un trône. Deux lutins nous font passer l'ultime interro' : a-t-on bien retenu la leçon ?

Non. Évidemment non !

Le Père Fouettard en pétard se lève et demande à ma chérie pétrifiée de s'asseoir sur son trône. Elle s'accroche fermement à mon bras comme un naufragé à une bouée de sauvetage.

Nouveau coup de fouet. Le Père Fouettard n'aime pas essuyer des refus. Et ma chérie n'aime pas les gros bonhommes effrayants qui manipulent des objets contondants. Elle obéis donc. Le croquemitaine se tourne vers moi.

« A genoux ! »

Je m'exécute.

Là, une petite lutine maléfique arrive avec un petit coussin rouge dans les mains. Sur le coussin une main tranchée. Dans la main, une petite boite.

Je prends la boîte.

Je l'ouvre. Dedans, l'éclat de la bague découpe les ténèbres.

Amarrée à son siège, elle n'avait pas vu venir la demande.

Je commence à bafouiller. Si j'avais vaguement préparé un discours, il n'en reste plus aucune trace. Aux chiottes le baratin bégayé à la vitesse d'un mollusque neurasthénique.

« Will you marry me? »


Je ne sais plus ce qu'elle a répondu : le sang battait à mes oreilles à m'en faire péter les tempes. Un instant plus tard, nous nous retrouvions sur le trône de Fouettard, entourés des deux lutins et du propriétaire du trône, pour immortaliser l'instant.


J'en déduis qu'elle a dit oui.



N.B. : un immense merci à TOUTE l'équipe du Manoir de Paris, une bande d'allumés, aussi gentils que talentueux. Grâce à vous j'ai pu me chier dessus paisiblement pendant que vous vous occupiez de tout ! MERCI, c'était fantastique !

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