X.

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J-4.

Traversant la rue piétonne pour retrouver la boulangerie Paul du centre de Prague, Annie essayait, en vain, de ne pas paniquer. Tout en faisant claquer les semelles de ses bottes sur le pavage, elle sortit son téléphone portable et demanda du courage à son compagnon. Il lui répondit qu'il lui en envoyait énormément et qu'il l'aimait. Elle ne répondit pas, détestant lui avouer son amour par l'intermédiaire d'un appareil électronique. Elle arriva bien vite devant la boulangerie et poussa la porte, les mains tremblantes. Elle fit promener son regard sur la salle déserte avant de choisir une table et de s'y installer. Elle fit pendre son manteau sur le dossier de sa chaise et retira son écharpe d'autour de son cou. Elle croisa ses mains sur la table, remuant ses jambes. Elle était impatiente autant que morte de trouille.

Lorsque le jeune serveur de la boulangerie vint lui demander si elle souhaitait commander, la jeune femme lui sourit gentiment avant de lui demander un chocolat chaud. Il repartit, son plateau dans les mains, préparer la commande d'Annie. La porte s'ouvrit, laissant entrer un vent frais dans la salle et elle en frissonna. Sa boisson chaude arriva et elle enserra le mug de ses mains, cherchant de la chaleur contre la porcelaine. Son regard se perdit dans le chocolat.

- Vous devez être Annie, l'interpella une voix masculine. Elle releva la tête, paniquée. Ses yeux furent attirés par les billes claires de l'homme.

- C'est bien moi, elle lui tendit sa main. - Je suis Charles, lui sourit-il avant de porter la main de la fille à sa bouche pour y déposer un léger baiser.

- Asseyez-vous je vous prie.

Il enleva sa veste et la suspendit sur la chaise avant de prendre place en face d'Annie. Il allongea son bras jusqu'à toucher la main de la jeune femme. Elle leva la tête, dévisagea l'homme jusqu'à ce qu'elle puisse voir la fine goutte d'eau qui se perdait dans la barbe du vieil homme. Elle agrippa doucement sa main, caressant sa paume avec son pouce.

- Qu'est-ce que vous ressemblez à votre grand-mère, chuchota-t-il.

- On ne m'avait jamais fait un compliment pareil, merci.

Charles essuya quelques larmes qui roulaient sur ses joues avant de sourire à la demoiselle.

- Venons-en droit au but, si vous le voulez bien. Pourquoi m'avez-vous fait venir ici ?

- Je voulais faire une surprise à mamie, ce Noël-ci. Je voulais lui offrir quelque chose d'incroyable. Alors j'ai acheté une chainette en or, ce genre de chainette fine qu'elle adore. J'ai pensé que ça suffirait jusqu'au jour où j'ai trouvé votre photo dans le grenier. Depuis lors je me suis lancée dans des recherches épuisantes pour vous retrouver, elle marqua une pause. Est-ce que vous êtes marié ?

- Non, jeune fille, je ne suis pas marié. Je n'ai jamais trouvé d'autre femme que votre grand-mère.

Elle sourit.

- Est-ce que vous aimeriez passer Noël avec nous ?

L'homme écarta ses mains de celles d'Annie et les essuya sur son pantalon.

- J'en serai ravi. Ca fait si longtemps que je n'ai pas vu Madeleine. Ce serait une belle chose de la revoir.

- Merci, Charles. Vous me faites le plus beau des cadeaux.

Annie laissa l'un de ces sourires heureux flotter sur ses lèvres. Il lui tendit sa main et elle l'attrapa vivement, avant de la serrer tendrement. Le serveur vint proposer un café au vieil homme qui accepta.

- Madeleine a du te raconter le jour de notre rencontre, me trompe-je ?

- Non, elle l'a fait. C'était une très belle rencontre.

- Le plus malheureux c'est que j'avais l'âge de faire mon service militaire. Et qu'à cause de ça, notre histoire a été mise entre parenthèses. Et lorsque je suis rentré du VIETNAM, ma sœur m'a apprit qu'elle avait trouvé un mari et qu'elle s'était mariée. Je ne suis pas allé lui souhaiter mes vœux de bonheur, ça n'aurait pas été respectueux envers ton grand-père.

- Votre amour était fort.

- Plus fort que tout. Mais mon envol pour l'armée l'a anéanti.

Le café de l'homme arriva et il remercia le serveur. Il forma un cercle de ses mains autour de sa tasse avant de souffler bruyamment.

- J'aimais ta grand-mère. Ne crois pas le contraire. Mais si je voulais avoir des enfants avec elle, il fallait que j'assure notre avenir. Il fallait que je parte et je connaissais les risques, je savais que lorsque je rentrerai, elle aurait peut-être trouvé un mari. Mais j'ai été très heureux d'apprendre qu'elle avait trouvé le bonheur auprès de quelqu'un d'autre. Et qu'elle avait des enfants.

- Ne vous en faites pas, je comprends, du moins je m'en efforce. Quand on aime, parfois il faut savoir laisser partir la personne qu'on aime pour la voir heureuse.

- C'est tout à fait ça, Annie.

Annie sourit. Elle baissa la tête, cherchant l'heure des yeux. Il était tard, Simon devait être rentré du travail, elle devait le rejoindre à la maison.

- Je suis navrée Charles, mais je suis attendue chez moi. Je vous vois le vingt-quatre alors ? A six heures et demie, chez mamie. Connaissez-vous l'adresse ?

- Ne t'en fais pas, jeune fille, je sais où elle réside. Je serai là, avec des cadeaux plein les bras.

- Au revoir.

Ils se sourirent et elle sortit dans la nuit, brisant le silence de la rue avec le bruit strident de ses semelles sur les pavés.

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