X Y Z

Pierre Scanzano

Que faire, quand on ne sait plus où aller ? Et que revenir vous pousse à repartir ?

Ok.   L'approche lente, mesurée. Dieu soit loué, ce zinc ne se crashera pas avec mon corps... Janvier, élément destructeur de toute une parcelle de vie, la mienne. Volte au ralenti de la masse d'acier : ce pilote sait tenir le manche !  Piste en vue, langue aux bandes réfléchissantes. Crissement de pneus, le train d'atterrissage fait son job à merveille. Minimalisme ambiant : acmé de froid, d'humidité, ne suis-je pas arrivé?  Mégalopole tentaculaire en feu, torchères de gratte-ciels enflammées ; je murmure bonsoir, aux braises nocturnes de Paris. 

Dans ma tête de bestiole arriérée, les fuseaux horaires font une mélasse indescriptible. Je manque de sommeil réparateur, ai-je jamais dormi tranquille ailleurs ? Ok,  je l'ai dit, et redit je voudrais revenir, pour ne pas repartir encore ! Le tarmac mouillé, comme des retrouvailles impersonnelles, de pluie fine. Les bâillements d'enfants, un marchand de sable sur leur dos. Les contrôles sous les portiques, bip, ou pas bip, je m'en fous. Les soupçons de fraude sont possible. Au loin, les têtes chercheuses de quelqu'un de familier, qui vous attend depuis des heures et qui vous sautera au cou. Les embrassades, comme des incestes souhaités.  Les accolades masculines. Les frottements féminins. Les lèvres-à-lèvres suffocants. Le manque de place pour respirer aisément, sans sa tordre contre un mur, une chaise, une table, un être. Et que dire d'autre, les pleurs de joie, les petits cris hystériques, refrénés.  J'évite tout ce  salamalec inutile! D'ailleurs, il n' y a personne là, m'attendre, et c'est mieux ainsi !

Je débarque d'avion comme prévu. Orly, 19h30. Vol : X Y Z- 1952. Temps maussade. Le parapluie est de mise. Et même, temps de chien sans la moindre chienne qui vaille la peine de se décarcasser. Temps durs pour la vieille fouine que je suis devenu. Eh, soyons honnêtes, comment pourrai-je la tenir en laisse, la chienne ? Avec des bobards ?  Non ! Il faudrait du flouze que je ne possède pas. De ce point de vue, l'affaire est close !  Par dessus le marché, on dirait qu'une cargaison de nuggets de poulets et de sauce piquante, est benné depuis le ciel dans mes narines vierges, expansées par manque d'air frais.  Mais, j'ai qu'à ouvrir grand ma tronche de doggy-bag et le tour est joué. Repu, enfin repu. Repu d'air ambiant, sec, caoutchouté. Ma tendance est de surfaire la réalité, pour qu'elle puisse ma satisfaire. Donc j'observe, dehors les avions qui vont, qui viennent, déchirant un ciel ami, un ciel mourant. Dehors, les avions déploient les ailes que j' n'ai pas, quand je suis dehors. Dehors une certaine obscurité de cave à ciel ouvert, m'entourera, m'étranglera dans ses volutes d'acier.

Dehors, le couvercle en plomb du ciel se refermera dans ma bouche, accentuant d'un degré, ma claustrophobie. J'ai les pieds dans le ciment du moment. Durcis par l'angoisse de me tromper une fois de plus, en trop. Me tromper de cible, d'angle de tir.  Me tromper sur le quoi faire, et qui revoir ou éviter de voir. C'est drôle de constater que, après 30 ans d'être parti de ce point-ci. Je reviens au même sanctuaire de départ, désormais, vidé de tout sens. Le climat n'est plus aux retrouvailles d'amour, plutôt, un filet de haine coule dans une goutte de joie. Je suis revenu quand tout a changé. Les visages des gens sont différés par le vide et l'ennui. Rafistolés, plus marqués par la difficulté de vivre normalement. Ils ne voient même pas que je cherche à les reconnaître. A me revoir en eux, sur les quelques rides que j'ai gardés sur mon visage, en miroir de nous. Ils me boudent. Se boudent. Se délayent dans le foule acide du monde anonyme. Dans la logorrhée de gens pressés d'intégrer leurs pénates au plus vite. Se fondre avec un autre corps, pour être moins seuls.

Enfin, après ces quelques réflexions, et quoi que je puisse vomir d'autre de fallacieux , il y a urgence ! J'ai les couilles gelées. L'engelure aux coin des yeux. Et je tremble de tout mon corps, comme une délectable feuille de Liquidambar, tombée de tout son poids plume, sur l'herbe givrée de l'espace aérien. Néanmoins, pas de panique ! Il n' y a pas de quoi s'inquiéter : mon sang est loin d'y  surgeler. Le froid conserve aussi la viande sur le point de pourrir. Le froid cyclique vivifie la circulation sanguine. Les neurones s'activent se mordent entre-eux. Dans ma caboche percée de toutes parts, j'ai une certaine idée du sens qu'il faudra donner à ma vie.

Après-tout, je manque de courage. C'est vrai, je voudrais faire quelque chose de puissant, en soi extravagante, et qui puisse marquer les esprits pour des siècles...

Mais non ! Je descend au parking, après de multiples pèlerinages dans le hall de l'aéroport vide. Non, en effet, je ne suis pas à Lourdes. Et l'eau bénite, c'est de la bière brune. Avec à la base du houblon, et de la mousse pour finir dans mon gosier malade !


(Fin de la première partie, à suivre...)




 


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