Yeux dansent

Nathan Noirh

J'aime sa façon de me répondre. Elle est insolente mais toujours dans le vrai, elle connaît la réponse mais pose tout de même la question. Pertinente. Elle est pertinente. Je fais parfois semblant de ne pas savoir, sinon on ne pourrait pas jouer. Elle le fait aussi. Des enfants qui se défient, se tournent autour, sans jamais se toucher. Ses pensées gravitent autour des miennes, elles tournent et caressent de ses mots le reflet de mes regards. Elle aime ma façon de la regarder. La lassitude de mes jets profonds d'iris n'est pas un concept qu'elle embrasse. Elle les découvre à chaque fois, et pourtant elle me demande de la regarder une nouvelle fois, comme si elle voulait vérifier. Dans le marron de ses yeux, il y avait un autre pays, qui n'avait rien à voir avec celui où on s'est rencontrés. Il y avait de la terre, il y avait de l'eau, mais pas assez d'air. Pas assez d'elle. Ce pays était à nous deux, pourvu qu'elle ne souvienne plus de moi que j'arrête de me souvenir d'elle. Tu ne te souviendras plus de moi, heureuse avec lui et malheureuse sans moi. Mes yeux dansent entre toi et rien, entre ta direction et les autres sans destination. Mon évidence rouge balance avec rythme dans le vert de mes yeux et ne reconnait plus aucune couleur. Mes yeux dansent pour toi.

 

La nuit tu me regardes danser. Et le jour ? Je danse aussi, comme si personne ne me regardait. C'est évident pour moi, c'est clair pour toi.

 

Les premiers mots sortis de ta bouche devant moi, sont terriblement révélateur de ce que je ressens depuis. Terrible euphémisme que terrible. Je ne sais plus écrire pour toi. Toutes mes tournures de phrases et mes approches verbales me paraissent sans substance, sans élégance. Quel désordre, quel enfer, quelle confusion.

 

Je me suis levé ce matin-là avec la plus belle des pensées, un cadeau que je pouvais t'offrir sans que tu ne saches que cela vienne de moi. Le monde se lève à l'aube. Et moi aussi ce jour là. J'ai nettoyé le bazar de la veille, le bordel en pleine nature. J'ai passé toute la matinée à ranger et nettoyer, pour que tu puisses prendre ton petit-déjeuner sans avoir à te déplacer tout là-bas. Et moi je te regardai manger, la satisfaction au bord des yeux. Ce matin-là, c'était l'aube de mes pensées pour toi. J'avais dansé toute la nuit comme une invocation, un appel à l'idée poétique. Au petit matin, je t'ai trouvé, souriante, apaisée, insolente, pertinente. Au petit matin, je souriais comme un idiot. Comme un type qui a joué un mauvais tour. Comme un type qui saura toujours ce que j'ai fait pour toi, et que toi tu ne sauras jamais. Il semblerait que ce soit la définition de la poésie que j'aime pratiquer, te rendre la vie plus douce sans que tu ne saches qu'avant moi, elle ne l'était pas. Elle est là ma poésie, elle est là.

 

J'aime ta façon de me répondre. T'aimes ma façon de te regarder. On utilise deux sens différents mais l'intérêt reste le même : un ensemble intelligible d'idées qui nous convient, à tous les deux.

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