Ypres moutarde

franekbalboa

Avril 1915.

Cela fait de longs mois qu'Edouard est mobilisé, lui qui était médecin dans le civil se retrouve malgré lui dans une troupe de l'armée française. La guerre dure depuis de longs mois, et il semble qu'il n'y ait plus rien qui puisse l'arrêter. Malgré cela, l'état major semble croire le contraire. Il se dit qu'ils n'ont rien de ces hommes qui l'accompagnent. Il a déjà perdu nombre de camarades durant cette sanglante guerre. La modernité du conflit liée à leur uniforme peu adapté les fait souffrir. Depuis quelques semaines, ils sont immobiles, attendant patiemment qu'une opportunité se présente à eux, que leurs généraux leur ordonnent de plonger en enfer. Au loin, régulièrement, un grondement sourd tonne, comme un orage, mais celui de l'homme et de son artillerie. La topologie du terrain a d'ores et déjà été profondément changée par les batailles et les bombardements. Le temps est sec, et une légère brise souffle, elle vient du côté allemand. Une odeur légère se fait sentir, un peu désagréable... Petit à petit, elle s'intensifie alors que la tête d'Édouard commence à lui faire mal. Son intuition lui murmure de se couvrir le visage avec son écharpe humide, alors que sa vue commence à se troubler et qu'une toux le prend. Après quelques minutes, ce qui ressemble à un gaz jaunâtre avait complètement envahi la place, autour d'Édouard, les hommes toussent et convulsent, crachent du sang. Paniqué, il regarde autour de lui, trois ont mis un linge sur leur visage et ne semblent pas trop souffrir des vapeurs, ses yeux commencent à le brûler. Après une dizaine de minutes dans la purée, quelque chose fauche un des hommes encore debout, instinctivement, Édouard s'allonge au sol, saisissant son fusil boueux. Il remarque une mitrailleuse à deux mètres de lui, il commence à ramper dans sa direction. Autour de lui c'est la débandade, ceux qui ne se tordent pas au sol s'enfuient de toutes parts, des ombres apparaissent dans la brume, qui avait désormais une teinte ocre. Les allemands attaquaient ! Profitaient-ils de ce curieux brouillard où était-ce l'un de leurs stratagèmes douteux ? Il ne se posa pas la question longtemps, il planta le premier qui se présenta face à lui et se dirigea vers la mitrailleuse, les allemands étaient très proches désormais, il se décida en une fraction de seconde. Il ôta son écharpe et hurla: "Tirez-vous ! Ce sont les boches !" Saisissant l'arme sur pied, il se mit à tirer des salves vers les ombres, fauchant celles-ci alors que ses camarades continuaient à fuir. Il prit une balle dans la cuisse, la douleur était épouvantable songea-t-il, mais peu lui importait sa vie s'il sauvait ses frères d'armes. Continuant à tirer sur les allemands qui s'écroulaient les uns après les autres, mais toujours plus nombreux, il encaissa une seconde balle dans le bras gauche, puis repris son office, des dizaines de soldats étaient désormais trop près, il les faucha encore et encore, une quatrième balle se logea dans son épaule, il voyait à peine désormais, il reprit son tir nourri, et après avoir encore abattu une dizaine d'hommes, c'est dans le cœur que le dernier impact arriva. L'endroit était désormais jonché de cadavres, dont celui d'Édouard. Les visages déformés par le gaz, pleins de cloques, de brûlures, de sang. La barbarie d'un conflit total était désormais là, alors qu'Edouard partit rejoindre tous ceux qui étaient déjà tombés, et qu'il attendrait ceux qui tomberaient, regardant de là haut cette épouvantable guerre qu'il n'aura que survolé...

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