« Femme se coiffant ». Paul et Blanche
Diane Margelle
Blanche tente sans succés de dompter cette mèche qui devait-être la touche finale de son lourd chignon. Mais celá n’a plus d’importance. Elle regarde la lettre se trouvant sur sa coiffeuse. Puis s’inspecte à nouveau dans le miroir. Elle a vingt sept ans depuis deux ans. Ses cheveux sont noirs et, comme la plupart du temps, sont ramenés en chignon. Ses yeux sont bleu cobalt. Un bleu qui trouble. Peut-être du fait du léger strabisme qui voile son regard. Son teint pȃle met en relief une bouche coquelicot. Elle est plutôt jolie. Mais son visage ne reflète rien d’autre qu’une certaine politesse de vie. Un masque lisse. Car Blanche a pris l’habitude de se cacher. Ses joies, ses peines, rien ne doit transparaître. Craignant que les premières ne soient trop rares et que les deuxièmes ne deviennent son ordinaire.
Alors elle tente d’oublier les mots qu’elle vient de lire. Ces mots qui la ramènent une fois de plus á l’endroit où elle a toujours été. Dans la maison de famille lausannoise, avenue des Acacias, non loin du lac. Dans cette boîte feutrée qui était une chambre de jeune fille et qui est maintenant celle d’une femme. Et qui sera bientôt celle d’une vielle fille. Le carmin qui tend les murs reste vif. D’ailleurs, à quelques meubles et bibelots prés, marqueurs des années et des modes, rien n’a vraiment changé depuis son adolescence. Son petit lit reste l’emblême cruel de sa solitude. Car aucun autre qu’elle ne vit ici. Il n’y a pas de boutons de manchette qui traînent sur la cheminée ni de cravate enlevée á la va-vite. Pas d’odeur de tabac, ni de Cuir. Elle est seule dans ce cocon où les bruits de l’extérieur ne parviennent pas. Différentes robes gisent sur le fauteuil Louis XV. Elles se mélangent en un degradé de roses, donnant une fausse impression de vie à la pièce. Ces robes qu’elle a essayées un peu plus tôt en se demandant laquelle la mettrait le plus en valeur? Laquelle pourrait-elle raconter à leurs enfants ? Laquelle serait le temoin de cette journée? Celle qui aurait dû être la plus heureuse de ses journées.
Ce matin, il était prévu qu’il la rejoigne chez ses parents aux Acacias. Accompagnés des arbres couleur d’Automne qui bordent l’avenue d’Ouchy, ils auraient marché vers le lac jusqu’à l’Embarcadère. De lá ils auraient pris place a bord du bateau á la mode dont tout Lausanne parlait, le Vevey. Après avoir, longé les coteaux du Lavaux, passé Cully puis Montreux, ils auraient enfin debarqué a Veytaux. Ils y auraient visité ensemble le Château de Chillon, le théȃtre du fameux prisonnier de Byron. Le poème qui les avait rapprochés lors de ce souper chez Madame Lamalle. Ils auraient pris un chocolat chaud a l’Auberge du Lac, souriants et nerveux d’être bientot deux devant tous.
Que de fois n’avait-elle imaginé ces instants cernés par les montagnes aux sommets enneigés. Que de fois n’avait-elle presque senti l’air piquant du lac sur ses joues et la chaleur provoquée par les mots attendus. Que de fois.
Mais voilá, il ne viendra pas. Il l’a écrit. Un empêchement. Quelques mots impersonnels. Comme si souvent pour les autres avant lui.
Cependant Paul etait différent. Son education bourgeoise et protestante, la même que celle qu’elle avait reçue, n’avait pas empéché sa sensibilité. Au contraire. Par exemple, il aimait l’Art et la peinture particulièrement. Il pouvait parler des heures durant et avec une immense fierté du travail de son frère Felix qui était parti à Paris. Sa gentillesse se retrouvait dans les traits de son visage. Ses paroles reflètaient sa douceur d’ȃme. Il lui avait dit n’être heureux et serein que lorsque qu’il se trouvait avec elle. Elle le croyait. Elle y croyait.
Blanche regarda à nouveau autour d’elle. Cette chambre lui semblait desormais etre son cercueil.
Marie entra. Elle déposa le billet qu’on venait, lui dit-elle, d’apporter. Lasse, les larmes aux yeux, Blanche le deplia et lut ce qui avait visiblement été ecrit rapidement :
«Visite reportée. Je serai finalement chez vous à l’heure convenue. Je me rejouis tant de vous voir.
Paul Vallotton »