« Fuir, là-bas, fuir… »

gabrielle-dauzas

« Fuir, là-bas, fuir… »

L’autobus venait de franchir la Garonne, l’aéroport était proche maintenant. Elle était dans les temps, l’avion ne partirait que dans 2 heures ; mais elle préférait régler tout de suite les formalités : elle n’avait pas imprimé le billet, réservé à la hâte, hier soir sur internet, afin de laisser le moins de trace possible sur sa boite mail ; elle espérait qu’aucun un courriel intempestif du type « Opodo vous remercie pour votre réservation pour Athènes… » ne révèlerait sa destination. Au pire, ce ne serait pas bien grave puisque la capitale grecque n’était pas le but ultime de son voyage ; mais ce détail la préoccupait ; elle avait bien tenté de comprendre la procédure pour empêcher les mails d’arriver mais avait renoncé, rebutée par la complexité de la démarche.

Ce n’est que confortablement installée dans le 340 tout neuf – elle était toujours satisfaite de monter dans un Airbus, parce qu’il était fabriqué à Toulouse-, contre le hublot, à deux sièges de l’issue de secours, qu’elle commença à réaliser que ça y est, elle l’avait fait, elle était partie. Partir ? Fuir ? L’heure n’était pas à ces subtilités mais à un sorte de joie diffuse mélange de fierté pour le courage qu’elle avait eu, de soulagement de ne pas avoir rencontré d’obstacle et d’un espoir fou dans ses projets d’avenir. Certes, elle se sentait un peu lâche de partir comme ça, sans explication et cela ternissait un peu cette joie. Mais si j’avais dit et expliqué, je ne serai jamais partie…

Le steward et son bar roulant arrivèrent à point nommé ; elle demanda du champagne, qu’elle savoura longuement, malgré sa qualité médiocre. Je suis partie, je l’ai fait…

Après le repas – arrosé d’un petit rouge plutôt correct-, elle se laissa envahir par ses souvenirs et retrouva, intacte dans sa mémoire, l’émotion qu’elle avait ressentit le jour où elle avait reçu le premier coup de téléphone de son éditeur. D’une voix ferme, précise et avenante Anne Langevin s’était présentée ; éditrice chez Viviane L., elle était responsable de la collection « Les féministes inconnues qui ont fait l’histoire » et avait examiné avec intérêt sa proposition sur une biographie d’Irène Joliot–Curie. S’intéresser à d’Irène Joliot–Curie quand on s’appelle Langevin n’a rien d’étonnant avait-elle répondu facétieuse à l’éditrice ! Cette remarque du tac au tac, outre qu’elle avait permis aux deux femmes de se jauger, avait suscité une connivence qui par la suite s’était transformée en une véritable amitié.

Anne Langevin ayant désiré la rencontrer, c’est avec une pointe de vanité que quelques jours plus tard, elle sonna à la porte du bel immeuble du faubourg Saint Antoine. Elle, la petite éditrice free lance, se retrouver ainsi au cœur de la culture parisienne !

La rencontre avec Anne fut chaleureuse ; détendue, elle répondit à toutes les questions posées par son interlocutrice et se surprit à lui raconter la place importante qu’avait pris dans sa vie, son arrière grand mère Gabrielle Richard. Celle-ci, une femme d’exception avait été parmi les rares jeunes filles de son époque à obtenir son agrégation de mathématiques ; elle s’était liée d’amitié avec Irène Joliot-Curie au collège Sévigné, et avait par la suite rejoint l’équipe de Marie Curie lorsque celle ci fonda l’Institut du radium. Promise à une brillante carrière scientifique elle y avait renoncé pour les beaux yeux d’un jeune homme qu’elle avait épousé et suivi au Maroc. Là, malgré une vie mondaine intense elle s’était jetée à corps perdu dans la littérature, dévorant des livres de toutes sortes tout au long de nuits très courtes, puisque, comme Napoléon, elle ne dormait que 4 heures par jour…

Elle s’aperçut soudain qu’Anne Langevin avait l’air absent ; excusez- moi, je m’égare, je suis hors sujet ! Mais l’amitié entre Irène Joliot-Curie et mon arrière grand mère m’a toujours impressionnée et, il faut bien le dire, remplie de fierté.

Je n’étais pas absente expliqua Anne, mais attentive puis passionnée par votre passion justement. Je crois qu’avec votre arrière grand mère nous tenons un personnage certes totalement inconnu, mais qui sera parfait dans la collection. Je ne souhaite pas y voir figurer exclusivement des scientifiques reconnues, mais aussi évoquer toutes ces femmes qui en véritables pionnières ont arraché à une société masculine le droit d’étudier les sciences. Et puis vous en parlez avec un tel enthousiasme … C’est exactement ce que je veux dans la collection, du souffle, de la conviction, de la passion…

Vous feriez un livre sur mon arrière grand mère ? Sur Gabrielle ? Le souffle coupé, elle fixa Anne, puis le mur tapissé de livres dans son dos, puis à nouveau… Attendez, je n’arrive pas à y croire, Gabrielle, héroïne d’un livre ?  Elle revit le visage de son arrière grand mère, lui donnant des livres, lui conseillant Ronsard et Malraux, Sophocle et Camus, lui parlant tour à tour des poètes du Moyen–Age, de l’eau lourde ou des rubayats d’Omar Khayam.

Leur déjeuner fut très gai. Elle parla beaucoup, revenant sur son adolescence studieuse dans l’ombre de cette femme dont elle buvait les paroles, qui l’initia aussi à la musique classique, au jazz, au féminisme, qui lui apprit surtout à penser. Et voilà que la vie lui donnait une superbe occasion de lui rendre hommage…

De fortes turbulences la tirèrent de sa rêverie, ravivant sa peur des voyages en avion. Celui-ci descendait dans la mer de nuage, la pluie crépitait contre le hublot. Le paysage apparut, triste, dans la grisaille. Elle regarda sa montre : on arrivait bien à Athènes ; mais ce n’était plus la lumière étincelante de l’été ni le bleu lumineux d’un ciel sans nuage. C’est le mois de décembre, comment ai-je pu l’oublier ? Je n’ai pas pensé à la saison ! Elle se remémora brusquement ce film grec l’Apiculteur, avec Mastroianni qu’elle avait vu il y a quelques années; en sortant de la salle elle avait déclaré en riant qu’elle n’irait jamais en Grèce l’hiver « Trop triste ». Mais peut-être qu’à Santorin…

Synopsis 

A -  Dans la navette pour l’aéroport le personnage, une femme d’une quarantaine d’année, qui a quitté soudainement son domicile et sa famille, rêve à l’île de Santorin où elle a décidé de se rendre, fantasme sur sa vie là-bas et sur la réalisation d’un projet qui lui tient à cœur, et qu’elle va pouvoir enfin mener. Editrice free lance, elle avait déjà écrit quelques documentaires; fille d’une ex soixante huitarde très féministe elle s’était spécialisée dans l’éducation différenciée des garçons et des filles etc. Aussi quand les éditions Viviane Lamy avait lancé une collection sur « Les féministes inconnues qui ont fait l’histoire », elle avait postulé et proposé d’évoquer la vie d’ Iréne Joliot Curie. Intéressée, la directrice de collection l’avait rencontrée et découvert, au fil des discussions, que l’arrière grand- mère du personnage, bien que totalement inconnue, avait été une pionnière : reçu première à l’agrégation de mathématiques l’année où celle-ci fut ouverte aux femmes, titulaire d’un doctorat de chimie elle avait travaillé dans le laboratoire d’ Iréne Joliot Curie dont elle était devenue l’amie. Finalement, c’est l’histoire de l’arrière grand- mère qui avait été retenue. Mais ce projet – qui l’enthousiasmait au plus haut point-  n’avançait pas, tant elle restait engluée dans les problèmes de travail et les préoccupations domestiques.

B - Aéroport d’Athènes ; premiers déboires avec la correspondance, contretemps : les vols sont annulés à cause d’une tempête; finalement elle se rend au Pirée, loge dans un hôtel sinistre pour prendre, le lendemain matin, le ferry qui va la conduire sur l’île ; la mer est encore agitée, atteint de nausée, la narratrice commence à se demander si le sort n’est pas contre lui, mais une accalmie, au bout de 4 heures, lui permet grâce à l’air frais du pont de reprendre sa rêverie et d’échafauder des projets ; au fil de ses pensées, se mêlent des retours sur son passé, des souvenirs heureux de croisière en Méditerranée aux rancœurs accumulées par un quotidien décevant ; de cet écheveau émerge avec force la certitude que ce départ était absolument nécessaire et ne pouvait qu’être salvateur.

C - Santorin enfin ! Mais ce n’est plus l’été et il fait froid ; les rues de Oia sont désertes, l’hôtel peu accueillant, la chambre mal placée-  au dessus d’une courette- et sans vue. Après de longues discussions, un accord est trouvé : elle change d’établissement et s’installe à Arthur Houses, résidence tenu par le fils de l’hôtesse du premier hôtel, non sans avoir déboursé beaucoup plus d’argent que prévu. Mais le studio fort agréable, comprend la vue, cette fameuse vue sur le volcan et la mer Égée, dont le souvenir le hantait depuis longtemps. En fin d’après-midi, installée sur la terrasse du café face à la mer, son esprit vagabonde à nouveau.

D - Le lendemain la narratrice loue une voiture. Ballade idyllique dans l’île ; des projets de toute sorte explosent : elle va s’installer ici et après avoir terminé son livre, ouvrir une chambre d’hôtes, organiser des résidences d’écrivain, et pourquoi pas se lancer dans l’agriculture bio ! Le soir après un excellent repas bien arrosé elle s’endort euphorique. Mais, le lendemain alors qu’elle s’attaque à son travail, internet ne marche pas ! Elle prend alors conscience de la quasi impossibilité de mener son projet sans livres, sans documentation, sans internet, sans son grand écran…

Dehors, une pluie fine et triste a succédé au soleil éclatant.

E - Au bout de quelques jours la narratrice décide de reprendre contact avec sa famille. Elle était partie abruptement, sans explication, tout juste un mot sibyllin quelque peu inquiétant. Les nouvelles sont mauvaises : sa mère malade ; son mari hospitalisé en pleine déprime, ses enfants furieux contre elle.

Tout aussi soudainement qu’elle avait pris la décision de partir, elle décide revenir chez elle, sans avertir quiconque de son retour…

Que va-t-elle trouver ?

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