D'un quai à l'autre

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D’un quai à l’autre

Perturbation sur la ligne D. L’avantage d’une ligne de métro sans conducteur c’est qu’en cas de grève les stations sont toujours desservies. Mais parfois, c’est indépendant de sa volonté, la machine peut être perturbée. Et ça perturbe beaucoup de gens cette histoire, moi y compris. Avec un maximum de personnes dans un espace plutôt restreint, le stress monte. Il est palpable. Le mal le plus répandu sur notre planète : Le stress est à l’origine de tas de maladies, dépressions, infarctus. A forte dose, il peut déclencher un cancer. C’est en tout cas ce que des chercheurs très sérieux tentaient de prouver dans l’émission d’hier soir. Après un quart d’heure, pas si longtemps que ça mais pourtant une éternité, la circulation est rétablie. Il faut le dire, nous avons frôlé la catastrophe. Les rails vibrent, la foule s’approche dangereusement du bord du quai. Dans le virage d’un tunnel sordide, le museau du métro apparaît avec son conducteur fantôme. Les portes s’ouvrent et je suis le témoin discret de la stupidité humaine. Attention, je ne suis pas blasée par la vie. J’ai parfois réalisé des actes dont je ne suis pas fier et j’ai aussi été témoin d’actes courageux et généreux de la part de mes congénères. Mais là, vraiment, c’est pathétique. On ne laisse pas sortir les gens de la rame de métro, qu’ils soient valides ou en fauteuil roulant. On se fout des enfants, on n’hésite pas à les bousculer ou les séparer de leurs parents. Sans scrupule, juste pour avoir la première place. C’est chacun pour soi, dent pour dent, histoire de répéter le même scénario qu’au travail. Ce lieu plaisant où on passe la majorité de sa vie à réaliser des tâches passionnantes, entouré de personnes bienveillantes, d’une hiérarchie à l’écoute de ses salariés, toujours soucieuse de leur bien être. Aïe, je suis désabusée. Il est temps que je prenne du recul, dans le vrai sens du terme. D’ailleurs je m’éloigne du quai. J’attends, patiemment, tranquillement. Je sens le stress disparaître par couches successives. Comment ? Pourquoi ? Je ne sais pas. Je regarde les métros défiler les uns après les autres et j’esquisse le début d’un sourire. Un sourire satisfait et serein. C’est mon jour de chance, je le sais. Je ne vais surtout pas la laisser passer. La chance de ma vie.

Pardon maman, pardon papa, de faire preuve d’autant d’irresponsabilité. Mes excuses  monsieur le banquier de ne pas pouvoir rembourser mon emprunt pendant quelques temps. J’en suis sûre, je vais trouver une solution. Mes excuses pour mes employeurs. J’ai laissé un peu de travail en rabe dans mon joli placard flambant neuf. Vous trouverez bien une remplaçante plus productive, plus organisée que moi. Je ne peux plus attendre, il faut vraiment que j’y aille. Parce que… Mince… J’ai mieux à faire !!!

Je sors du métro sous la lumière du jour naissant. Je pourrais dire que j’ai respiré à pleins poumons comme me l’a appris mon amie sophrologue. Mais non, je me suis abstenue. Pollution oblige. Au bout de l’avenue rectiligne, la Basilique de Fourvière a fière allure. Des klaxons stridents écourtent ma contemplation. Obéissante, mais plus pour longtemps, je traverse quand le signal piéton est vert. C’est une question de survie.

J’avance à grandes enjambées Avenue de Saxe. Des lycéens décontractés sont assis sur un banc, un vendeur aligne ses motos rutilantes sur le trottoir. Un père de famille, poussette en mains, emmène son  garçon à la crèche. Dans un troquet le premier verre de blanc est servi, une odeur de pain au chocolat s’échappe d’une boulangerie voisine. Dernier virage avant d’arriver dans ma rue. Ma rue depuis douze ans. C’est la dernière ligne droite. Je n’en mène pas large. Mais ceci n’empêche pas la politesse : Je réponds au bonjour du monsieur de la maison de la presse, un amateur de rugby. Voilà, j’y suis. En bas de mon immeuble. Un immeuble bien carré, parfaitement découpé. Onze étages, idéal pour les esprits cartésiens. Mon antithèse, je crois. A l’entrée de l’immeuble le gardien, un ancien militaire, affiche un sourire sincère, bienveillant.

-       Vous avez oublié quelque chose ? me demande t-il.

-       Oui, ma liberté lui dis-je avec un clin d’œil.

L’ascenseur : étage 1,2,3 vite, vite…4 et 5. Ouverture des portes.

Mon appartement est désordonné. Peut-être est-ce le reflet de mon désordre intérieur. Je sais exactement ce que je m’apprête à faire. L’appel est trop fort. Je prépare ma valise, ma carte d’identité. Pour les Livres sterling, on verra à l’aéroport. Oh oui, partir, partir. Pas très original. C’est une urgence, mon urgence. Edimbourg m’appelle. La météo, ça va. Il faut quand même prévoir la polaire. Ne pas oublier mon imperméable, celui  qui résiste à 2 heures de pluie consécutives d’après le vendeur. A voir. Je prends mon vieux guide corné. Toujours feuilleté sans jamais partir. Je mets à fond mes musiques préférées, Midnight Oil, The Police, David Bowie… Je chantonne aussi faux qu’un canari (je n’ai jamais aimé le chant des canaris). Je bois un verre d’eau, je n’ai pas vraiment faim. Dans la matinée je reçois un appel du boulot. Je ne réponds pas. J’envoie juste un mail disant que je suis malade. Assure que je les tiendrais informés après le RDV chez le médecin. Pas beau de mentir. Si un petit peu quand même. La navette, l’arrivée à l’aéroport. Pas de tension particulière et surtout aucune culpabilité. Je répète : aucune cul-pa-bi-li-té. La marche semble longue jusqu’à l’embarquement à cause de l’impatience.

Ma carte d’identité, je laisse ma valise. Je passe à la fouille. C’est tellement facile de partir. Pourquoi je ne l’ai pas fait plus tôt ?

Je commence à avoir une petite fringale. J’achète un paquet de biscuits. Au comptoir un charmant jeune homme m’accueille.

-       Bonjour Mademoiselle (c’est toujours agréable à presque 40 ans de s’entendre encore appeler mademoiselle). Il encaisse et demande :

-    Vous voulez un verre d’eau ? (ça se voit tant que ça que je suis nerveuse à l’idée de prendre l’avion ?)

-    Non, merci, je pense que ça ira.

-       Si vous avez besoin de quelque chose demandez-moi.

(Sympa de prendre soin de ma personne).

-       J’ai peur de l’avion.

-       N’ayez crainte, ça fait 10 ans que je travaille dans cet aéroport et il n’y a jamais eu de crash.

(C’est sans doute un gage de sécurité ? mais peut-être que le premier crash est pour aujourd’hui). J’abandonne aussitôt cette idée défaitiste. A force d’y croire je vais finir par provoquer une catastrophe.

Synopsis

C’est incontestable, cette matinée à comme un air de déjà vu…Le métro est en panne, la foule s’amasse, le stress est palpable. Anna est lasse. Lasse, d’une vie parfaitement chronométrée, lasse de courir après le temps, après rien en somme.  C’est décidé, elle va changer le cours de cette journée et peut-être même le cours de sa vie. La liberté l’appelle. En route pour l’Ecosse, donc. Au décollage, la volubile Agathe lui fait oublier sa phobie de l’avion. Dans un pub d’Edimbourg, Terence le joueur de banjo devient l’initiateur de sa véritable quête. Reniant toutes les  nouvelles technologies, il lui demande de remettre un message à un ami musicien. Munie d’une enveloppe cachetée dont elle ignore le contenu, Anna accepte son nouveau rôle de messagère. Le destinataire de ce mystérieux message vit sur l’île de Mull, une île des Hébrides intérieures. D’abord une petite parenthèse à Glasgow. Une visite de la ville agrémentée des commentaires d’un professeur d’université à la retraite. Un Haggis dégusté et voilà que surgit le jeune Peter échappé d’une plateforme pétrolière, philosophe à ses heures et aux paroles pleines de sagesse. Anna le sait bien, il a une idée derrière la tête... Le lendemain, un bus et un Ferry plus tard, elle s’imagine une vie antérieure sur l’île de Mull. Une route cahoteuse. Des moutons nonchalants ponctuent le paysage jusqu’au petit port de Tobermory. Devant le van Fish and chips un pêcheur lui conseille de loger chez son amie Katie, propriétaire d’un Bed and Breakfast. Un coup de fil plus tard, Anna se retrouve dans la charmante petite chambre d’un cottage situé sur les hauteurs du village. Entre la septuagénaire fantaisiste et Anna démarre une belle amitié. Katie abandonne ses soirées tricot pour de longues discussions avec Anna, partage avec elle son goût immodéré pour les voyages, lui fait découvrir son univers, ses amis de tous âges et de tous horizons. Parmi eux, Anna retrouve Travis, le pêcheur rencontré sur le quai le premier jour de son arrivée. Anna est attirée par cet homme à l’aspect rugueux mais plein d’humour. Au retour d’une sortie en mer, elle se laisse entraîner par Katie et ses amis dans le pub au bout du quai. Des musiciens jouent. Travis est le violoniste du groupe. Le regard et les sourires en coin de Travis montrent sans équivoque son attirance pour Anna. Tout s’accélère, Anna apprend le surnom du pêcheur, musicien à ses heures. Elle comprend qu’il est le destinataire de son message…

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