« Le ballon rouge » - Pour vivre heureux
Dominique Taureau
Dans les allées, cheveux au vent, du haut de ses vingt printemps elle allait gaiement ; et sa robe blanche légère épousait l’ondulation altière de sa silhouette fine et élégante. Dans l’aurore qui s’en rayonnait doucement, au carrefour des quatre chemins elle improvisa un tango de petits pas drolatiques : « - Le nord ? Non ! »...« - L’est ? Encore moins ! »...« - Le sud ? Non plus ! »...« - Alors l’ouest ? Pas plus ! ». Elle éclata de rire, puis se posa sur le banc, s’asseyant sur sa sacoche noire. Elle croisa ses longues jambes, ses ravissantes jambes sous l’éclat de neige de sa robe aubépine. « - Ah la volupté ! » murmura-t-elle, le nez retroussé pointé vers les lilas violet et blanc qui fleurissaient au-dessus de son emplacement, en étirant vers l’arrière sa longue chevelure auburn.
Autour d’elle, le parc s’offrait comme une oisellerie fascinante. Sur le lac lisse embrumé, sa majesté le cygne glissait dans son blanc insigne navire profilé. Sur la rive s’ébattaient les ducs colvert en cancans discrets. Les barons merles à bec ouvert sautillaient la plume de travers guettant les vers sur les gazons verts – Tous les vers mi-sots à découvert – parmi la rosée du jour levant que venait vernir le bel or mouvant du soleil qui s’épanouissait à l’horizon…Et le geai ! Ce milord rutilant qui, deçà, delà, cajolait – grand imitateur et marrant pervers ! – se distrayant parmi les grands chênes verdoyants…« -Toc, toc, toc, toc » fit le marquis pivert sous une branche à l’envers…Ah ce monseigneur le prince pie qui voltigeait en queue-de-pie jacassant à tue-bec !…Tiens voilà Crôa ! Au bord de la fontaine, maître corbeau, le docte pédant, promenait son fier jabot dans son lustre noir étincelant, des chevaliers pigeons en livrée gris-bleu de commis voyageur roucoulaient tels des damoiseaux et la foule gazouillante des baladins moineaux, vifs chamailleurs dégourdis et lurons hardis, virevoltait…
Elle frémit comme touchée par un rayon buissonnier. Á l’instant où elle allait repartir, le cri verlan du coucou résonna trois fois. Impulsive, la faune ailée s’était tue puis envolée pour disparaître ; le silence insolite régna : l’insouciance s’était enfuie. Troublée par ce présage instinctif tel un mauvais pressentiment, elle ressentit une atteinte imperceptible à son bien-être ambiant. Alors, sacoche noire dans la main gauche, réalisant une jolie pirouette de danseuse classique en effectuant de la main droite un gracieux salut vers le ciel adressé aux alentours, elle cria à la cantonade : « -Oyez, oyez passereaux, piafs, pinsons et fauvettes ! Pour vivre heureux, gardez-vous de ce troubadour à l’amour sortilège et sacrilège. »
Après l’envolée de ces mots, dans son dos le chant clair de l’oiseau retentit provocateur et rebelle, répétant à l’envie son refrain envoûtant tel l’écho mystérieux et énigmatique à son intuitive appréhension.