« Paris, je t’aime même si souvent je te hais »

Marion Bouchalais

Pour la science, j’ai quitté ma Bretagne natale (pas si natale que ça, mais je dois taire ce détail pour ne pas éveiller les soupçons de mes compatriotes sur mes origines parisiennes). Ce voyage à l’étranger a bien sur été longuement préparé et les us et coutumes de la capitale étudiés afin de me fondre dans la masse le plus discrètement possible. Exit les galettes saucisses, je fais moi-même mine d’ignorer qu’il existe des galettes au sarrazin et mange gaiement des crêpes au fromage en ayant l’air de trouver ça normal… Mais, le parisien est un adversaire de taille et malgré l’élaboration minutieuse de ma stratégie d’adaptation ma couverture est tombée dès le premier soir :

- T’es pas d’ici toi, non ? 

- (Panique) Euh, non pourquoi, ça se voit ?

- Ouais, t’as l’air sympa et tu m’as pas encore envoyé chier.

- Ah…

Et oui, aussi caricaturale que cela puisse paraître la sympathie voire carrément le sourire est à bannir pour une couverture optimale.

Forte de cette nouvelle donnée je poursuis mon exploration direction le Glaz’art pour une soirée à thème. Le concept a l’air sympa, le personnel moins. Après quelques verres, j’oublie malheureusement le premier précepte assimilé et tente de plaisanter avec le barman… Fatale erreur, ici on n’est pas là pour rire mais pour encaisser, sors tes tunes et ta blague tu te la carres au cul ! Mmh, sympa ! Afin de poursuivre l’intégration ma sœur tente une nouvelle expérience : le lancer de verre (en plastique) sur barman. Nouvel échec, les parisiens manquent vraiment d’humour et nous voilà donc violemment  jetées dehors. Bon, la soirée n’est pas gâchée pour autant et les premiers métros sont déjà là. Direction le 13ème.

7h00 du matin, on peut dire que les rames de la ligne 14 sont plutôt désertes. Apparemment, le jeune homme qui vient se poser à côté de nous le sait. La trentaine, rasé,  une main sur la barre du métro, l’autre dans son bas de jogging, je me dis qu’il n’est pas chié de se gratter ouvertement devant tout le monde jusqu’à ce qu’il sorte tout simplement sa bite et se mette à se masturber en nous regardant d’un air entendu… Quel gros porc, il ne sait pas sur qui il est tombé, je me dresse devant lui et lui demande d’arrêter de se branler et de dégager, assez fort pour que son humiliation et l’indignation des quelques personnes dans le wagon soient totales. Il me menace rapidement en secouant sa bite comme un sabre laser et descend à la station d’après en criant « Pute ! Pute ! Pute ! ». Je tente de faire part de ma mésaventure aux agents de sécurité de la RATP imaginant naïvement qu’ils prendront note de la description que je leur propose de faire du malotru, que nenni ! Ils se contentent d’en rire et de me demander d’une voie goguenarde si je suis choquée et si je veux voir un médecin… Bienvenue à Paris !

Cette première journée ne m’a pas découragée pour autant, et je continue mon exploration les jours suivants. Au milieu de cette masse qui s’agite je me sens parfois un peu perdue et étrangement seule. Ici, je ne suis personne. Enivrée par un tourbillon de lumières, d’odeurs, de sons l’immensité des possibilités qui s’offrent à moi me donne le vertige. Par où commencer ? Je monte dans le métro et me laisse guider par le monstre sous-terrain. Le métro me happe et me recrache de façon régulière. A chaque sortie, j’ai l’impression d’être dans une ville différente. Au bout d’une semaine, je sais que je vais aimer cette ville autant que j’ai pu la détester. Assise dans le métro, baladeur de rigueur vissé sur les oreilles, je m’imagine en vacances en Bretagne écoutant d’une oreille amusée les autochtones pester sur ces envahisseurs estivaux venus de la grande ville « qui se garent n’importe où et parlent de façon hautaine » tout en continuant mon chemin le nez le plus haut possible vers le ciel, me congratulant moi aussi de vivre quelque chose qu’ils ne comprendront jamais.

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