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hel

histoire courte écrite à partir d'une chanson, vous pouvez vous amusez à deviner laquelle si ça vous dit.

Quelque chose l'a réveillée. Elle n'a pas su trop quoi, ni même où elle se trouvait. C'est étrange cette sensation quand on se réveille on ne sait où, dans un décor inconnu, un lieu qu'on ne remet pas, du moins pas immédiatement, ce moment où la mémoire n'émerge pas encore. Fragile et fugace, elle aime ce flottement qui ne dure que l'espace de quelques secondes, aussi les instants incertains, se réveiller où elle ne sait pas. Comme un tout possible et rien d'arrêté. Comme se tenir les pieds justes au bord d'un précipice. Petit vertige. Le cœur qui s'affole un peu, le sang qui pulse, une demi-minute de panique à peine.

Aux vitres il y a des étoffes punaisées, enfin pas punaisées exactement, elle ne sait pas, juste des étoffes colorées qui tiennent comme ça tout autour, à peine caressées de la lumière qui reste en retrait derrière. Elle suit les dessins dessus, imprime les formes dans sa tête, comme une image gravée pour plus tard.

Elle est nue, elle a froid. Les draps sont blancs, lourds et souples à la fois, des draps d'hôpital on dirait un peu. Elle aime bien. Quelqu'un à côté. Qui dort sur le dos, les bras repliés sous la tête, les coudes qui saillent, qui font des bras comme des ailes. Un homme oiseau. Elle aime son odeur. Ou plutôt l'odeur qui flotte entre eux, autour du lit, sur les oreillers. Un rien de froissé et d'animal. Une odeur d'assoupissement, légère, grisante, tiède. Les choses nouvelles intriguent toujours, l'intriguent toujours. La mémoire est nette maintenant, le lieu reprend sa forme de la veille. Un endroit confiné, un mobile home en périphérie de la ville. De la tôle un peu rouillée, un grand tapis d'herbe d'un vert net, juste devant qui contraste comme venu d'ailleurs, d'un pré, d'une villa proprette. D'autres images lui reviennent à petit, les autres mobiles-homme, les grillages autour en barbelés, les deux gros chiens à l'entrée qui tirent sur leurs laisses, une sorte de petit bois dans le fond, un petit bois étrange où les arbres ont des plastiques qui poussent sur les branches et s'effilochent au vent. Aussi des balançoires et tout plein de gamins dépenaillés qui s'amusaient à se pousser haut et sauter dans les airs comme ça, à lui donner le vertige et des frissons, à vous donner des idées comme vouloir  entre huit et dix ans, pour toujours. Elle s'est dit qu'elle les rejoindrait après.

Ils travaillaient dans le même fast-food, il n'était pas venu depuis trois semaines, ne répondait pas aux appels, aux courriers, disparu : pof ! Le manager à vider son casier dans un gros sac-poubelle noir. Un instant mortuaire, elle a pensé : les aiguilles qui tournent les gens qui se remplacent, se jettent à la poubelle sans trop de questions. Ça se balaye donc les gens, les présences de plusieurs mois. En sortant, elle est tombée sur le sac, a trouvé l'adresse dans un fond de paperasse. Elle s'est pointée comme ça, sans trop réfléchir, la mère sortait juste, serveuse aussi visiblement, de nuit. La mère l'a toisé de haut en bas, pas sévère juste curieuse d'une curiosité qu'on ne masque pas et elle s'est dit que peut-être elle aurait dû prendre le temps d'une douche avant de se pointer. La mère était surprise surtout, elle s'est épanchée en lui proposant une cigarette qu'elles ont fumée dans le carré d'herbe tout vert sur deux chaises plastiques dépareillées. Elle a dit qu'il ne sortait plus, que ça arrivait parfois  tout en restant épisodique, comme des ruptures. Qu'il s'était fait renvoyer trop de fois déjà, qu'elle était étonnée un peu que personne jamais ne venait le voir après. Et encore « je vais être en retard, allez-y et tirer bien la porte derrière ».

Elle étouffe un peu, voudrait soulever les étoffes laisser entrer le jour. Elle n'ose trop, se lève, tâtonne jusqu'à la salle d'eau d'un vieux marron crème hideux. Aussi de la lingerie couleur chair de la mère, tout qui la saisit comme ça, rance, passé. Elle touche la lingerie du bout de doigts, de loin, elle y voit des signes, des mots, des choses murmurées, des malédictions inévitables. Elle repense au visage de la mère, usé comme la lingerie, usé comme la mère doit sûrement l'être et qui arbore cette usure sans le vouloir, peinte dans les traits de son visage. Qui chaque jour doit la regarder droit dans les yeux, chaque même jour dans le miroir fendillé au-dessus du lavabo. Ça peut pas se lifter ce genre de traits là. Elle n'a pas envie de vieillir, jamais. Elle se voit mourir jeune, mais pas maintenant, pas encore, trop de choses qui lui font envie.

— Qu'est-ce tu fous ?

Elle est sur le siège des toilettes quand il rentre, sa brosse à dents à lui dans la bouche.

— Ma brosse à dent en plus putain, vas-y fait comme chez toi.

Elle ne dit rien, elle pense qu'ils avaient leurs langues collées, et que leurs bouches se sont déjà visitées. C'est un peu pareil non ? Ils sont nus, pâles tous les deux, lui encore plus, elle imagine le contraste d'avec les murs passés, comme si elle prenait un cliché mentalement.

Un peu après il se recouche. Il fume la tête calée contre un oreiller en la regardant. Elle voit que ça cogite. Elle aimerait pouvoir lire dans ses pensées. Elle aimerait décrocher les étoffes, laisser le jour entrer et la lumière tout éclabousser. Laisser la vie entrer. Elle s'assoit sur le bord du lit, à une distance raisonnable de lui, ni trop proche ni trop lointaine.

— Depuis combien de temps t'es pas sorti ?

Il esquisse une moue rigolarde puis son visage se referme tout entier, comme s'il avait failli dire quelque chose, répondre, et puis non en fait. Il écrase sa cigarette dans un pot de yaourt qui trône sur la table de chevet. Il n'y a que ça, le lit, la table de chevet, les étoffes aux fenêtres, et un vague placard à étagère enfoncé dans le mur, aussi un plafonnier à hélice. Elle ne sait plus comme ça s'appelle, un truc qui fait de l'air et de la lumière, qui a un côté assez exotique pour laisser imaginer qu'on se trouve n'importe où, que derrière les étoffes n'importe quel paysage peut se cacher. Elle s'allonge, somnole un instant, prête à s'endormir, mais le bruit très distinct d'un tourniquet d'arrosage la ramène à elle, à l'envie du dehors encore.

Elle a envie de café aussi, elle lui dit. Ils se rhabillent un peu, puis il en fait pour deux. Il attrape deux tasses, chacune à l'effigie d'une ville différente, avec des dessins peints et des couleurs un peu criardes. Il parle, des gens en général, il dessine des caricatures, les mots un peu âpres, un peu amers, la fausse gentillesse, les faux-culs, la routine des gestes qui l'étouffe, les sourires des gens, les cris des gens, tout ça en vrac. Pas très intelligible, pas de quoi comprendre. Y'a peut-être rien à comprendre elle se dit aussi. Il faudrait qu'il sorte, elle pense. Elle dit qu'elle va sortir, fumer dehors, toucher le soleil. Il la trouve bizarre un peu, sa façon de parler surtout. Il aime bien quand même.

Elle laisse la porte grande ouverte. Le soleil lui pique les yeux, elle reste sur le perron deux minutes, juste à la frontière de la pleine lumière. Puis elle avance sur l'herbe mouillée par le jet, observer les gouttes d'eau qui font comme des perles translucides traversées par les rayons du soleil. Elle se retourne, il est là, dans l'encadrement. Elle ne l'appelle pas, ne le pousse pas plus que ça, n'espère rien. Elle prend un autre cliché juste en clignant des yeux, pour plus tard toujours. Elle détourne son regard, le reporte sur les gamins qui se balancent dans les hauteurs, pareils à la veille, intrépides, et dont les doigts écartés saisissent des portions de ciel.

  • J'ai beaucoup aimé ce texte mais je ne crois pas connaître la chanson

    · Il y a plus de 7 ans ·
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    nyckie-alause

    • Merci Nickie, contente que le texte t'ait plu. Après je pense qu'il est plus ou moins dur selon les textes de départ de retracer, d'autant qu'il y a forcément une part de subjectivité dans la façon dont chacun interprète ressent un texte et le retranscrit. C'est aussi avec un peu de curiosité que je me lance là-dessus, voir si un univers propre se développe extrapole les contours de départ, ça reste surtout une piste d'inspiration. J'affilierais chaque chanson plus tard.

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Avat

      hel

  • Pas de soucis Hel, je les lirais toujours avec plaisir ...

    · Il y a plus de 7 ans ·
    W

    marielesmots

  • Heureuse de te revoir ici, tu n'es jamais aussi forte que dans l'analyse des caractères , des sentiments et ressentiments ... voilà une histoire qui démarre fort bien Mamz ' Hel, le cadre est posé dans un univers inhabituel .... on attend la suite ... merci à toi

    · Il y a plus de 7 ans ·
    W

    marielesmots

    • merci Marie :)
      j'ai mal présenté je crois ce sont des histoires indépendantes, je vais préciser mieux pas envie de me lancer sur de gros morceaux qui restent en suspend. ce sont juste de petites histoires que je bâtie à partir de texte de chanson que j'aime, un truc que j'avais toujours voulu faire. merci pour ta lecture :)

      · Il y a plus de 7 ans ·
      Avat

      hel

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