12 novembre - le jour d'après
petisaintleu
Vierzon est une ville bien insignifiante. Le seul monument vraiment remarquable est immatériel. Grâce aux paroles de Jacques Brel, si on avait à hésiter entre la peste et le choléra, nous serions dans l'embarras à la choisir avec la non moins terne Vesoul. Avec un peu d'imagination, à peine pourrions-nous, en visitant le musée des Fours banaux, nous projeter dans la guerre de Cent Ans pour y croiser du Guesclin qui la libéra des Anglais ou le roi de Bourges se carapatant vers sa non moins dérisoire capitale. Le reste de son histoire est tout aussi marécageux que la Sologne qui la jouxte.
Ce sont 27 000 âmes qui, comme dans tout chef-lieu d'arrondissement, se sont acculturées à déserter un centre-ville exsangue pour se donner l'illusion de participer à la gabegie mondiale et dépenser, pour les plus chanceuses, leurs économies dans un centre commercial périphérique.
Dans cet hexagone des grandes métropoles qui ne tourne plus carré, que pèsent 27 000 pékins d'un coin paumé ? Des vies de pas grand-chose, excentrées, oubliées des autoroutes de l'information, des sans dents moqués par les premiers de cordée. Et pourtant, au cœur des milliers de foyers, on se lève tous les matins avec l'espoir que nos enfants seront à même de se construire un avenir. Pour ceux qui ont le luxe d'avoir un emploi, on croit encore que le travail rend libre.
À un jet de pierre de l'avenue du 8 mai 1945, vous y trouverez la rue Alain Fournier, un enfant du coin, mort au combat le 22 septembre 1914. Un mois plus tôt, le 22 août, ce furent 27 000 Alain, Germain ou Robert, l'équivalent de la population de la sous-préfecture, qui tombèrent en une journée sous le feu ennemi.
Ces pauvres enfants eurent de la chance. Ils ne connurent pas l'enfer des tranchées, Verdun ou le chemin des Dames. Ils disparurent bien avant que les survivants ne se lassent et ne s'insurgent en 1917 contre cette effroyable boucherie. Ces 27 000, massacrés le même jour, avaient tous en tête leur cahier d'écolier, les images d'Épinal d'une France meurtrie par la guerre de 70 ou les discours revanchards et patriotiques de la IIIe République.
Que penseraient ces 27 000 martyrs s'ils devaient aujourd'hui se rendre en la capitale du Pays des Cinq rivières ? Que penseraient-ils des voitures calcinées qui sont la marque de fabrique des banlieues repoussées loin des faubourgs ? Mais où sont donc passés veaux, vaches et cochons ? Le sacrifice existe toujours. Ce sont désormais aux poulets de monter au front et de faire face aux batteries ennemies des citoyens de seconde zone. On leurs balance à la gueule l'illusion de l'égalité, la liberté ghettoïsée et la fraternité communautariste.
Tant de sang versé, tant de progrès techniques et technologiques que nous devons bien souvent à la volonté farouche de construire le canon le plus efficace, l'avion le plus furtif ou le submersible le plus insubmersible. Toutes ces tranchées, tous ces trous d'obus, tous ces corps déchiquetés ou gazés pour revenir, après l'interrègne des rois de la consommation, au temps des incertitudes et de la peur, antichambre de la barbarie.
Les futurs combats sont bien mal engagés. On ne peut plus compter sur l'union sacrée qui, toute propagandiste qu'elle fût, avait au moins le mérite de souder un peuple derrière un objectif commun. Demain, nous n'aurions pour soldats que des estropiés aux pouces musclés par les consoles de jeux, de crasseux incultes qui glorifient l'hédonisme de la téléréalité, des héros aux petits pieds qui refuseraient à se sacrifier pour une mère patrie dont le lait nourricier fait bien moins rêver qu'un menu pané du KFC.
Vierzon n'est plus que l'ombre d'une ombre, un poing inexistant tendu par des gilets qui ont vite déchanté. Seul le virus de la déchéance annoncée la relie encore à la fierté d'appartenir au roman national.
Triste et réel constat...
· Il y a environ 4 ans ·Sy Lou
C'est superbement écrit et tellement vrai. Si le soldat inconnu voyait ce que nous sommes devenus, il quitterait sa tombe pour aller explorer une autre planète.
· Il y a environ 4 ans ·daniel-m
oui on en est tous KO (par contre le son de la vidéo est pourri)
· Il y a environ 4 ans ·Gabriel Meunier
J'aurai aimé que ton texte soit le discours de notre maire...En général nous n'avons droit qu'à des babioles et autres glorioles incantatoires sans aucune percée en direction d'une humanité qui pourrait devenir respectueuse de tous et de partage.
· Il y a environ 4 ans ·http://welovewords.com/documents/perpetuite
Gabriel Meunier