1600 Broadway
alex-k
1600 Broadway. J’habite une adresse prestigieuse sur la plus célèbre avenue du monde, n’en déplaise à ces morveux de frenchies et leurs Champs Elysées sans saveur. J’ai toujours vécu ici, dans la frénésie de Time Square, dans son flot incessant de touristes ravis, dans son bruit obsédant. Je suis un pur produit new-yorkais, un symbole de l’american way of life. Les gens qui me connaissent se comptent par milliards, je suis une célébrité planétaire.
Les regards se posent sur moi avec une luxure gourmande d’une insanité qui me flatte. Je suis un séducteur doublé d’un allumeur. J’aime qu’on me touche. Des yeux seulement, je ne veux pas aller trop loin. Mais quand on est une icône, on ne s’appartient plus et la maîtrise de son destin devient un idéal chimérique.
Dans ce tableau globalement idyllique, j’ai pourtant un problème d’une simplicité cruelle: je vais mourir. D’une mort qui n’aura rien de naturel et, le pire, c’est que je sais à quelle sauce la Grande Faucheuse va me manger. Elle prendra les traits d’un tueur psychopathe qui n’en sera pas à son coup d’essai, d’un ogre que le crime rassasie pour quelques courts instants seulement. Je ne le verrai pas venir. Anonyme, il se fondra dans la foule, et je disparaitrai entre ses doigts meurtriers.
Je n’ai aucune échappatoire, ma seule option est l’attente. Fébrile. J’essaye de profiter des miens tant qu’il en est encore temps. Comme moi, ils connaissent la fatalité de l’issue, car d’ici, on ne peut sortir que les pieds devant.
Combien de temps me reste-t-il ? Nul ne le sait, personne même ne se pose la question, comme si ma vie ne valait pas une cacahuète. Je suis coincé dans un immense tunnel et quand la lumière se profilera au bout, je saurai l’imminence de la fin de ma vie terrestre.
Je crierai à l’injustice, j’hurlerai ma rage à des oreilles indifférentes et je disparaitrai dans l’oubli, celui qui accompagne ceux qu’on porte au pinacle avant de les laisser s’écraser derrière soi.
Je voudrais qu’on garde un peu de moi, qu’on ne me rejette pas trop vite : c’est important la postérité. J’ai envie de croire que mon existence n’aura pas été vaine et que je laisserai un vide derrière moi, aussi minuscule soit-il.
Alors, quand, à votre tour, vous pousserez l’une des nombreuses portes vitrées de ce qui fut mon petit nid douillet, ayez une pensée fugace pour moi avant de perpétrer votre crime sur mes frères, dans ce temple du consumérisme à tous crins qu’est le M&M’s World du 1600 Broadway.