3 Fragments

chrisalexandra

Sortir les mots poètes de ses poches pour sentir l'invisible

FRAGMENT 1

Sur la pelouse, c’est l’automne, les feuilles craquent. La nature se replie sur elle-même, rassemble ses forces pour affronter la froidure. Quelques fleurettes attardées dressent encore fièrement leurs pétales colorées au-dessus des massifs déjà entrés en léthargie. Je m’avance vers les buis, leur parfum me ramène à mon enfance quand nous habitions cette grande maison entourée d’un parc qu’aujourd’hui un immeuble avec un parking goudronné remplace. Une brise légère fait s’envoler les feuilles. Tout est tranquille, presque silencieux car les moineaux piaillent frondeurs: « Que l’hiver arrive nous sommes prêts ! » Sont-ils très sûrs d’eux-mêmes ? Je marche maintenant sur un sentier boueux, j’essaye de ne penser à rien. Il faut traverser un ruisseau, de grosses pierres pavent le sol pour consolider la voie. Des hommes depuis longtemps passent ce gué, je recherche leur image, elle se reflète peut-être dans la flaque. J’aime la brise fraîche que je viens chercher pour m’aider à respirer au quotidien.

FRAGMENT 2

Là-bas l’automne n’existe pas, là-bas l’hiver arrive sans crier gare après 3 mois d’été, il s’installe sans vergogne, arrogant, terrible, sans soucis vraiment pour rien ni personne Il ne s’annonce pas : c’est comme un courant d’air glacé qui entrerait par surprise par la porte ouverte. Il paralyse jusqu’à la moelle des os. Là-bas, pas d’arbres ni de feuilles pour abriter les oiseaux, pas de fleurs ni de jardins, des déserts de pierres roulant sous les pas à l’infini tout près des étoiles à quatre mille mètres au dessus de la mer. Dans un ciel lumineux, le soleil marche à pas lents puis se cache derrière la montagne. Chaque jour, en quinze minutes la température baisse de moins 20 à moins 35°C et fait faire aux hommes et aux animaux un grand bon vers le sommeil. Comme les moineaux nous ne savons pas si nous nous réveillerons après telle épreuve. Il fera si froid ! Mais… là-bas, le ciel est si terriblement beau !

FRAGMENT 3

Ce matin, le soleil, joyeux part faire sa tournée mondiale, je charge mon sac sur mon dos et « tchallo ! » me voilà repartie. J’arpente le désert observe les couleurs, traque la lumière, la surveille, mon œil de photographe cherche le meilleur cadrage, le plus beau point de vue. La lumière trop crue et la chaleur trop lourde de midi me font attendre patiemment à l’ombre d’un rocher que les sommets se découpent enfin au cimeterre sur un ciel rosé-bleuté. Une image fragment d’éternité que je grave dans ma mémoire avant que de la voler pour la fixer, plus tard, sur le papier.

Puis je repars et chemine ainsi, le nez au vent, au vent d’antan. Elle vibre sous mon regard, entourée d’un halo diffus de lumière, je ne la regarde pas, la lune, tellement je suis absorbée par le rythme de la marche sur les pierres inégales de la piste, pourtant elle éclaire mon chemin. Des ombres massives se profilent peu à peu à l’horizon puis se précisent : voici l'oasis où je peux enfin m’arrêter à une vieille fontaine et, penchée sur les pensées de milliers de pèlerins d’hier, immobile, tout en me rafraîchissant, je voyage ainsi jusqu’à la source de l’humanité.

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