37ème étage
fonto
À quelques instants près, la porte de l'ascenseur se serait refermée et l'aurait emmené directement au 37ème étage, à son bureau, grappillant quelques précieuses minutes de travail. Au lieu de cela, le carillon caractéristique se fit entendre et les battants entreprirent de recommencer à s'ouvrir paresseusement, en chuintant.
Il pesta intérieurement contre l'idiot qui lui faisait perdre ce temps précieux et il commençait à composer sur son visage une moue de désapprobation lorsqu'elle entra dans la cabine. Ou plutôt lorsque son parfum suave, entêtant, chargé de phéromones y fit irruption quelques instants avant elle. Elle — la trentaine, de longs cheveux à la blondeur platine, tailleur noir sur chemisier blanc on ne peut plus classique, regard vert émeraude, rouge à lèvre écarlate. On eut soudain dit que toute l'électricité, la tension d'un de ces orages d'août venait de se concentrer dans l'espace réduit de la cabine, les emportant comme des fétus de paille dans le vent violent qui préfigure l'arrivée de l'averse.
Les portes finirent par se refermer et l'ascenseur entreprit d'emplir sa fonction première, comme s'il avait décidé de mettre un terme à cet instant hors du temps. Leurs regards se croisèrent ; elle semblait tout aussi sonnée que lui par la violence d'un choc émotionnel, sensuel, presque physique. Chacun de leur côté, ils firent un pas, pour se caler contre la paroi, comme si le nœud qui leur avait soudainement bloqué l'estomac s'était résolu en de gigantesques vagues de chaleur qui irradiaient depuis ce point central à travers tout leur corps, au point de les faire vaciller.
Le mouvement opposé qui les réunit fut tout aussi brutal, sans que l'on puisse voir l'ébauche d'un geste, et pourtant ils étaient là, plaqués l'un contre l'autre, c'en était presque douloureux. Leurs bouches, leurs lèvres se cherchaient furieusement ; leurs mains se parcouraient fébrilement, comme mues par la volonté de cartographier le corps de l'autre, comme si elles savaient que le temps leur était compté ; leurs jambes tentaient de s'entremêler en dépit des vêtements qui faisaient obstacle.
N'y tenant plus, il remonta sa jupe, découvrant une petite culotte en soie noire qui protégeait son intimité ; elle dégrafa la ceinture de son pantalon, qui tomba à terre, et libéra son excitation jusque là douloureusement contenue. Empoignant à pleines mains ses fesses, il la souleva pour la caler contre la rampe ; elle répondit en enroulant ses jambes autour de sa taille et l'attira contre lui de toute ses forces. Tout en continuant à l'embrasser furieusement, goulûment, il entra en elle et cette étreinte leur soutira un gémissement de plaisir intense.
Le carillon retentit à nouveau, signalant l'arrivée à l'étage, le retour au monde extérieur. Seule l'odeur charnelle, animale de leurs corps entremêlés pouvait trahir ce qui s'était passé durant ces quelques minutes, dans cet espace confiné lorsque les portes s'ouvrirent, et qu'ils sortirent, s'en allant chacun de son côté, comme si ces instants n'avaient été qu'une hallucination hyper-réaliste, qu'une projection fantasmagorique… Et aucun des deux n'aurait pu dire avec certitude que ce n'était pas le cas.
Sa voisine de bureau passa une tête et l'interpella :
- Timothée, viens, le big boss nous convoque sur le champ... Ne fais pas cette tête, je crois qu'il veut juste nous présenter sa fille, qui rejoint la boîte ce matin... Il paraît même qu'elle est super mignonne !