4500

kitty-h

4500…

L’examinatrice leur avait annoncé de sa voix lente et grêle : « La question éliminatoire sera très simple : dites-moi tout ce que vous savez de la perception du surmoi dans les pays du tiers monde. Votre réponse devra tenir en maximum 4.500 caractères ».

La jeune fille se rendit alors compte que l’étendue de ses connaissances, l’épreuve déterminante pour sa vie future allaient être jugées sur base d’un nombre ridiculement arbitraire de lettres et de ponctuations. Que se passerait-il si elle rendait une copie comportant 4.501 signes ? Quelle que soit la qualité de son écrit, celui-ci serait mis au rebut et sa carrière aussi.

Cette consigne lui avait étrangement imposé une pression supplémentaire et inutile.

A sa sortie de l’auditoire, elle était persuadée qu’elle aurait pu formidablement s’en sortir sans cette contrainte textuelle idiote. Ce sujet, elle le maîtrisait de bout en bout mais cette exigence l’avait obnubilée durant l’entièreté de l’épreuve, tel un fil incandescent reliant le canevas de ses pensées et qui apparaîtrait non seulement dans l’espace vide laissé entre chaque idée neuve, mais également présent en filigrane lorsqu’elle posait celle-ci sur papier.

Ce chiffre avait continué de la turlupiner même une fois sa copie rendue.

Cela avait commencé innocemment lorsqu’elle dût prendre le bus 4500 pour se rendre en ville.

Encore sous la déception de sa piètre rédaction, elle se dit que le hasard faisait parfois des plaisanteries bien douteuses…

Elle se rendit au supermarché acheter les quelques ingrédients nécessaires à son repas du soir. Elle rit jaune lorsqu’elle aperçut la publicité sur la façade proclamant des prix écrasés sur 4.500 articles !

Quant le montant total de ses achats, à savoir 45,00 Euros, s’afficha sur l’écran de contrôle, elle sentit un frisson parcourir sa colonne vertébrale.

Elle tapa alors son code de carte de crédit et réalisa, en entendant retentir le bip strident de la machine, qu’elle n’avait pas tapé son code personnel mais les satanés nombres. Elle faillit réitérer son erreur comme si les nombres maudits avaient décidé d’animer ses doigts tels des pantins de chair. Elle se fit violence pour composer le bon code, ce qui ne fut pas simple vu le tremblement de ses mains.

Elle se sentait de plus en plus mal et s’exhorta à relativiser. Elle était simplement victime du syndrome « voiture bleue », à savoir que toute personne qui achète une voiture bleue à l’impression de voir plus de voitures azuréennes dans les rues qu’à l’habitude…

Elle ne fut que trop heureuse de se faire accoster à la sortie du magasin par un étudiant réalisant un sondage d’opinion, cela allait l’aider à se remettre de ses émotions.

Depuis toujours, répondre de manière fantasque à une série de questions superflues et souvent indiscrètes l’amusait au moins autant qu’une gamine réalisant un canular téléphonique.

Hélas, le thème de l’enquête était malencontreusement « Les numéros de votre vie », chaque réponse devant consister en une donnée numérique.

Elle se fit remballer par le jeune homme indigné dès la troisième interrogation, étant donné qu’elle répondit à la triviale question « Combien de fois par jour vous brossez-vous les dents ? », une réponse identique aux deux précédentes (son code postal et le nombre de ses amis facebook) à savoir…4500.

Lorsqu’elle arriva au vidéoclub, elle faillit hurler. Sur le comptoir, une affichette indiquait le hit location de la semaine : en tête, la série « 4.400 » ! Mais son esprit perturbé et fatigué par des semaines de blocus lui fit voir d’autres chiffres…

C’en était trop pour une seule journée ! Elle comprit qu’il était grand temps de rentrer chez elle.

Que ce soit un tag sur les murs, un numéro d’appartement, une plaque de voiture, un gros titre dans le kiosque à journaux, partout elle LE voyait.

Elle se sentait condamnée à vivre dans un monde de Quatre, de Cinq et de double Zéros.

Au fur et à mesure du trajet, son pas se fit rapide, puis se mua en course.

Elle ne voulait plus regarder autour d’elle, ne souhaitait plus s’arrêter car, même si elle savait que cette idée était ridicule, elle LE sentait près d’elle, à côté d’elle, en elle.

C’est en prenant conscience de la date du jour (le 4 mai 2000), qu’elle perdit véritablement contact avec la réalité.

On la retrouva devant la grille de son appartement, tapant inlassablement sur le digicode une même suite de chiffre.

Quand, à l’asile, on la plaça dans la cellule 4500, elle y entra avec le sourire, sachant qu’à présent tout irait pour le mieux.

  • Bien ficelée ta nouvelle. On se rend compte petit à petit de la place qu'occupent les chiffres dans sa vie, tu es bien rentrée dans ce personnage que tu as inventé et ses ressentis, à moins que ce soit tout en partie du vécu !

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Fleur de lys orig

    fleurdelys

  • Diablement efficace cette nouvelle. Merci pour le partage ;)

    · Il y a plus de 13 ans ·
    Garci parano orig

    Ecriveuse

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