6501

cinderels

Elle est française, il est américain, 6501 km les séparent, et après d'innombrables messages et appels, ils sont désormais plus proches que jamais...

Je balayais la salle du regard, à bout de souffle. J'ignorais encore s'il s'agissait de la fatigue après m'être précipité pour sortir de l'avion et récupérer ma valise, où s'il s'agissait du stress.  Mon cœur battait à cent à l'heure, je transpirais, bref, je n'étais désormais plus présentable.

Je réajustais sans arrêt mes cheveux, arrangeais mon sourire, m'entraînais dans chacun de mes reflets que je croisais sur le chemin et tentais de cacher ce sourire envahissant sur mon visage. Il fallait vraiment que je me ressaisisse.

J'avais imaginé cette scène des centaines de milliers de fois, sous des angles différents, dans des ambiances toujours plus étranges les unes que les autres, comme si je me défilais sans cesse la même scène d'un film que je n'avais pas vu. Ce moment était enfin arrivé. Je n'y croyais pas.

Après de longs mois à avoir discuté avec cette personne sur internet, me voilà à plusieurs milliers de kilomètres pour la rencontrer en chair et en os. Nous avons passé des nuits entières à nous parler sur Skype, nous nous sommes échangés des lettres, des millions de messages, bref, nous connaissons beaucoup de choses de l'autre. Et pourtant, je n'ai jamais eu tant l'impression de foncer vers l'inconnu. Je ne sais pas à quoi m'attendre, ni à qui m'attendre.

J'ai travaillé dur sur moi-même. Je n'ai pas laissé mon esprit divaguer, ni imaginer quoi que ce soit, nous sommes restés très amical, sans jamais un sous-entendu ou de phrases étranges. Nous sommes théoriquement de bons amis, nous avons construits des bases solides. Mais mon cœur me dit que j'ai tout faux.

Je n'ai pas envie de me prendre la tête. Il doit être là, quelque part en train de m'attendre. Mon regard croise ceux de nombreux inconnus, je cherche, épie la foule, à la quête de ce fameux regard. Ma bandoulière de sac se fait la malle, je soupire, la replace sur mon épaule tout en lâchant ma valise, qui à son tour tombe au sol, je me baisse, je soupire à nouveau. Je suis au bout du rouleau. Plusieurs personnes me rentrent dedans, je grogne tout en me levant le plus vite possible. Je viens de me taper 8 heures d'avion, ce n'est pas le moment de m'énerver.

Pendant quelques secondes, je me surprends à regretter d'avoir été jusque-là. Je n'ai pas été raisonnable. J'ai agis sur un coup de tête. Et les coups de tête n'amènent rien de bon, du moins, pour moi. Quelle fille aurait acceptée l'invitation d'un homme à venir chez lui alors qu'elle ne l'a jamais vu ? Cette pensée s'estompa soudainement.

Je vois au loin une silhouette masculine, tenant dans ses mains une feuille A4 avec écrit à la main mon surnom – Le surnom qu'il m'a donné. Je reconnais son écriture depuis les lettres qu'il m'a envoyé.

Mon cœur s'arrête de battre, mes jambes se mettent à trembler. La pression est à son comble. Il est là, devant moi, à 3 mètres. Il doit faire ma taille voire plus un peu plus, il est plutôt bien habillé – je le soupçonne d'avoir fait un effort vestimentaire – il me sourit, un sourire gingival. Il a l'air content de me voir, et angoissé au possible. On est deux dans le même cas. Je ne peux plus retenir mon excitation. Je lui fais un petit signe de main foireux et me dirige vers lui.

Je l'imaginais avec plus de cheveux, mais il a l'air de les avoir coupés. Il a mis ses lentilles car je sais qu'il porte des lunettes habituellement. Il s'approche de moi à son tour.

Nous nous enlaçons à l'américaine, sauf que l'accolade dure de longues minutes. J'ai envie d'exploser, de pleurer. J'ai été jusque-là, j'ai pris mon courage à deux mains. Et à cet instant précis, je me rends compte que je n'ai fait qu'écouter mon cœur depuis le début. Il pose sa tête dans mon cou, me chuchote des mots incompréhensibles, il me serre encore plus fort dans ses bras, mon sac se refait la malle, je le laisse tomber au sol, et l'enlace de mes deux bras. Je crois que l'un comme l'autre, nous atteignons un sentiment d'accomplissement incomparable. Nous nous sommes accrochés à quelque chose d'invisible pendant de longs mois, à cette chose inexplicable qui relie les personnes entre elles, aussi complexe que celui puisse être.

Je sens des larmes couler sur mes joues, des larmes de joie. J'ai envie de hurler de bonheur. Il est parfait. Il m'attendait. Et mon dieu qu'il est canon. Mon cœur n'en peut plus de battre aussi fort. J'ai envie de l'embrasser... J'en meurs d'envie. J'éloigne mon visage du sien avec maladresse, et je me rend compte qu'il est aussi hésitant que moi.

Galant, il s'approprie ma valise et me demande comment je vais. La pression redescend. Je suis presque soulagée. Je le fixe avec avidité - pour ne pas dire que je le dévore des yeux - et je le surprends à me regarder de la même façon. Je ris pour cacher ma gêne – ma seule arme.

J'aime ce qu'il dégage : Il a l'air timide, discret au premier abord, mais il a bonne allure, un sourire radieux et je n'ai qu'une envie, passer du temps avec lui. Pour de vrai. Je me rassure en repensant à toutes nos discussions, où nous étions dans la simplicité, la franchise… Désormais il y a la barrière physique. Il est là, à côté de moi, je le vois se mouvoir, agir, j'analyse ses gestes, sa façon de se comporter, et je dois admettre que je suis toute chose en sa présence.

J'étais morte de peur à l'idée d'être déçue, de l'avoir idéalisé. Mais l'expérience m'a appris à ne jamais rien attendre d'une rencontre faite sur internet. Nous nous sommes rencontrés par hasard, rien à voir avec un site de rencontre. Je suis tombée sur une perle rare, un homme au cœur pur, aux intentions nobles, et jusque-là, son désintérêt total du flirt m'a tout bonnement charmée.

Il me parle en anglais avec son accent typique américain que je trouve sublime, mais je n'écoute pas. Je suis perdue dans mes pensées, mes sentiments se mélangent, j'essaye d'en saisir l'essence, mais je ne pense qu'à apprécier le moment présent et la chance que j'ai d'être à ses côtés. Nous avons été jusqu'au bout. 

Il me prend la main avec une tendresse infinie, comme s'il voulait s'assurer que j'étais bien là. Je n'ai jamais été aussi heureuse. J'aimerais qu'il ne me laisse jamais partir.

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