A bientôt

Un verre. Puis deux. Puis trois. Après, généralement, on ne compte plus. Quatre ? Cinq ? Peu importe au fond... Bière, vin, quoi d'autre ? Putain, j'sais plus. Mais il vient toujours. Le verre de trop. Celui qu'on ne devine pas. Celui qui survient. Celui qui surprend. Et  alors le monde se met à tourner. Les objets tout autour. Les étoiles rouges. Les yeux dilatés des autres. Compter les jetons. Scruter ses cartes. Ne pas sourire. Faire la moue. Et tout remporter. Oui. Les cartes s'étalent. En douce, chacun joue. Chacun mise. Être indifférente. Jeter des jetons, au hasard, pour commencer. L'air de rien. Et puis changer de couleur. Miser gros. Faire peur ou faire suivre. T'as perdu mec. Et jeter ses cartes. Suite. Et ouai. T'avais qu'à pas me suivre. Les joints tournent. Nuages de fumées illicites. C'est pareil, ça. Ne pas trop fumer. Le corps hypersensible. Une taffe, deux taffes. Trois, quatre. Et ça tourne encore plus. Ça tournoie sous les toits. Tapis. J'en peux plus. Ça passe ou ça casse. M'en fous. J'sais plus. Gagné ou perdu ? Vais sur le canapé, fixer l'ampoule au plafond. Parce que ça tourne. Putain, ça tourne... Se raccrocher à la lumière. A quelque chose. Ça tourne autant. Les yeux ouverts ou fermés. Pauvre petite chose. Partir. Glisser. Se retrouver étendue par terre, les jambes relevées, la tête renversée. Ça va aller. Gémir, ça va aller. Où est l'ampoule ? Trou noir.

Je reviens. J'arrive. Je suis juste partie un peu. Là où les étoiles n'existent pas encore. Là où les météores se reproduisent. Là où le soleil brûle. Se relever. Assise d'abord. Ça tourne encore. Reste assise... Une voix dans mon silence. Attendre un peu. Dix minutes. Se mettre debout. Oh, putain. Se rassoir immédiatement. Retomber dans les pommes. Revenir à nouveau. Sourire, pour dire ça va. Pour rassurer. Saluer d'un geste les deux amies qui ne seront plus. Inscrire leurs visages. Là. Dans un coin de la tête.

Tituber jusqu'à la voiture. Il m'ouvre la porte. Je me laisse tomber sur le siège du mort. J'ai gagné au poker. Na. Mais je n'en mène pas large... là. Roule-moi vite. Mais je suis à trente ! Bah roule moins vite…

Dans la voiture. S'accrocher aux feux rouges. Ou verts. C'est selon. Un paysage. Des pixels. Rien d'autre. C'est flou. Éblouissant. Les yeux ne savent plus s'adapter. Faire la mise au point. Respirer comme chez le toubib. Comme en agonie. Ouvrir la fenêtre, en quête de fraîcheur. Putain j'suis trop vieille pour ces conneries. Inspirer. Expirer. Non, je ne vomirai pas. Je me retiendrai. Inspire, fillette. Expire. Concentre-toi sur quelque chose. N'importe quoi. Fixe. Pour ne pas tomber.

La voiture arrive en terrain connu. Sursauter au moindre dos d'âne. Le cœur qui se renverse. Ou l'estomac, c'est selon. Tituber jusqu'à la porte d'entrée. Tituber jusqu'aux toilettes. Vomir enfin. S'écrouler sur le carrelage. T'es ridicule. Ta gueule.

Dans le miroir. Un air dévasté. Le mascara a coulé. Le long des joues pâlichonnes. Les yeux sont rouges. En larmes. Se traîner dans l'escalier. S'avachir dans le lit, en boule. Allumer une lumière, pour la fixer. Parce que malgré tout. Parce que malgré tout, ça tourne encore. Les paupières qui clignotent. La migraine bien méritée.

Je ne vous reverrai jamais les filles. Je me souviens juste de ce soir-là. De votre tapis. Où je suis restée allongée. De tes efforts à toi. Pour que je sois dans la bonne position alors que j'avais déserté. Pardon aussi. De la peur dans les yeux de ta fille. Vous me manquez. Vous me manquerez. Mais votre rêve est tellement beau. Je ne peux que. Vous encourager. Même si vous allez changer de pays. De vie. D'amis.

La nostalgie en hauts-le-cœur. Votre amitié était douceur. Et les échanges et les partages. Et ces taffes qui m'rendaient malade. Ces taffes qui ne vous faisaient plus rien.

A bientôt, peut-être. Dans une autre vie. Dans un ailleurs. Un nulle part.

Je vous aime fort. Début février vous serez parties. Vous étiez les seules ici.

Au revoir. Non. Pas adieu. Pitié non. Je veux pas. Juste... à bientôt dans une autre Vie.