A bout de souffle

Ghyslaine Bobillier

Mais que se passe-t-il ce matin ? Pourquoi autant d’agitation autour de mon lit ? Hum ! ça sent bon ! Quelle est cette odeur ? Non ce n’est pas le café lavasse qu’on me sert chaque matin depuis que j’ai échoué dans cette maison.

Etrange maison ! Je suppose que c’est une maison mais je ne connais que cette chambre. Je ne sais plus quand je suis arrivée ici en tout cas je n’ai rien compris. Un jour, je me suis réveillée avec plein de gens autour de moi, un peu comme aujourd’hui. Sauf que ce jour-là, on m’a accueillie  avec des sourires. Je ne connaissais pas tous ces visages qui se penchaient sur moi mais comme ils avaient l’air avenant je leur ai souri aussi. La lune de miel n’a pas duré longtemps. J’ai toujours détesté les gens qui vous parlent à la troisième personne du singulier : « Elle va bien aujourd’hui ? Elle a bien dormi ? » Et pire, ceux qui utilisent ce ton niais qu’on adresse à des enfants non scolarisés ! Non mais quand même …. Bon je ne sais plus quel âge j’ai, mais certainement pas celui  d’entendre un tel phrasé !

Au bout de quelques jours, je me suis faite à ses allers retours incessants. Une personne m’impressionnait particulièrement. Déjà, elle n’était pas habillée comme les autres. Elle, elle ne cachait pas ses habits soignés sous une blouse blanche, bleue ou rose. Elle utilisait aussi un autre ton. Bon d’accord, au début elle m’irritait à m’appeler toujours « maman » mais je sentais dans sa voix beaucoup de compassion. Alors je l’ai laissée  faire et elle est venue tous les soirs, juste avant qu’on nous oblige à éteindre les lumières. Elle n’arrêtait pas de me parler de ses enfants, trois je crois. De vrais garnements disait-elle. Elle semblait désolée de ne pouvoir les amener ici. Et puis il y avait aussi son mari, tellement occupé qu’il ne pouvait pas me rendre visite. Moi personnellement, les enfants, ça me fatigue plutôt qu’autre chose et puis son mari,  qu’est-ce que j’en aurai fait de son mari, vous pouvez me le dire ?

Un soir, elle est venue avec la photo d’un couple marié. Elle voulait me faire croire que cette jeune idiote qui se  tenait au bras de cet homme élégant c’était moi ! « Comme vous étiez beaux tous les deux ce jour-là : te souviens-tu ? » J’ai pris la photo pour lui faire plaisir. Je n’aurais pas dû, elle s’est mise à pleurer. Devant tant de chagrin, je l’ai laissée l’accrocher sur le mur devant mon lit. Depuis je me suis habituée à cet homme élégant au bras de cette jeune gourde !

Hum ! Cette odeur ! ça sent particulièrement bon : les roses ?  les œillets ? Mais ils sont fous ce matin à laisser entrer les gens comme cela dans ma chambre. Ils pourraient me demander mon avis non ! Tiens la jeune femme aux habits soignés est déjà là. Elle a une mine défaite aujourd’hui.  Elle a dû attraper froid.  Elle ne cesse de renifler.  Qui est cet homme qui la tient par les épaules ? Ce ne serait pas lui son mari ?  Il a l’air gentil. Ils forment un beau couple, un peu comme celui qui est accroché sur le mur face à mon lit. Oh !  Mais, elle serait venue aussi avec ses trois enfants ? Ils se tiennent tout droits et sont bien habillés. Ils ne ressemblent pas du tout à l’idée que je me fais des enfants. Elle exagère,  ils n’ont pas l’air si  garnements. Ils sont plutôt adorables. J’aurais presqu’envie de les embrasser mais ils semblent effrayés.

On a fait des efforts de décorations dans ma chambre. Un peu chargé quand même, tous ces bouquets multicolores! Mais ça embaume : un vrai délice !

Je n’avais pas fait attention à cet homme en noir qui porte à son veston une broche qui scintille. Il tend sur moi le même insigne en bois et me le pose sur la poitrine. J’aimerais bien le remercier mais je ne lui ai rien demandé. Le voilà qu’il ouvre un livre. Il doit vouloir me raconter des histoires. Je l’écoute attentivement. Les personnes qui sont là ne doivent rien y comprendre car elles pleurent très forts alors qu’il délivre un message d’espoir. « Au nom du père, du fils et du saint esprit » J’ai déjà entendu cette histoire. Allons fais un effort, c’était quand déjà ? Dans une église ! Mais oui c’était l’enterrement de cet homme élégant celui de la photo ! Ça y est je m’en souviens maintenant parfaitement. L’homme en noir me ferme les paupières. Au secours !  Je ne vois plus rien, je n’entends plus rien ! Un calme m’envahit, efface mes douleurs : est-ce cela le bonheur ?

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