A bride abbatue
Emilie Levraut Debeaune
A bride abattue
J'ai toujours eu une trouille bleue des chevaux. Pas franchement motivée par une raison valable. On ne m'a jamais forcée à monter à cheval, je n'en suis jamais tombée...
En fait, je ne connais quasi rien aux chevaux. Sinon que je les trouve trop grands, trop brusques, trop imprévisibles.
Alors quand j'ai reçu ce cadeau, j'étais très loin d'être enchantée. Un stage d'une journée de découverte de l'équitation dans un club hippique. Wahou....
Mon copain paraissait ravi de son idée à tel point qu'il s'est lui-même applaudi alors que je lisais le bon, imprimé par ses soins avec une machine qui manquait d'encre.
Il n'a pas eu l'air de remarquer mon manque d'enthousiasme. Il m'a embrassée et m'a promis qu'il m'emmènerait le week-end prochain parce que lors de celui à venir, il y avait un match important qu'il ne pouvait manquer juste parce que je m'amusais.
Je suppose que j'aurais du m'offusquer à ce moment là, lui faire savoir qu'il était bien loin de me connaître pour m'offrir une cadeau pareil. Sans compter que sa mesquinerie et son machisme me faisaient bouillir. Une preuve s'il en fallait que nous n'avions plus rien à nous dire, si tant est qu'un jour, nous avions eu une vraie discussion... Nous avions emménagé par soucis d'économie et restions ensemble par paresse.
En attendant, j'avais très peu envie de rester chez nous. Match important voulait dire appartement envahi par cinq ou six de ses amis, qui allaient boire de la bière, fumer des joints et pisser à côté de la cuvette. Je devrais bien sûr tout nettoyer le lendemain, mais rien ne me forçait à rester admirer le spectacle vivant.
Je regardai mon bon cadeau, attrapai les clés de la voiture et sortis. L'air était vif en ce début de printemps. Je m'installai au volant et réfléchis plusieurs minutes avant de mettre le contact. Le bon précisait qu'il fallait prendre rendez-vous, et qu'il était valable pour une journée à partir de neuf heures. Je regardai ma montre : déjà neuf heures et demie. Tant pis. Je n'avais nulle part où aller, et si on ne me laissait pas utiliser mon bon, je pourrais toujours faire le tour du club.
Je sortis rapidement de la ville. La circulation était fluide, j'avais passé l'heure de pointe. J'avais une vague idée d'où se trouvait le club hippique. J'avais déjà du passer devant quelques fois. Pourtant, une fois aux alentours, impossible de le retrouver. Je m'énervai sur le volant avant de m'arrêter sur le bas côté, d'attraper le GPS dans la boîte à gants et d'y entrer l'adresse. La machine m'annonça que je n'étais qu'à deux kilomètres. Quelques minutes plus tard, j'entrai sur le parking, désert, mis à part un van garé au plus prês de l'entrée.
Je m'avançai vers l'entrée, un peu hésitante. Personne en vue. Ni humains ni chevaux. J'entrai. Et je regrettai aussitôt d'être en ballerines. Au bout de dix pas, j'avais de la boue (j'espère que ce n'était que de la boue !) sur les pieds. Sur ma droite se trouvait un champ planté de portes destinées au saut d'obstacles. J'en avais déjà vu à la télé, lors de transmissions de je ne sais quelles compétitions, les dimanches après midi. Mais je n'avais pas imaginé que c'était si haut. Comment diable un cavalier pouvait-il rester sur le cheval alors que celui-ci sautait si haut ? Il devait falloir une sacrée symbiose entre l'homme et l'animal, une compréhension mutuelle à la demi-seconde prês. N'ayant pas d'intuition, pour aucune chose, cela me semblait tout à fait incroyable.
Je décidai de parcourir les box. Les chevaux me regardaient avec indifférence. Je n'osai pas m'approcher assez prês pour qu'ils puissent me toucher si l'envie leur en prenait. Il devait y avoir une quarantaine de chevaux qui vivaient ici. Je ne me rendais pas vraiment compte si c'était beaucoup ou non.
J'arrivai dans une pièce, dont la porte était ouverte. J'entrai après avoir toqué. L'odeur me pris par surprise et me donna un léger vertige. Une forte odeur de cuir. Et en effet, une fois mes yeux habitués à la pénombre, je pus admirer des selles, des bottes, des brides, des licols et que sais-je encore... C'était sans doute ce qu'on appelait la sellerie.
« Je peux vous aider ?
Je me retournai, prête à justifier mon intrusion, mais j'avais en face de moi une femme souriante, et ses yeux ne m'accusaient pas.
- Euh... Je suis venue pour...
Mon interlocutrice leva des yeux étonnés devant mes bafouilles. Dans un instant d'illumination, je fouillai mes poches et en sortis le bon, tout froissé. Je le lui tendis.
Elle le prit et fronça les sourcils.
- Il fallait prendre rendez-vous pour ça, c'est un peu tard pour commencer. Il est presque onze heures ! Et habituellement, nous réservons les stages de découverte les vendredis et week-end.
Je marmonnai une excuse. Je n'allais pas lui raconter mon anniversaire pourri, mon compagnon sans égards, ma fuite...
- Bah c'est pas grave, puisque vous êtes là, vous allez m'aider ! Ce sera un début d'apprentissage pour vous et un peu de soulagement pour moi !
Elle rit.
- Bon par contre je vais vous prêter des chaussures convenables parce que vos trucs de citadine ne vont pas faire long feu...
Elle entra dans la sellerie, Elle saisit une paire de bottes et me les jeta. Surprise, j'en laissai tomber une au sol. Je la ramassai et regardait autour de moi. Pas de vestiaire en vue. J'ôtai donc mes ballerines, les déposai sur une étagère et mis les bottes. J'avais été bien inspirée de me mettre en jean plutôt qu'en tailleur...
Je partis à la recherche de mon hôte. Elle n'était pas bien loin, dans un box, occupée à brosser un cheval.
- Que savez-vous faire ? Me demanda-t-elle.
- Pas grand chose, si ça touche aux chevaux. Je ne suis pas très manuelle.
- Bah, vous devez bien savoir passer le balai, non ?
J'acquiesçai.
- Dans ce cas, prenez la fourche et commencez à évacuez la litière sale, je vais sortir le cheval pour vous laisser de l'espace.
Aussitôt dit, aussitôt fait. En voilà une qui ne perdait pas de temps en palabres inutiles !
Elle pris tout de même le temps de se présenter :
- Je m'appelle Muriel.
- Elodie, enchantée !
Le reste de la matinée passa vraiment vite. L'effort me fit oublier mes petits problèmes de couples, et à mon grand étonnement, je pris plaisir à ces travaux. Ma vie ne me laissait guère d'occasion de me sentir réellement utile : je travaillais comme secrétaire d'un député. Je gagnais très bien ma vie, mais mon quotidien consistait à répondre au téléphone, prendre des rendez-vous et en accueillir en servant du café hors de prix. Rien dans ma vie personnelle ne me faisait me sentir particulièrement indispensable à ce monde non plus.
Mais ce matin, j'avais rendu service, à la fois à une femme, mais aussi à des animaux. En effet, les chevaux étaient très affectueux. Chaque fois que nous changions de box, nous avions droit à des hennissements enthousiastes, et il fallait faire attention aux tentatives de câlins un peu brusques.
Je l'appris à mes dépens. Je me retrouvais tout à coup assise par terre, un peu sonnée. Muriel, riant à grands éclats, m'aida à me relever.
- C'est Blue Bell, il vous aime bien ! On finit son box, puis on ira manger !
Ce que nous fîmes. Muriel m'invita à la bonne franquette. Elle partagea ses sandwich sur une table de camping au bord d'un champ où paissaient quelques chevaux. Ils nous virent arriver et se précipitèrent vers la clôture, des fois que nous leur en donnions un peu...
leur attitude me fit rire. Elle me faisait penser au chien que j'avais eu, quand j'étais gamine. Il me faisait les yeux doux sitôt que j'avais quelque chose à manger dans les mains.
Les chevaux étaient très expressifs, eux aussi. Ils tapaient du pied, hennissaient, hochaient la tête... Autant de mimiques et d'attitudes faciles à interpréter, pour autant qu'on y fasse un peu attention. La conversation porta essentiellement sur nos compagnons. Muriel me raconta une multitude d'anecdotes les concernant. Je ne pouvais pas me souvenir depuis quand j'avais autant ri. Nous partageâmes nos pommes avec nos compagnons. Ce fut un festival de séduction. Les chevaux se poussaient, soufflaient l'air entre leurs dents, se pavanaient pour obtenir notre attention, et donc nos fruits.
Nous bûmes le café en silence, côte à côte sur le banc, dos au soleil. Les chevaux étaient retournés à l'ombre du grand orme planté plus loin. Nous les observions, chacune perdue dans nos pensées. Pour ma part, je refusais de penser à ce soir, au moment où il faudrait rentrer vers ma déprimante routine. Je songeai à ce petit coin de paradis, niché si près de chez moi et dont je n'avais eu connaissance qu'aujourd'hui. J'étais bien ici, proche de la nature, sans autre soucis que de prendre soin d'animaux qui nous regardaient avec un mélange unique d'amour et de confiance.
Muriel se leva et s'étira.
- Bon, c'est pas tout ça, mais on va seller deux chevaux et aller faire une balade. Le bazar qui reste à ranger sera toujours là demain, le soleil, c'est moins sûr !
Je cachai mon appréhension sous un enthousiasme un peu feint. Prendre soin des chevaux, les câliner et les nourrir c'était parfait, mais monter ? Ça me paraissait si haut ! Et malgré la gentillesse de ces animaux, je ne pouvais nier qu'ils avaient des mouvements brusques et imprévisibles. Ou peut être les croyais-je imprévisibles parce que je ne les connaissais pas encore assez bien ? C'était là une question à laquelle je n'étais pas très sûre de vouloir répondre...
Mais Muriel, ignorante de ces interrogations existentielles, m'emmenait gaiement vers la sellerie. Elle pris une selle, me demanda d'en prendre une autre. Je fus surprise par le poids. Je peinais à suivre ma guide. Elle s'était arrêtée dans le box de Blue Bell et s'occupait déjà de ceinturer la selle sur la couverture.
Posez l'autre selle sur le banc, j'arrive. Je vais m'occuper d'équiper les chevaux moi-même, c'est compliqué quand on n'y connaît rien.
Blue Bell semblait très excité à l'idée d'une sortie. Il était très expressif. Je trouvais assez incroyable la diversité que les chevaux pouvaient mettre dans leur vocabulaire. Il ne s'agissait pas que de hennissements, bien que ceux-ci soient assez variés. Tout le langage corporel nous renseignait sur leur humeur : ici, Blue Bell se tenait tranquille, mais on le voyait se retenir à grand peine. Sa peau frémissait d'anticipation sous son beau manteau noir. Il respirait vite, soufflait l'air par ses naseaux et changeait d'appui, se balançait d'une jambe sur l'autre. Quand Muriel voulu lui passer le mors, il renâcla, mais c'était un jeu. Muriel fit semblant de le gronder et finalement Blue Bell se laissa faire docilement.
Quand enfin Blue Bell fut prêt, elle me tendit la longe :
- Voilà pour vous !
- Blue Bell ? Mais il m'a...
- Il n'a pas voulu vous faire mal, il vous aime bien. Croyez-moi, il est docile, pour une première expérience, c'est un bon choix !
Nous patientâmes, Blue Bell et moi, pendant que Muriel équipait Yom Yom, sa jument à robe baie. Nous sortîmes. Blue Bell me suivant tranquillement, comme si nous nous connaissions depuis toujours.
Muriel m'apporta un tabouret, me donna quelques indications, et en deux temps trois mouvements, j'étais juchée sur mon cheval. Et oui, c'était haut. Je me cramponnai au pommeau de la selle le temps que Muriel se rapproche, sur le dos de Yom Yom. Elle me tendit les rênes, saisit la longe, et m'indiqua :
- Pour le faire avancer, talonner doucement ! Pour l'arrêter, tirer doucement sur les rênes, pas trop fort surtout, vous le blesseriez.
Je mis ces leçons en pratique, et le cheval se mit en marche. Il ne me fallut que quelques secondes pour trouver mon équilibre. Muriel ajouta quelques conseils :
- Détendez vos épaules, décrispez vos mains et ne serrez pas la selle avec vos genoux.Soyez juste assise !
Elle rit encore. Il me semblait que son environnement lui apportait beaucoup de tranquillité, de sérénité. Je l'enviai pour ça.
Nous partîmes dans un champ, les hautes herbes nous frôlaient les pieds. Sans s'arrêter, les chevaux attrapaient quelques fois des feuilles qu'ils mâchouillaient sans y penser. Le rythme était agréable. Je me détendais et me demandais même pourquoi j'avais eu si peur de seulement essayer. Les sabot se soulevaient et retournaient à la terre comme les battements de mon cœur. Aucun stress ni pensée désagréable ne venaient gâcher la balade. C'était à la fois vivifiant et ressourçant. Je respirais lentement, j'emplissais mes poumons de cet air, comme pour m'emplir ce de ce moment, de ce souvenir, puisse-t-il durer éternellement.
Nous arrivâmes à un petit chemin caillouteux et pentu. Muriel me rassura :
- Laissez faire Blue Bell, il connaît la route.
Elle me précéda, et je pus admirer son allure. Elle se tenait droite, sûre d'elle, le menton légèrement en avant, dans une indicible fierté qui la rendait belle, même dans sa veste usée.
Mais je n'eus pas le loisir de l'observer tout mon saoul : ma monture penchait fort en avant et je craignais de passer par dessus bord. Je lâchai les rênes pour me retenir au pommeau. C'était plus facile ainsi. Bon gré mal gré, très secouée, j'arrivai au bout sans égratignures. Muriel m'attendait et elle me cria quelque chose que je n'entendis pas. Et le paysage était si beau que je n'y prêtais pas plus d'attention que ça. Un ruisseau coulait entre des rives de galets, aux alentours desquelles se succédaient prairies et forêts.
- Reprenez les rênes, Élodie !
Je me tournai vers Muriel pour lui indiquer que tout allait bien, qu'on pouvait prendre une minute. Mais Blue Bell ne m'en laissa pas le temps. Avant que j'aie pu faire quoi que ce soit, il s'élança dans l'eau.
Je crois qu'il n'y a pas de mot assez fort pour décrire la façon dont je me tins au pommeau tout le long de la cavalcade de Blue Bell. Je le serrai si fort que j'avais l'impression de e faire qu'un avec. J'étais penchée sur le cheval, agrippée à la selle, les genoux rigides, tâchant d'ignorer les éclaboussures d'eau froide. J'étais simplement figée, incapable de faire quoi que ce soit. Une petite voix me rappelait « Pour l'arrêter, tirez doucement sur les rênes ! »
Quelle blague ! Comment pouvais-je me redresser, trouver les rênes et ralentir le cheval ?
Je songeai un bref instant à me laisser tomber, mais j'avais peur de me rompre le cou à cette vitesse.
Enfin, Muriel me rejoignit. Elle saisit mes rênes et arrêta Blue Bell en quelques secondes. Tremblante, je me redressai. Et, aussi étrange que ça me parut, j'éclatai de rire. Je ris à en avoir mal aux côtés et du mal à respirer. Je ne pouvais plus m'arrêter. Je pleurai littéralement de rire.
Quand j'arrivai enfin à me calmer, je déclarai à Muriel :
- C'était génial !
Nous repartîmes au pas, toutefois. Ç’avait été génial mais terrifiant aussi. Un peu comme les grands huit. J'avais eu une grosse poussée d'adrénaline, mais j'en étais sortie indemne, et donc, ça avait été fabuleux.
La promenade dura deux bonne heures. Nous revînmes au champ d'herbes hautes. Nous descendîmes de nos montures, pour les tenir à la longe. Rapidement, Yom Yom s'émancipa de ce lien et trotta un peu plus loin pour pouvoir se rouler dans l'herbe. Blue Bell tirait sur sa longe également, pressé d'aller retrouver son amie, j'imagine. Je lâchai donc et il alla embêter Yom Yom. Elle se redressa, et tous les deux nous offrirent un spectacle attendrissant, plein de câlins et de ruades, comme deux amoureux.
Une fois arrivés au club, j'aidai Muriel à nettoyer les chevaux. J'étais encore mouillée de ma 'mésaventure' et la poussière me recouvrit. J'étais dans un bel état ! Je rendis la bombe et les bottes à ma nouvelle amie, et saluai Blue Bell et Yom Yom, leur promettant de revenir très vite les voir. Si on m'avait dit la veille que je parlerai à des animaux, je me serai moquée...
Muriel ma raccompagna jusqu'à ma voiture.
- Je vous rends vos jolies chaussures, mais je ne reprends pas les bottes dans l'immédiat. Revenez me voir vite, vous savez, ici on donne aussi des cours à des adultes.
- Je pourrai apprendre avec Blue Bell ?
- Bien sûr !
Alors je répondis, dans un grand sourire :
- Comptez sur moi ! »