A la vie
christinej
Je les ai rencontré presque par hasard, bien que je n'y crois pas, au hasard. Pour moi tout est écrit dans cette encre noire qu'est le destin.
Un jour, je suis passé à côté deux et j'ai tout de suite ressenti le lien qui les unissait. L'odeur si épaisse et sucrée de l'amitié, la vraie celle qui est encore plus forte que le sang.
Je me suis mis à les observer, à scruter les recoins de leurs âmes, à dévorer leurs secrets avec appétit. Poussé par la curiosité , enfin j'imagine ou peut être par amusement, j'ai voulu les connaître.
Le temps est si long et je m'ennuie si souvent.
Ils sont comme un bouquet de fraîcheur, huit jeunes gens, remplis de ce bonheur poisseux que d'être jeune.
Toujours ensemble, ils voyagent d'un endroit à un autre avec insouciance.
Ils se retrouvent souvent sur la terrasse d'un café, leur verre de soda à la main. Leur rire dérive dans l'air comme des bulles insolentes qui viennent éclater au nez de leurs voisins de table constipés par la vie. Ceux là leur lancent alors des regards noirs avec en sous titre "sales petits cons".
Mais ils s'en foutent, ils rient encore plus fort, criant "à la vie" à chaque nouvelle tournée.
Parfois ils se libèrent du carcan de la ville et vont se regrouper sur une falaise, avec le vent qui fouette leur visage et qui emporte leur mots.
Pour dire la vérité je me lasse de les observer. C'est un véritable bal de sentiments mielleux, d'accolades, d'histoires usées par le nombre de fois qu'ils les racontent.
Pour mon plus grand bonheur j'ai décelé au fond de leur mémoire un secret, qui étrangle leur coeur et brouille leur entrailles.
C'est presque rien, une broutille. Une erreur poussée par la jeunesse et l'esprit chevaleresque.
Un mauvais garçon a agressé l'une de leur amie, Annie. La douce Annie si fragile qui aime à chaque battement de cils un nouveau garçon. C'est une jeune fille prude, elle aime être aimer, mais pas plus, pas encore.
Quand ses amies Laure et Astrid ont appris ce qui s'était passé, elles en ont tout de suite parlé aux garçons de la bande.
Stephane, l'amoureux secret de cette chère Annie, a appelé à la vengeance, il veut que justice soit fait maintenant.
Armés de leur colère, ils sont allés voir le jeune homme. Ils l'ont bousculé un peu, deux ou trois coups de poings ont été lancé, sans oublier des insultes gracieusement offertes par les participants. Ensuite est arrivé le geste de trop, une simple bousculade, un peu trop forte, une perte d'équilibre. Le bruit sec du crane heurtant le sol me rappelle étrangement le bruit d'une noix de coco que l'on brise pour en boire le lait.
Ils ont paniqué, compréhensible je suppose, puis ils ont vérifié son pouls. Son absence a déclenché une panique amusante de cris, de larmes, de silences bien trop lourd pour eux.
Ils n'ont pas appelé la police, non ils ont préféré faire disparaître le corps. En faisant cela ils pensaient très certainement faire disparaître la vérité et leur responsabilité. Comme je l'ai déjà dit ils sont jeunes et ils agissent comme tel avec insouciance et mépris.
Après ils ont repris leur vie, avec moins de rires au début, mais aujourd'hui ils se croient forts, intouchables, peut être même pardonnés pour leur pécher.
Mais je ne suis pas du genre à pardonner, voir à oublier.
Je suis, celui à qui appartient le droit de mort.
Ils ont joué mon rôle, maintenant ils vont jouer mon petit jeu, pour me divertir. Ils sont, pour moi tous égaux dans le crime je les ferais donc tous égaux dans la récompense.
Je suis devenu leur ombre, parfois je les caresse dans un long frisson sur leur échine.
Je les ai laissé se débattre, renforcer leur lien encore un plus chaque jour, leur indépendance des uns sur les autres.
Parfois il m'arrive de suspendre un regard d'envie, une colère étouffée, la rouille d'une amertume.
Le temps passe avec monotonie au milieu de leur petite et ridicule vie.
C'est comme écouter la même chanson encore et encore, même si on l'aime bien au bout d'un moment ça tape sur les nerfs.
Un soir je suis venu à eux sous l'apparence d'un homme cherchant un peu de compagnie sur la falaise.
Un peu de weed pour briser la méfiance, un petit air triste au fond des yeux et me voilà pour un soir accepté dans leur fraternité.
On rit, on se raconte des anecdotes, des blagues. La nuit est douce, reposante, ils se sentent bien, en confiance.
On parle de tout et de rien.
J'amène discrètement la conversation sur la responsabilité, la justice. Un léger malaise s'installe, comme une pierre dans leur chaussure ou une punaise. Les silences se poursuivent et durent. Ce sont des silences qui glacent jusqu'à la moelle, là où pourrissent les secrets inavouables.
Les rires se sont tus. Le crépitement du feu les fait sursauter.
Leur culpabilité les fait suer, douter.
Je me révèle enfin.
Je vais jouer cartes sur table avec eux.
Je me suis drapé de ténèbres, j'ai allongé les ombres et refroidit le vent.
Mes doigts décharnés les montrent un à un, soupirant un "coupable". Ils savent de quoi je parle, ils ne disent pas un mot. Au fond d'eux ils savent que ce jour viendrait, ils ignoraient seulement qui frapperait à la porte de leur âme.
Mais je ne suis pas insensible, ni monstrueux malgré tout ce que l'on pense de moi.
Tous ne devait pas mourir, non, un seul me suffit.
Une vie pour une vie, c'est raisonnable non?
Ils doivent maintenant choisir qui va se sacrifier pour leur bien.
J'ai juste mis une condition je dois être présent quand cela arrivera.
Ils ont un mois pour décider.
Je les ai prévenu de ne pas essayé de me doubler. Si ils osent je réclamerai alors plus qu'une vie avec mes propres termes de souffrances.
Ils n'ont pas refusé, ni même essayé de négocier. Non, ils ont tous accepté, mais ils n'osent pas l'avouer. Ils préfèrent le silence à la vérité, encore une fois.
Une simple bourrasque de vent et me voilà disparu sous leurs yeux incrédules.
Pendant les premier jours qui ont suivit notre rencontre, ils ont débattu comme des politiciens, jamais d'accord sur le comment pour exécuter ce que je leur demandais.
Puis Jérôme a lancé "pourquoi ne pas faire une courte paille comme ça on aura tous la même chance".
Ensuite est venue l'idée incroyable d'un duel au pistolet, intéressant, vraiment intéressant.
Bien sûr ils n'en ont pas.
Dans un fracas du tonnerre je réapparaîs devant eux.
Je leur promets que je leur fournirai les armes et que je viendrais moi même leur donner le jour de leur jugement.
Le mois vient de finir. Ils se sont gorgés de leur amitié, de leurs souvenirs si futiles.
Ils ont même été jusqu'à passer leur dernière journée sur la falaise ou je les avais accosté.
Je voulais me fait discret alors sous l'apparence de l'homme de notre rencontre, je leur apporte les jouets de leur apocalypse.
Le sort en est jeté.
Michel et Éric se font face, avec plus de calme que je ne l'avais imaginé.
Au moment même où je crie feu, je me suis demandé pourquoi ils n'avaient pas tout simplement refusé ma proposition. Surtout que j'aurais accepté.
Après tout je suis la Mort et c'est moi qui décide qui vit ou meurt.
Je l'ai déjà dit je ne crois pas au hasard.
D'ailleurs j'ai été très heureux de faire votre connaissance, je suis sûr que l'on se reverra très bientôt pour un autre petit jeu.
Très beau texte, tragique et fort à la fois. J'aime particulièrement : "Je me suis drapé de ténèbres, j'ai allongé les ombres et refroidit le vent."
· Il y a environ 10 ans ·mamzelle-plume
Merci à toi Mamzelle
· Il y a environ 10 ans ·christinej
Mon coup de cœur, autant te dire que ta Mort s'est fait une pote :p
· Il y a environ 10 ans ·rafistoleuse
Merci Rafi
· Il y a environ 10 ans ·christinej