(A l'aveugle) mes bras se sont tendus dans l'obscurité
wic
A l'aveugle, mes bras se sont tendus dans l'obscurité, direction l'interrupteur pendu au bout du fil électrique. L'instant suivant, la lumière inactinique est apparue, figée au-dessus de moi.
What a strange brightness !
J'avais toujours aimé ce rouge orangé. Toujours. Depuis la première seconde même, celle où le père de mon père m'avait autorisé à l'accompagner dans le réduit au fond de son magasin de Sainte Marthe. Le Saint des Saints, un lieu unique où une fois admis, on devait scrupuleusement suivre les règles et surtout ne jamais ouvrir la porte au risque de tuer les années mortes et leurs secrets. Une phrase qu'il prononçait avec un accent français comme pour en rajouter, des mots au-delà du mystérieux et de la compréhension pour l'enfant que j'étais mais des mots qui faisaient toujours leur petit effet. Et que n'aurait inventé mon grand-père pour protéger les clichés de ses clients ? Pour protéger leurs rêves, leurs souvenirs et plus encore parfois...
Le jour où j'avais pénétré dans ce Naos du photographe professionnel qu'il avait été toute sa vie, j'avais décrété qu'il était magicien et compris aussi que je devais rester simple spectateur à ses côtés si je souhaitais continuer à y être toléré. Pour m'occuper, puisque je n'étais même pas son assistant, je m'efforçais de pronostiquer ce qui allait apparaître sur les feuilles de papier glacé, le nez au-dessus des bacs.
Mais intuition n'a pas grand-chose à voir avec imagination et je ne me souviens pas avoir jamais réussi. De mémoire, la déception était toutefois éclipsée à chaque fois par l'étrange beauté de ces bouts de monde ou de ces regards figés qui apparaissaient par pur enchantement.
Cette époque était depuis longtemps révolue. J'avais d'abord eu du poil au menton avant de dépasser Grand'Pa en taille, il avait pris sa retraite et une laverie automatique occupait désormais les locaux de son ancien magasin. Et si ces souvenirs d'enfance subsistaient enfouis quelque part, longtemps j'avais perdu ce réflexe d'associer photo et magie lorsqu'un cliché me passait entre les mains.
Ma rencontre avec Mike avait pourtant modifié cela.
Durant les premiers mois qui avaient suivi l'épisode du métro, nous avions cohabité cahin-caha dans sa maison de Mount Pleasant Avenue. Cathy toujours en imitation coucou chez sa mère, ne donnant aucune nouvelle, je n'osais lâcher la bride à Mike tant il me paraissait mal en point. Souvent, je le trouvais à l'arrêt, comme en panne, debout devant ces photos qu'il développait à répétition dans les combles de la maison.
Un soir, au détour d'un pack d'Eau bénite que l'on avait presque totalement vidé, il m'avait avoué que s'il tirait sans cesse les mêmes clichés de Cathy, c'était parce qu'il retrouvait dans les bacs, durant l'infime seconde où apparaissait son image, la sensation qu'il avait éprouvée lorsqu'il avait croisé Cathy la première fois.
Une confidence qui m'avait réellement ému.
Non seulement, j'avais capté la profondeur de son attachement à sa blonde comme il disait, mais cet aveu me renvoyait également à ma propre histoire. Je n'avais aucun cliché d'Amy à ma disposition, un manque qui en était réellement un. La singularité de notre histoire m'avait rajouté ce supplice supplémentaire : je pensais toujours autant à elle sans avoir la moindre opportunité de pouvoir revoir son visage. A cette époque, il m'arrivait même de devoir me faire violence pour ne pas envier son malheur à Mike : que n'aurais-je donné pour ne disposer, n'était-ce qu'une seule photo d'Amy ?
Un jour, Cathy était revenue et Mike avait cessé son petit manège.
— Pourquoi la faire apparaître sur du papier glacé alors qu'il suffit de me coucher le soir à côté d'elle pour retrouver son visage le matin ? m'avait-il expliqué, un air béat et très inhabituel sur le visage.
Du coup, on avait bazardé les centaines de clichés identiques qui encombraient les combles, certains encore attachés avec des pinces à linge au fil de séchage.
Et surtout, on était passés à d'autres choses, plus concrètes et plus productives.
Car la vie est bien là, dans l'instant et le mouvement. Pas dans les rêves ou les souvenirs.
chouette !
· Il y a presque 9 ans ·rechab
Merci. :-)
· Il y a presque 9 ans ·wic
Ah, et. J'ai su dès le titre, que je serais touchée.
· Il y a presque 10 ans ·ellis
Parce que ça a remué plein de choses (souvenirs de chambre noire), et d'autres encore, pour la poésie et délicatesse nostalgique de tout ce passage, merci. beaucoup.
· Il y a presque 10 ans ·ellis
Correction, les remerciements sont pour moi... Pour ton passage par ici autant que pour ton commentaire.
· Il y a presque 10 ans ·;-)
wic