À Lille, ailleurs.

Helene Kowal

Avec lui il n'y a pas de demi-mesures. J'ai lutté pour ne pas lui faire de remarque, pendant un long moment, parce que je savais que ce serait mal pris, interprété, arrangé, déformé, et qu'il finirait par bouder comme un enfant. Ça faisait déjà trente longues minutes qu'il faisait un commentaire sur tout ce qu'il voyait ou pensait « Ah tu as vu, cette branche comme elle a bien poussé ? », « On n'a plus de lait », « Tu sais où j'ai mis les papiers pour l'assurance », « Qu'est ce qu'il me gratte mon orteil aujourd'hui ! »... ma patience a fini par atteindre ses limites. J'ai mis tout mon cœur pour ne pas le froisser « Écoute, j'essaie juste de me concentrer, on en parle toute à l'heure d'accord? ». Pas de réponse. A la place, un long silence. J'ai ajouté « Non, mais tu peux parler mais... » (j'ai voulu dire « mais pour dire des choses intéressantes, » mais je le connais trop bien alors j'ai évité). De toutes façons il boudait. Il s'est contenté de répondre « T'as qu'à aller écrire ailleurs si ça te convient pas ici ». C'est ce que j'ai fait.

J'ai allumé mon ordinateur, surfé à peine 3 minutes, cliqué sur « réservation instantanée » et je suis partie à pied. L'appartement était au bout de ma rue. J'ai traversé la petite cour, trouvé la clé qui comme convenu m'attendait accrochée au guidon du vélo, avant d'entrer dans cet appartement qui avait tout pour me permettre de trouver l'inspiration : le silence, le dépaysement, l'espace, l'inconnu...

Dans un élan de confiance, j'ai sorti mon cahier, et j'ai attendu. Longtemps.

Le décor me rappelait Sherlock Holmes, un de ces personnages de légende comme je n'en créerai jamais. Je m'imaginais des histoires de meurtres, d'enquêtes et de ruelles sombres, d'un genre où je n'avais jamais su être à l'aise pour les raconter moi-même. Mes yeux sont tombés sur des livres d'Hemingway, de Sartre, de ceux que je n'égalerai jamais. La propriétaire des lieux avait décoré son intérieur avec des chapeaux, des robes et des manteaux qu'elle avait elle-même dessinés. Des créations personnelles qui étaient réduites dans mon esprit à l'état de brouillon...

Je me suis rendue à l'évidence avant de me rendre chez moi.

« T'es déjà là ? » a t-il dit avec un sourire.

A mon tour de bouder. Je me suis enfermée dans ma chambre. Juste trente minutes, juste le temps de me redonner le sourire. Je suis revenue m'asseoir près de lui et j'attendais qu'il me le demande. Quelques secondes ont suffi, il savait que c'était trop facile de m'attaquer comme ça « Alors finalement, ton concours, tu vas pas y participer ? » Mon petit numéro était déjà prêt : je me suis levée en simulant l'agacée, je suis juste allée chercher cette feuille de papier que je lui ai tendue, avec le même sourire qu'il m'a lancée quand je suis rentrée et j'ai dit « Si ».

Il m'a dit que ce n'était « pas mal ».  J'ai dit « Merci ».

Je ne voulais surtout pas lui avouer que je venais juste d'écrire ça, assise par terre entre les quatre murs blancs de notre chambre. Il aurait pu croire que j'avais besoin de lui, que ma vraie source d'inspiration, c'était lui.


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