A livre ouvert

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A LIVRE OUVERT

Synopsis :

Yves Salnac, éditeur parisien, coureur notoire, fait le salon du livre de Brives. A cette occasion, il rencontre furtivement Claire Verlaine, une belle rousse, écrivain en herbe, infirmière dans la ville corrézienne. Il se trouve que celle-ci écrit un livre à l’eau de rose. Yves perd les coordonnées de la belle et s’en mord le doigt pendant un moment (une de ses mains n’a plus qu’un doigt, la lourde machine à écrire de son père écrivain est tombée sur sa main lorsqu’il était enfant).

Le temps passe. L’infirmière a terminé son ouvrage et va le présenter à Paris. Elle rate de peu Yves ; celui-ci finit par retrouver sa trace et la rejoint à Brive. Une idylle façon collection Harlequin commence. Les protagonistes Yves et Claire vont vite se retrouver dans des situations similaires à celles des personnages du roman à l’eau de rose de la jeune femme. Le livre devient la bible qu’ils vont consulter pour comprendre, apprendre à vivre l’un avec l’autre. Chacun va calquer son comportement sur celui du personnage de fiction.

Mais l’homme du livre est fidèle et intègre, ce qui est loin d’être le cas d’Yves. Chassez le naturel…

Début du livre :

Yves Salnac, éditeur parisien, remet un peu d’ordre sur son stand avec l’aide de Solène, son assistante. C’est un grand brun, la quarantaine, les tempes grisonnantes. Il porte bien ses tenues de style chic décontracté. Une horde de lectrices émoustillées vient de mettre tous ses livres en pagaille. Il faut dire que l’auteur de romans à succès Nicolas Marge dédicace son dernier livre, « Urbattitude ». Le jeune homme, les cheveux savamment décoiffés, attire particulièrement les petites étudiantes en lettres. A la fin de la matinée,  Nicolas est épuisé. Nous sommes dimanche 9 novembre 2003 et le salon du livre de Brive est un franc succès.

 - Solène, pouvez-vous rappeler discrètement Isabelle Mangot, elle est en retard pour sa signature, les gens attendent.

L’éditeur continue de s’affairer. Ce salon est essentiel pour lui, il ne doit pas louper le coche. Sa maison d’édition est en difficulté financière, le moindre livre vendu le sauve de la faillite. Ce Nicolas Marge est une aubaine, avec son physique de jeune premier, il fait vendre du papier. Yves continue de remettre les ouvrages en pile, trébuche légèrement  et fait tomber un livre qui traînait au coin de la table.

- Ah, ces tables à tréteaux, grogne-t-il en ramassant le poche. En se relevant, il se trouve nez à nez avec une magnifique jeune femme rousse.

- Excusez-moi, dit-elle, rouge de confusion. J’avais posé mon livre là en regardant vos dernières parutions.

Il lui tend le livre et lui sourit presque timidement.

- Ce n’est rien, ne vous inquiétez pas. Je me demandais juste d’où venait ce livre qui n’est pas de la maison.

Elle rougit encore un peu.

- C’est un roman que je suis en train de lire et que j’apprécie particulièrement.

 L’éditeur regarde de la tête aux pieds la jeune fille qui lui fait face. « Une apparition divine, se dit-il. Cette fille est splendide ». Une belle rousse, comme il les aime. Une chevelure soyeuse et ondulante, un teint très clair, quelques tâches de rousseur, des yeux oscillant entre le bleu et le vert selon la lumière. Un air à la fois doux et déterminé. Il lui fait face :

- Alors, comme ça , vous nous faites des infidélités ? Et quel genre de littérature aimez-vous ?

Claire, toujours un peu rougissante :

- Ah mais rassurez-vous, je lis également des livres qui viennent de chez vous !

- J’espère bien, dit-il avec un large sourire.

Il prend un livre sur la table :

- Tenez, lisez ceci, c’est une merveille. On en a peu parlé dans les médias mais je vous assure que c’est très bien.

Il lui donne le livre. En le prenant, elle frôle son bras et rougit de nouveau légèrement. Il lui tend sa main pleine de doigts :

- Yves Salnac, éditeur, enchanté !

- Claire Verlaine, enchantée !

Solène, l’assistante de l’éditeur, vient chercher ce dernier. Isabelle Mangot est arrivée. Il doit aller la saluer.

- J’en ai pour une minute, attendez-moi là, dit-il à la jolie rousse.

Elle lui sourit, prend un livre au hasard et lit le résumé de la quatrième de couverture en l’attendant.

 L’éditeur accueille cette femme écrivain avec un sourire un peu feint. Il doit l’encourager, elle est en période de doute. Elle a certes connu le succès avec ses premières oeuvres mais depuis quelques années déjà, les ventes baissent. Décidément, il faut du renouveau aux éditions Yves Salnac mais on sait combien il est difficile de trouver la perle rare…

Tandis qu’il discute avec Isabelle Mangot, Yves ne peut s’empêcher de suivre du regard sa belle inconnue. Celle-ci déambule toujours sur le stand. Elle prend les livres avec grâce, les feuillette délicatement. « Comme j’aimerais être un livre entre tes belles mains blanches », se dit l’éditeur en continuant sa conversation avec l’ auteur. Il glisse à l’oreille de son assistante :

 - Solène, je vois que tout se passe à merveille, je vais vous laisser, fait-il. Vous me prévenez quand Le Galureau arrivera.

L’éditeur rejoint Claire. Celle-ci dit en lui tendant le livre:

- Ca a l’air très bien, en effet !

- Vous verrez. Je vous l’offre ! Ecoutez, je meurs de soif, que diriez-vous d’une petite boisson à la cafétéria au fond. Nous pourrions discuter tranquillement !

- Oui, pourquoi pas ?

Ils se dirigent tous deux vers le bar. Solène regarde son patron en poussant un léger soupir.

Au bar, Claire s’assoit sur une chaise haute. Yves prend le temps d’admirer cette ravissante rousse. Elle porte une ample robe en velours bleu pétrole tombant sur des bottes cavalières à revers. « Son regard est à la fois volontaire et caressant, juste ce que j’aime », se dit-il en continuant de l’admirer. Il est divorcé depuis cinq ans. Récemment, il a eu une liaison de quelques mois avec l’une de ses traductrices mais c’était une femme sèche et blasée. Avec l’âge, il a besoin de plus de candeur, de douceur. Il reste un séducteur dans l’âme, mais sa recherche amoureuse est devenue plus romantique. Claire passe la main dans ses cheveux, l’éditeur perçoit alors  la douce odeur de sa nuque, un parfum de lilas. C’est une bouffée de printemps dans les premiers frimas de l’hiver.

- Un jus d’orange, ça vous dit ? Deux jus d’orange bien frais s’il vous plaît !

Elle repasse la main dans ses cheveux et cherche un mouchoir dans son sac.

« Dieu que cette fille est belle ! », se dit-il. Claire est impressionnée de se trouver aux côtés de cet homme charismatique. Elle arrive à peine à parler, c’est une grande timide depuis toujours. Il faut qu’elle se lance !

Les boissons arrivent. Elle prend son verre avec élégance et y trempe ses lèvres.

- Vous êtes content du salon cette année ?

- Oui, plutôt. On fait de bonnes signatures. Et vous, satisfaite de votre visite ?

- Moi, ce n’est pas pareil. Je viens ici en tant que lectrice, dit-elle avec une rougeur aux joues.

- Et vous faites de belles découvertes ?

- Plutôt, répond-t-elle, avec un soupçon d’ironie.

- Quel genre d’auteur vous attire ?

- Oh, je n’ai pas de genre bien défini, vous savez…

- Vous faites beaucoup de salons ?

- Non, je viens ici parce que j’habite Brive. Je viens pour connaître le monde de l’édition.

Claire passe à nouveau la main dans ses cheveux.

- Le monde de l’édition vous intéresse. Dites moi tout !

- C’est à dire que j’écris un roman en ce moment. Je regarde un peu le genre de livres publiés, pour me faire une idée.

- Très très intéressant. Et il en est où votre roman ?

- J’entame la deuxième moitié…

Solène vient chercher l’éditeur au bar, un confrère avec qui il avait rendez-vous vient d’arriver au stand.

- Bien, bien, j’arrive, j’arrive. Bon, écoutez, Claire, attendez-moi ici. Je n’en ai pas pour longtemps. Yves retourne à son stand, serre la main de Galureau et va s’installer avec lui au bureau. Il tend toujours sa main pleine de doigts. L’autre, la main gauche fort heureusement, ne compte plus qu’un seul doigt. Un accident de machine à écrire dans sa jeunesse.

 La jeune femme sirote son jus de fruits en repensant à l’agitation des derniers mois. Sa rupture très douloureuse avec un médecin déjà marié. Heureusement, elle a pu s’investir pleinement dans chacune de ses deux passions : son travail d’infirmière et l’écriture.  La première lui a été transmise par sa mère, elle-même infirmière, et la seconde,  par son père, passionné de littérature.

La sonnerie de son téléphone la sort de ses rêveries. Un appel urgent. Un patient vient de faire une crise d’hypertension. Claire prend ses affaires, jette un dernier regard vers le stand. Yves doit être dans le bureau, elle ne voit personne. Elle n’a pas le temps de rester,  elle doit faire vite,  son patient n’attendra pas.

Elle arrive chez le malade et lui fait sa piqûre. Elle le réconforte un peu et reprend rapidement le chemin du salon. Quand elle arrive sur le parking, la grande halle est fermée. Le lieu est déjà désert. Elle se précipite dans sa voiture pour aller à la gare. Un camion bloque la route. Elle s’impatiente au volant et commence à cogiter. « Que vais-je lui dire ? ». « C’est absurde, il va me voir débarquer sur le quai toute essoufflée. Il va se demander ce que lui veut cette folle qui le poursuit ! ». « Non, je ne peux pas. Tant pis, j’attendrai une prochaine occasion ».

Elle fait demi-tour, la mort dans l’âme. Dans le hall de la gare, Yves, qui doit rentrer impérativement à Paris, promène ses yeux autour de lui espérant apercevoir à tout instant une chevelure couleur cannelle. Il se maudit pour cet interminable entretien avec Galureau. Il prend sa valise, monte dans le train Corail, jette un dernier regard sur le quai. Il soupire, on l’entend à peine murmurer :

 « Mon écureuil, mon petit écureuil, où te caches-tu donc ? »…

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