A Mauritian in Lyon

petisaintleu

En intégrant la grande enseigne de bricolage sur Lyon, je sympathisai rapidement avec Fréderic. Derrière son air efféminé et son faciès de fin de race, il était réunionnais de vieille souche, j'étais tout de suite conquis par son degré de gaminerie qui concurrençait le mien.

Il venait également d'arriver dans la métropole régionale et il était tout aussi perdu que moi. Nous découvrîmes ensemble cette jolie cité, réputée pour être la capitale française de la magie noire et de l'échangisme.

Après un essai infructueux dans une boîte réputée pour sa fréquentation de ce que nous appelons désormais les cougars, non pas par manque d'opportunités mais tout simplement parce que nous étions tous deux de gros coincés incapables d'aborder qui que ce soit, nous préférâmes nous contenter de soirées passées tranquillement à refaire le monde dans nos appartements respectifs.

Un soir de début octobre, quand il commence à faire nuit vers les dix-huit heures et que le moral se trouve plombé par la grisaille, il m'invita à le rejoindre. La sœur de sa meilleure amie mauricienne arrivait pour commencer ses études dans notre ville. Elle débarquait précisément de l'île Rodrigues, un paradis perdu dans l'océan Indien, bien éloigné de la trépidation citadine.

J'avais emmené avec moi Michel et son ami Pierre dont le cynisme exceptionnel n'avait d'égal que sa frustration. En arrivant, nous sentions la jeunette tout autant fatiguée de son long voyage que stressée par l'angoisse de se sentir enfermée dans un 20 m ². Ça devait un peu la changer des plages de sable blanc.

Très pédagogue, Pierre se mit aussitôt à l'initier aux bonnes mœurs hexagonales, à sa sauce. Il faut dire que Lyon est réputée mondialement pour ses spécialités gastronomiques. Il se mit alors à table.

Il lui décrit avec maints détails les dangers de la vie urbaine. Il ne fallait compter sur personne pour son intégration. La possibilité qu'elle garde sa virginité intacte ne dépassait guère les quatre jours. Et comme elle commençait des études de sociologie, on se demande d'ailleurs ce qu'elle en ferait sous ses tropiques, il lui conseilla vivement de lire l'ouvrage d'Edgard Morin sur la rumeur d'Orléans.

Nous sentions une ambiance de mal-être l'envahir. Ses yeux se dilataient de terreur au fur et à mesure que le boute-en-train déroulait ses très exagérées descriptions de nos mentalités. Il faut croire que l'humour au second degré n'est pas l'apanage des régions tropicales. Elle gobait tout de façon très terre-à terre, son esprit ne pouvant décoller de la hauteur d'un récif corallien.

Je ne sais pas ce que la pauvre petite est devenue. En considérant le taux d'échec en première année de fac plombé par le dépaysement, on peut supposer qu'elle n'a pas dû dépasser le seuil du premier semestre universitaire. Elle a dû regagner le calme insulaire; on ne va pas la plaindre.

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