à mi course

gribouille--2

L’amertume a fait place à l’insouciance, l’aigreur a tracé ses sillons dans ma peau, les sourires ont fait place à des grimaces de circonstances, les moments enjoués ont été remplacés par des actions professionnelles intéressées et laborieuses, l’effort a succédé au repos, tant moral que physique, la prudence a bloqué les initiatives, la prise de risque est réduite à sa plus simple expression, la sécurisation a figé les élans de liberté, la pesanteur me fixe au sol, à la possession des biens, l’inquiétude mine chaque jour qui passe, les certitudes effacent certains doutes, certains doutes remplacent des certitudes.

Le petit garçon libre est empêtré dans son quotidien, l’homme a succédé au bambin, sa responsabilité d’être humain l’oblige à des devoirs, à respecter des lois de plus en plus contraignantes, la société coince de plus en plus ses utopies, ses rêves s’envolent vers les enfers des autres, ses volontés se délitent sur les paresses d’autres, les profiteurs immobilisent ses entreprises bénévoles, les sournois ont tissé leurs toiles autour de ses réalisations, les assureurs l’ont assuré, les politiciens l’ont trompé, les calculateurs l’ont dupé, les prévisionnistes l’ont fait douter de lui.

Le conditionnel remplace le subjonctif imparfait, le prétérit virgule avec le nominatif, le futur antérieur est figé dans le passé composé, le présent fait grise mine à l’impératif.

La rigidité est programmée dans ses gènes, ses cellules, le vieux arrive, le jeune s’éteint, la flamme diminue de mois en mois, les douleurs fixent ses attentions, inquiètent ses proches, implique des résignations, des fatalités, le vieux lion solitaire rugit dans la steppe, les hyènes et les chacals rodent, les vautours attendent leur heure, le troupeau de biches bat des oreilles, remue ses petites queues, ouvre de grands yeux innocents.

Nul lionceau ne lui succèdera, le roi des courbes boursières ralentit sa course frénétique, les spéculateurs affairistes ont bouleversé ses schémas, le prince du service de table des grands de ce monde s’englue dans son hôtel deux étoiles, trompé par la légèreté de ses associés, le peintre paysagiste de qualité internationale reste à attendre son heure, bloqué dans ses réalisations, ruminant devant des glauques ses aigreurs et ses tourments, le sportif de bon niveau voit ses vertèbres se coincer bien souvent, ses articulations se calcifier, ses organes se dérégler, la minuterie saute, la mémoire défaille, le disque est rayé, la poussière s’est infiltrée dans le disque dur, le calcaire a bouffé les joints, détruit les neurones, pollué les sources vives, tarit les nappes phréatiques de ses mémoires immédiates.

Alors le petit garçon raconte ses mémoires, il grave dans la pierre ses espoirs, il ravive les étincelles de ses jeunes années, il immortalise ses visions en peignant, il fixe le temps, il réveille ses chambres noires, il ouvre ses portes interdites, il illumine ses sombres pensées, il débloque le coffre fort de ses rêves, il déverrouille les issues de secours, il part dans le souterrain de ses ancêtres, il fermera à tout jamais derrière lui ses gènes, il arrêtera là une chaine familiale, il sera le dernier maillon de sa fratrie, un doux rêveur, un artiste, un utopiste, un créateur de couleurs, de formes, de sons, de directions, un formateur informateur, un mini guide du vouloir, un acteur du bon vouloir, un pion maitre du jeu face au roi.

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