A mon suicide.

eden-paragallo

Tu es invisible aux yeux des autres. A moins qu'ils soient aveugles.
Tu manges. Mais jamais trop. Quand parfois tu avales ton repas trop vite, il finit dans la cuvette des toilettes quelques minutes plus tard.
Quand le matin tu t'habilles, tu regardes ton petit corps d'un air détaché. Tu passes tes petits doigts sur tes côtes. Tu te tournes, par moments, pour vérifier que ta colonne vertébrale reste discrète. Il faut pas attirer l'attention.
Quand tu es seule, tu ne pleures jamais.
A l'école, on se moque de toi. Tu as des amies. Peu d'amies. Tu te sens mal à l'aise. Mais tu restes au milieu de la foule.
Au collège, tu rencontres une fille. Dépressive. Tu la retiens, tu l'aide du mieux que tu peux. Elle écrit un poème qu'elle te donne pour que tu le termine. Mais il ne te plaît pas alors tu le ranges dans ton agenda. La fille part du collège pour entrer au lycée. Tu commences à sentir un vide à l'intérieur de toi.
Parfois, il t'arrive de pleurer, le soir, le nez enfoui dans ton oreiller.
Et puis, il y a cette fille blonde au cours de sport. Ta future meilleure amie. Ta sœur. Ta confidente. Celle sans qui tu ne pourras pas vivre. Et celle grâce à qui tu es encore là.
Tu entres au lycée. Mais tu perds de vue ton amie. Tu essayes de t'intégrer. C'est un échec. Tu retentes l'expérience. Même résultat. Tu évites la cantine, tu fuis le hall et la cour. Tu passes ton temps libre à la bibliothèque ou dans les couloirs du deuxième étage. La solitude te pèse de plus en plus. Et la paire de ciseaux qui se trouve dans ta trousse te fait les yeux doux depuis quelques semaines. Tu l'ignores. Mais après quelques mois, tu craques. Il fallait que ça sorte. Il fallait que la douleur soit réelle. Ta peau saigne mais tu ne ressens rien.
Tous les soirs tu pleures sous ta couette. En silence.
Le jour où ta mère découvre ton poignet scarifié, elle te gifle.
Tu te promets de ne pas recommencer. Mais la promesse ne dure que quelques mois. Tu te moques de l'avis des autres. Tu ne veux plus être seule.
Et il y a cette voix dans ta tête. Elle est là depuis longtemps. Elle te parle doucement. Gentiment. Elle veut t'aider. Mais toi tu ne veux pas. Cette douleur à l'intérieur de toi t'épuises. Mais elle te manque lorsqu'elle disparaît pendant quelques temps.
Tu veux que tout s'arrête. Tu veux être ailleurs. Mais vers un ailleurs meilleur. Tu es égoïste. Tu ne penses qu'à toi dans ce plan d'évasion. Tu continues de souffrir tout en cherchant le moyen de partir. Et au moment de passer à l'acte quelque chose te retient. Tu ne sais pas ce que c'est. Alors tu restes.
Tu loupes tes examens. Tu pars. Loin. Tu repasses tes examens. Cette fois c'est bon!
Tu entres à l'université. La période la plus difficile de ta vie. La descente aux Enfers. Cette fois tu le sens. Tu es seule. Vraiment. Tu te sens au bord du gouffre. Et tu as peur de glisser. Tu essayes d'appeler à l'aide. Mais personne ne répond. Le campus est proche des magasins. Tu penses à des médicaments et à une bouteille de vodka. Mais tu n'oses pas bouger. Tu restes assise sur ton banc en pierre. Tu pleures.
Ce jeu dure quelques semaines. Au moment où tu décides de passer à l'acte, quelque chose te retient à nouveau. Mais cette fois c'est plus profond. Encré dans tes entrailles comme une marque au fer rouge sur la peau. Un déclic.
Tu veux te venger. De tous ces cons qui t'ont rendu si fragile, si invisible. De tous ceux qui t'ont fait souffrir. Ton choix est fait.
Tu réfléchis à ton nouveau plan. Ca prend des années. Cinq. Mais cette fois tu y est. Ils vont payer.
Ils ne t'ont pas rendu fragile mais forte. Ils ont de toi un animal sans pitié. Une guerrière sans cœur. Une femme sans foi ni loi.

A toi, petite fille. Toi qui es encore debout malgré la fatigue. Toi qui as souffert injustement. A toi, qui n'as jamais abandonnée malgré toutes ces occasions. 

A mon suicide. Toi qui as été une bouffée d'air pur dans ma vie. Toi qui as été mon plus grand allié. Toi qui m'a permis d'être qui je suis.
A toi que je remercie d'être en vie.

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