A travers le miroir

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A travers le miroir 

J’avais mal. La douleur était persistante et cela devait inquiéter Edouard parce que, chaque fois que le soleil apparaissait au-dessus de la montagne, arrivait un monsieur tout petit et malingre, à la voix très aigüe. Il s’asseyait sur le tabouret en bois de hêtre ciselé, il disparaissait de ma vue mais je sentais précisément sa présence et son odeur particulière, comme celles des plantes piquantes. Puis, il enlevait son chapeau gris à rayures, s’en servait en guise d’éventail pour s’éventer.

Ce jour-là, il faisait chaud, très chaud. Après une longue période glaciale, peu habituée à la chaleur, je me sentais lénifiée.

Cotonneuse, sans entrain, je transpirais beaucoup ce qui devait davantage encore tourmenter Edouard qui me frottait régulièrement d’une serviette humide. C’était étrange, Edouard ne comprenait pas que les causes de cet état, plus que la douleur, en étaient un soleil nerveusement présent et un vent absent.

 Il est vrai que lui et moi, nous connaissions depuis peu. Et il ignorait que j’avais toujours été très sensible aux écarts prompts de températures. Personne n’avait dû l’en informer. En revanche, et c’était une caractéristique rare, entorses et autres foulures n’ont jamais été bien longues à la guérison. Edouard ne devait pas se soucier autant.

 Son front se rida lorsque le petit monsieur au chapeau s’élança dans une scrupuleuse palpation à l’endroit de mes tensions : « Voyons, voyons, qu’avons-nous aujourd’hui…». Ma jambe effectua un mouvement de recul par réflexe mais je ne bronchai pas.

« Bien, bien, avancée faible mais notable. Les antidouleurs sont efficaces. Un point positif ». Il palpa de nouveau mon genou mais de manière plus douce. Ses gestes précis et généreux, faisaient appel à une combinaison harmonieuse de connaissances techniques et intuitives. J’étais en confiance. J’entendis le petit monsieur que je ne voyais pas, faire un bruit de feuilles séchées par l’automne.

« Cependant mon cher Edouard, étant donné que la douleur semble encore présente, je préfère procéder à une radiographie. J’aurais dû y songer dès les premiers jours. Je pensais qu’il s’agissait d’une inflammation sans conséquence. Il semble cependant qu’il y ait dans ce genou un mystère que nous devons nous appliquer à dévoiler ».

« Pff… » Edouard vint auprès de moi, porta sa main affectueusement sur mon ventre. Je ne bougeai pas ou légèrement la tête pour rendre à Edouard son tendre geste. Les deux hommes semblaient au petit soin pour moi et je n’avais pas à m’inquiéter.

« Bien, je reviendrai demain Edouard. A la même heure ? »

Edouard cligna des yeux en signe d’acquiescement : « Dis, ça va me coûter un bras ça encore  ? ».

- Edouard, toi seul décides. Je te rappelle, cependant que…

- Bon, bon, bon, c’est d’accord.

Le petit monsieur me donna une tape amicale : « A demain belle Rose, reste bien tranquille et repose toi », chuchota-t-il à mon oreille. Mais sa voix suraigüe résonna comme un cri dans une grotte et je sursautai. « Oh ! On se calme. On dirait qu’elle n’aime pas beaucoup ta présence… » Se moqua Edouard.

Restée longuement debout, mon genou flancha et je décidai de m’allonger tandis que les deux hommes s’éloignaient en discutant. J’avais soif. Je tendis l’oreille et mon ouïe fine capta, non pas les mots, mais la teneur intrinsèque de leurs voix, un peu comme le maître zen sonderait l’état énergétique d’un être.

- Edouard, rappelle-moi. Depuis combien de temps Rose est-elle arrivée ?

- Trois mois. Je commence à croire qu’elle était malade avant d’arriver ici. Les salops ! Ils ne m’ont rien dit ! Ah, crois-moi, ils ont bien garni leur portefeuille…

- Tu as pourtant des certificats médicaux en bonne et due forme. Et souviens toi, je l’ai examinée dès le premier jour.

- Mmmm »

Le petit monsieur tenta de rassurer Edouard, mais les vibratos dans la voix de ce-dernier annoncèrent a contrario un malaise.

- Le changement a pu la perturber.

- Quoi ? Qu’est-ce que tu vas chercher là ?

- Le climat Suisse est plus frais, ton endroit plus clément, plus calme. C’est un grand bouleversement.

Edouard eut un sourire sarcastique.

J’avais soif et je roulai ma langue dans ma bouche comme si je mâchais.

- Et c’est pour ça qu’elle aurait mal au genou ? Tu plaisantes ?

- Nullement. Rose est sensible, vive, perspicace. Elle comprend beaucoup de…

J’avais soif, très soif et je le dis.

- Entends-tu ? Rose se manifeste, elle n’ignore point que nous parlons d’elle.

- N’importe quoi ! Elle doit avoir mal ou bien soif.

- Ne t’en déplaise. Ne néglige cependant pas l’affect. C’est un aspect capital dans les cas de pathologies persistantes et particulièrement chez Rose.

- Oui, bon ben… A demain, termina Edouard en serrant sèchement la main du petit monsieur au chapeau.

Edouard vint vers moi en grognant comme le petit monsieur et sa voix aigüe : « Ne t’en déplaise !! L’affecte est un aspect capitaaaal… cepenenendant !! Cepenenendant !! Bah ! ».

Il m’apporta de l’eau fraîche. Quel bonheur ! Je me délectai. Je sentis  le liquide froid fondre dans ma bouche et vivifier ma gorge, l’œsophage puis le corps tout entier. Je remerciai Edouard en approchant ma tête contre son bras.

« Hé hé, Rose, doucement ! ».

Puis, Edouard se planta devant moi et me fixa, bouche bée. Il avait une tête énorme comme une boule de foin, deux grosses billes au milieu et de très grandes oreilles comme des feuilles de chou-fleur. Il ne bougea pas. J’entendis sa lente respiration et je sentis son souffle tiède. Je reculai de quelques pas. C’était la première fois qu’Edouard s’intéressait à moi de cette façon. Il fît un pas pour s’avancer vers moi. Je reculai. Il ne bougea pas et continua à me regarder. Que me voulait-il en cet instant… Puis, il partit et claqua la porte.

Je m’étais très vite habituer à Edouard ; J’étais loin d’être exclusive, Edouard s’occupait tout autant de mes comparses, mais ses gestes, même rapides, étaient justes. Il s’occupait de moi précautionneusement, il détectait mes besoins et mon boxe était toujours nettoyé. Edouard me choisissait et me sortait toujours dès qu’une balade était organisée pour des visiteurs.

Une fois, un autre avait insisté pour m’avoir moi. Ces gestes étaient si brutaux, il criait si fort et il bougeait avec une telle nervosité que je m’arrêtai brusquement. Il faillit passer en avant et chuter. Je ne voulus plus repartir. Il me talonna et me fit mal parce que ses gestes contenaient de la colère et de la vanité. Non, je décidai de ne plus repartir. Tous mes compagnons s’arrêtèrent aussi. Alors Edouard, qui était en début de file, vint vers moi, me caressa le cou comme il le faisait souvent : « Rose ! Tu fais grève ! ». Il rit. Je me détendis. Mais je ne voulus pas repartir avec cet hurluberlu sur le dos. « Bon, vous allez monter Ruppert et je m’occuperai de Rose. » L’autre en descendant me pinça violemment à la bouche. « Allez en route !» cria Edouard à la troupe. « Vous savez, Rose vient d’arriver. Elle n’est pas encore habituée. C’est une ancienne championne de courses, alors les petites balades aux pas, ce n’est pas son dada ». Sur mes compagnons de route, les bons hommes se mirent à gigoter.

Et puis, un jour, j’ai attrapé  cette maladie et j’ai regardé mes compagnons partir en balade tandis que je restais au bercail avec Baron, le joyeux bouvier bernois. Et Elfie, la chatte grise, qui ronronnait au creux de ma patte, celle où j’avais mal.

C’était ma nouvelle vie.

Et puis un moment où le soleil disparaissait de la vallée, Edouard m’emmena dans un bâtiment que j’avais déjà repéré car il était le long de la balade mais je n’y avais jamais mis les sabots. C’était vaste, surtout haut de plafond et plutôt sombre. C’était très silencieux. Je ne percevais pas la présence de mes semblables. Je sentais leurs déjections mélangés au foin mais l’odeur était différente de celle de ma maison, moins arrondie, plus acide. J’eus tout à coup comme des frissons et des douleurs dans le ventre…

Baron, qui nous avait accompagnés, jappait. Il tournoyait, sautait, criait. Il faisait ça quand Edouard ne voulait pas l’emmener en balade. Il semblait agacé. Il glissait sous mes jambes, revenait au-devant de moi, cherchait Edouard qui m’avait attaché et s’était éloigné. Quelque chose allait se passer. Baron le savait.

Puis Edouard revint : « Allez Baron, on y va ». Edouard me regarda, comme la fois où il avait fixé mon regard avec ses deux grosses billes dans sa grosse tête. Cette fois, sa respiration était rapide, très rapide. Son souffle était froid. Aussi imperceptible que cela soit, même pour lui, son corps tremblait, de petits spasmes le long de ses veines. Son odeur n’avait plus sa douceur habituelle, elle était aigre.

Il tourna net les talons et s’éloigna sans se retourner, en sifflant Baron qui restait coller à mes pattes. « Baron ! Ici ! ». Et Baron fila lui-aussi.

Je restai seule. Personne autour de moi. Seule.

Le genou étendit soudainement sa douleur jusqu’à la cuisse. Ma jambe ne me porta plus. J’allongeai péniblement mon grand corps lourd, membre après membre, puis je me laissai aller à l’abandon et je m’assoupis.

Il faisait nuit quand on vint me chercher pour me mettre dans une maison étroite. Elfie et Baron n’étaient pas là pour dormir avec moi et Edouard n’est pas venu me donner de la bonne eau fraîche du soir. Mes voisins de maison étaient bruyants. Des sons qui ne m’étaient pas familiers. L’un tapait ses sabots contre la cloison, reniflait bruyamment, et poussait des cris. L’autre gémissait de crainte ou de douleur ou les deux. Je ne pouvais pas dormir. Je tentai de me lever mais mon désarroi fut grand quand je constatai que je n’y parvenais pas… Plus.

Au matin, j’avais dû dormir un peu, l’un de mes voisins, celui qui pleurait, avait disparu. L’autre avait une visite. Un genre d’humain avec un scaphandre. Quand l’Homme étrange partit, mon voisin était étendu, yeux clos et je n’entendais plus le son de sa respiration.

De terreur et de colère, je parvins enfin à me tenir debout. Je gémis de douleur et de soif, de. Je transpirais ; j’avais mal. Je tapai ma tête d’un coup sec contre la porte. Le sang coula dans mes yeux. J’étais aveuglée. Je pleurai des larmes de sang. Ma crinière resta coincée entre deux planches de la barrière, je tirai pour me libérer ma douleur était telle que mes cris redoublèrent.

J’étais épuisée, assoiffée, étourdie au sol quand des scaphandres vinrent chercher mon

 voisin. Je gémissais alors comme un bébé abandonné, un peu comme mon voisin de chambrée, celui qui avait disparu à l’aube.

Tout le jour, je restai enfermée dans ma toute petite demeure. On m’apporta quelques graines dans un seau et un peu d’eau. Mais je ne mangeai et ne but plus. J’ignorais ce que je faisais là mais je savais que cet endroit n’avait ni âme, ni vie.

Un autre compagnon arriva en fin d’après-midi. Sa peau était pleine de croûtes et ensanglantée à certains endroits. Il geignait et de nouveau, ma nuit fût agitée. Le sommeil qui me permettait de m’évader, me voyait courir, courir, courir, grimper les monts et descendre les vallées. Je me désaltérais à une rivière fraîche. Puis je me réveillais en sursaut, en sueur, j’avais renversé le saut de granulés et celui d’eau.

Ses scaphandres m’effrayaient lorsqu’ils s’approchaient près de moi. Lorsqu’on m’apporta un autre pot de granulés, énervée, je me levai sur mes pattes arrière en hurlant. L’autre sortit en vociférant et ne revint plus jamais me nourrir. J’avais comme une sensation de danger, de malheur, de fin…

C’est alors qu’un scaphandre est entré dans ma petite, toute petite maison étroite. Tremblante, pétrie de douleurs, je n’eus même pas la force de l’éloigner et je le laissais faire son devoir. Puis, je ne vis plus rien. Ne sentis plus rien. Il me semblait ne plus être du tout…

« Attendez ! Attendez !!!».

Le scaphandre se retourna : « Qu’est-ce qui se passe  ? ».

Un monsieur malingre portant une sacoche s’approcha : « Ne faites pas ça ».

- Qui êtes-vous ?

- Ne faites pas ça, je vous en prie monsieur.

- Trop tard.

- Trop tard ! Seigneur ! Je suis arrivé trop tard. Seigneur tout puissant ! Non !

Le petit monsieur tomba genoux à terre et mis ses mains sur son visage.

- Mais qu’est-ce qui se passe mon grand ? Sentez pas bien ? Vous êtes qui ?

- Je venais sauver Rose.

- Rose ? C’est qui celle-là ?

Le monsieur montra du doigt.

- Ah ! Ok ! Je vois. Mais c’est pas moi qu’est responsable. Faut aller au bureau là-bas pour les papiers. Z’aiment pas trop ça les administrations quand faut revenir en arrière.

- De quels papiers parlez-vous ? Ne m’aviez-vous pas dit que la dose avait été administrée ?

Baron. C’était la voix de Baron. Un sol de paille doucereuse. Le ronronnement de Elfie. Je rêvais. Je devais rêver. J’entendais des voix, une voix nasillarde qui transperçait mes tympans. Mon odorat attrapait le goût boisé des pulls en laine d’Edouard.

J’entendais la voix d’Edouard. Non, cela ne pouvait être la sienne. Celle-ci était mal chevrotante, émue : « Merci. Je ne sais comment te remercier. »

- Crois-moi, Edouard, je ne puis que me réjouir. Comment n’ai-je pu trouver la cause avant ? Je me serais châtié si... Maintenant, nous devons procéder à la tâche la plus délicate et je ne garantis pas la guérison.

- Tu as déjà fait beaucoup.

Edouard baissa la tête.

- Tu sais, j’ai perdu mon épouse il y a bien longtemps. Nous étions si jeunes. C’est étrange… Mais… Je… Enfin…

Edouard toussa.

- Oui ? L’encourageait le petit monsieur.

- Je… J’ai eu comme une… Enfin, ça m’a fait comme si, tu vois… J’avais l’impression de la perdre une seconde fois.

Le petit monsieur posa doucement sa main sur le bras d’Edouard en signe de tacite compréhension.

- Mais pourquoi est-elle restée une semaine ? S’enquit Edouard.

- Plus de place à l’abattoir…

- Ah.

- Lorsque Rose s’éveillera, il faudra être à ses côtés et la choyer. Ce dernier épisode l’a mise dans un état de grande nervosité. Elle frappait sa tête contre la barrière du box en signe de rébellion. C’est pour cela que j’ai pansé son museau. Durant quelques jours, elle devra retrouver calme et sérénité, puis nous enlèverons le kyste.

- Tu es arrivé à temps… Merci, dit Edouard en lui serrant chaleureusement la main.

- Nous avons eu de la chance. Les transporteurs les endorment avant le trajet pour éviter le stress de l’abattoir, afin que la chair reste tendre…

Le petit monsieur repoussa le tabouret gris, prit sa sacoche. Edouard le raccompagna jusqu’à la barrière du jardin et d’une petite voix : «  On dirait que Rose avait compris, n’est-ce pas ? ».

Les yeux du petit monsieur sourirent de connivence et il partit.

Edouard se faisait remplacer par son filleul, pour les sorties touristiques en forêt et avait même annulé certaines pour se consacrer à Rose qui avait été gravement déshydratée et sous-alimentée. Même si le genou lui causait de la peine, il était évident que son état général s’était nettement amélioré depuis son retour. Son poil était plus brillant, le museau avait cicatrisé, l’appétit était revenu. Mais comment Rose avait-elle pu sombrer ainsi en si peu de temps… Cela semblait si mystérieux, songeait Edouard en brossant Rose.

Nul besoin d’ouvrir les yeux, je ne rêvais pas. J’étais bien là, dans ma maison. Edouard, Baron, Elfie, ils étaient tous là et j’avais entendu mes confrères partir en randonnée. J’avais mangé de l’herbe du pré, bu l’eau fraîche du ruisseau, j’avais été lavé par la main douce d’Edouard. Je découvris de nouveaux amis. Elfie avait donné le jour à trois minuscules chatons, ici même, dans ma maison, sur ma paille. Edouard les avait déplacés de peur que je ne les écrase.

Edouard venait manger assis près de moi. Il souriait. Il ne disait rien, il me regardait et passait sa main sur le bout de mon nez. C’était doux. De justes, ces gestes étaient devenus sincères.

Le monsieur tout maigre venait me voir souvent. Je m’étais habituée à sa voix aigüe. Comme à son habitude, il s’asseyait sur son tabouret ciselé, palpait mon genou, faisait d’autres vérifications, parlait avec Edouard et repartait.

Mais je n’avais pas aimé sa dernière visite. Il m’examinait partout, les oreilles, les sabots, la bouche, les yeux. Il prenait du temps, beaucoup de temps. Cela m’agaçait et je commençais à perdre patience. Je bougeais, je criais un peu, je secouais la tête pour lui faire comprendre qu’il fallait qu’il arrête. C’était un gentil monsieur, je ne voulais pas m’énerver davantage car un coup de mes pattes, et il volait jusqu’au bout du pré !

« Rose ! Rose ! Hooo ! Tout doux, tout doux » avait crié Edouard du fond du pré, puis il m’empoigna le cou fermement pendant que le petit monsieur s’activait.

Je sentais dans l’air une odeur de gaz qui m’irritait le nez. Il faisait lourd.

« Bien, c’est terminé, elle est prête ».

- Comment le sens-tu ? Elle est très très nerveuse depuis ce matin…

- C’est normal, elle sait. Tout ira bien, Edouard.

J’étais dans un endroit à part de mes compagnons. Je mangeais le foin, je mâchais doucement. Des rayons gris immobiles traversaient l’étable chaleureuse. Il faisait doux. J’entendais le chant du vent à travers les arbres comme des murmures à mon oreille. Les rayons disparurent doucement et tout s’assombrit ce que ne m’empêchait pas de distinguer Baron étendu, qui dormait paisiblement. Je n’avais pas encore dormi. Je ne pouvais pas ou je ne voulais pas m’endormir. Pas maintenant.

Puis, les murmures du vent se firent cris et soudain, une grande lumière jaillit suivie d’un bruit fracassant comme si la terre se craquait en deux. De l’eau tomba tout à coup très fort du ciel. Je sursautai, je ruai en criant, j’étais effrayée. Baron sursauta aussi et aboyait à gorge déployée. Des claquements de volets qui s’assommaient contre le mur m’affolaient encore plus. Une forme étrange entra, Baron lui sauta dessus. Je reculai de frayeur et je continuais à me cabrer sur mes deux jambes arrière, j’en oubliais même la douleur. C’était Edouard. C’était Edouard qui portait un drôle de capuchon jusqu’aux pieds pleins de gouttes d’eau.

« Baron, file dans la maison ». Il lui ouvrit la porte.

Un autre éclair et un autre bruit intense. Je me cabrai.

Edouard, très assuré, s’approcha de moi pas à pas : « Rose, tout va bien. Allez belle Rose, du calme. ». Je l’entendais à peine. J’allais en avant puis en arrière. Je criais. Arrivé à côté de ma tête, Edouard continuait de parler d’une voix grave, lente et régulière. Je devins plus calme. Puis il entra dans mon espace et je lui balançai un coup avec ma tête. Il resta très doux. Peu à peu, la sérénité qu’il dégageait me gagna. Je le laissai venir jusqu’à moi et poser ses mains sur moi, tout mon corps frissonna comme si un courant invisible était passé d’Edouard à moi. Je soufflais très fort, je baissais ma tête et la remontais. Edouard me caressa, encore et encore. J’eus mal au genou et je m’allongeai enfin, épuisée.

Edouard fit de même auprès de moi. Et j’entendis son ronronnement : « Rose, tu sais, je dois bien te l’avouer, j’étais fâché contre toi au début. Je t’ai acheté une somme colossale pour donner à mes randonnées une publicité prestigieuse. La grande Rose, celle que tout le monde avait vu gagné les grands prix ! Chez moi, dans mon petit ranch de Cernier en Suisse. Ta maladie a gâché tous mes plans. C’est moi qui ai décidé pour l’abat… Je suis désolée Rose. Tu m’entends ma belle, je suis désolé. Demain, tu vas guérir. Rose, tu vas guérir et tu resteras toujours auprès de nous. ». Il ouvrit très grand la bouche et souffla. « Elfie, qu’est-ce que tu fais là ? C’est dangereux, Rose peut écraser tes petits tu sais. ». Elfie ronronnait aussi. Baron ouvrit la porte et nous rejoignit.

Puis… Plus rien. Plus un son, plus un bruit. Dehors, faisant place à la tempête, une quiétude pure. Un fleuve de silence angélique. Une légèreté…

Alors, je fermai doucement mes yeux.

Il était temps que je trouve le repos pour de bon, enfin.

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