La Reine

feryel--2

Un souffle sur mon visage, accompagné d’une agréable humidité, réussit à me sortir de l’inconscience dans laquelle j’avais sombré. Je tentai d’ouvrir les paupières qui me semblaient aussi lourdes que du plomb. Lorsque j’y parvins, je restais bouche bée : de larges naseaux offraient à mon regard le spectacle de cavités sombres par lesquelles un souffle d’air venait chatouiller mon visage brûlé par le soleil. La bête se recula de quelques mètres à ce moment, me laissant ainsi apercevoir le reste de son anatomie. Il s’agissait d’un cheval à la robe grise, aux membres longs et secs et à la poitrine impressionnante par sa musculature apparente. Aucun harnachement ne l’entravait. Allongé sur le sol, j’avais une vue imprenable sur l’équidé me permettant de déduire que le cheval ne pouvait qu’être une jument. Sa tête me surprenait par sa finesse qui lui donnait l’allure d’une reine. A demi conscient, je me rendis compte que ses grands yeux ronds, noirs m’observaient avec une intelligence presque humaine. Je plongeais dans son regard et je perçus une sagesse dans cet animal qui m’apaisa. Epuisé, ébloui par les rayons du soleil, je dus fermer les yeux un instant. 


En réalité, quelques heures avaient du s’écouler compte tenu de l’obscurité ambiante. La violence du froid de ce désert montagneux qu’est le Haut Atlas marocain m’avait tiré de ma torpeur mais risquait fort de m’y plonger à nouveau et cela, définitivement. Je regrettai amèrement mon inconscience : partir seul, en randonnée, dans cette région aride et isolée, relevait de la bêtise. Je n’avais pas prévu qu’un serpent surgirait sur le chemin, m’effrayant au point d’oublier l’escarpement derrière moi. Ce fut la chute ! Depuis, incapable du moindre mouvement, je gisais au même endroit m’égosillant un temps pour réclamer de l’aide et puis la gorge trop sèche, assoiffé, j’économisais depuis un jour maintenant mes forces dans l’espoir vain de l’arrivée des secours. Brutalement, je me rappelai les yeux de la jument que j’avais du imaginer dans mon délire. Elle avait pourtant l’air si réelle. Sa peau, si fine, laissait voir ses veines. Une tache rouge sur son épaule ressemblait à s’y méprendre à un cœur. Pouvais-je avoir inventé de tels détails ? Il est vrai que la soif a d’étranges effets sur notre cerveau et nos perceptions. La nuit avec son silence rendait mon attente encore plus insupportable, me renvoyant à ma solitude face à cette nature hostile, meurtrière dans mon cas. Finalement, le sommeil pourrait être mon ami, mon oubli. ma seule issue.


Mon corps sursauta sous l’effet de chocs répétés ou plutôt de coups assénés brutalement sur mon torse. Je retrouvai un instant ma voix pour crier sous l’effet de la douleur et tout s’arrêta brusquement. totalement paniqué, j’avais repris pleinement conscience et la chaleur s’était remise à circuler dans mes veines. Je tentai de distinguer mon agresseur et à ma grande stupeur, je reconnus dans l’obscurité le souffle de mon cheval, pas si imaginaire que cela finalement. J’osais à peine respirer tant j’avais peur de déchainer à nouveau la violence de la jument. Cette dernière ne bougeait plus et peu à peu, mes yeux habitués à la nuit, purent enfin la voir. Elle se tenait immobile à deux mètres de moi, et m’observait également avec attention. Je ne comprenais pas. Que me voulait-elle ? Pourquoi cette agressivité ? Je devais déjà lutter contre la soif, la douleur dans mes jambes, le soleil, le froid et maintenant se rajoutait cette bête énigmatique qui apparaissait et disparaissait comme un fantôme. Tant pis, je n’allais pas passer le temps qui me restait à surveiller un cheval fou. Je décidais d’ignorer la jument et la fatigue aidant, je glissai peu à peu dans un sommeil réparateur. Et bang, de nouveau, un coup de sabot moins violent mais tout aussi efficace m’arracha brutalement au repos. Mais bordel, que voulait cette carne ! Dès que je m’endors, elle se met à me taper dessus et puis elle s’arrête sans raison pour finalement m’observer de loin. A quoi jouait-elle ? Cela l’amusait elle de m’empêcher de dormir ? Je regardais maintenant la jument avec haine, la haine de celui qu’on maltraite sans raison. J’avais toujours cru que les chevaux ne pouvaient faire preuve de cruauté et bien, apparemment, je m’étais trompé lourdement. Cette nuit me parut interminable dans ce combat qui m’opposait à cette bête. La soif n’arrangeait pas les choses, la gorge me brulait, la tête me tournait …

Quand les premiers rayons du soleil apparurent, la jument s’ébroua élégamment, me jeta un regard étrangement compatissant et me tourna le dos pour s’éloigner sur les pentes escarpées de la montagne. Je ne comprenais rien mais une chose était certaine, je pouvais enfin m’effondrer et ce, sans recevoir de coups de sabots. 
De l’eau, de l’eau ! J’en rêvais tellement que je sentais un filet d’eau courir sur mon visage. Que c’était bon ! Mes lèvres craquelaient aspiraient avec force ces quelques larmes du précieux liquide. Ma bouche s’ouvrait afin d’en recevoir un maximum. Mais ..mais ..ce n’est pas un rêve ! Ma gorge respire à nouveau. Mes yeux saisissent alors un extraordinaire spectacle ! Au dessus de moi, la jument tout en me protégeant du soleil brulant, laisse couler, lentement, de ses lèvres fines, cette eau qui me ramène à la vie. En me plongeant dans son regard, je retrouve cette intelligence qui m’avait marqué lors de notre première rencontre. Je viens enfin de comprendre. Cette nuit, elle m’a sauvé la vie ! Dans le froid mortel de la nuit montagneuse, s’endormir équivaut à mourir et la jument ne m’a pas laissé prendre cette voie. Ses coups de sabots n’étaient pas donnés dans l’intention de me blesser mais bien de me maintenir éveillé. Je n’avais jamais cru dire cela un jour mais je lui étais profondément reconnaissant.

 Comme si elle avait compris les émotions qui m’animaient, la jument passa sa langue sur mon visage dans un mouvement affectueux. Emu, je soulevai ma main afin de caresser sa tête et elle se laissa faire, me prouvant par là, à quel point, je m’étais trompé sur l’absence de conscience des animaux. 

Avec elle, l’espoir renaissait et surtout, surtout, je n’étais plus seul. Ce n’était peut être qu’un cheval mais quel cheval ! Je pouvais compter sur lui. Mais comment faire ? Les idées s’entrechoquaient dans ma tête, plus folles les uns que les autres. Pendant que je réfléchissais désespérément aux moyens de m’en sortir, la jument s’était déplacée derrière moi, je sentis ses dents agripper la capuche de mon tshirt et tirer d’un coup sec en arrière. Je saisis immédiatement le sens de sa démarche. Elle voulait me trainer ainsi sur le chemin. Son idée n’était pas mauvaise à ceci près que mon dos allait s’écorcher sur la rocaille qui parsemait le secteur sans oublier les risques de m’étaler sur des serpents, scorpions et autres amis en tout genre des êtres humains. J’essayais de faire comprendre à la jument que je n’adhérais pas à son idée mais sourde à mes explications, elle persistait. Elle était plus têtue qu’une mule. De la main, je tentai de la repousser mais lorsqu’elle me montra les dents, j’abandonnai immédiatement mes tentatives et me laissai triturer comme un sac de pommes de terre. Si la situation n’était pas aussi tragique, je rirai moi-même de la situation. 
Mon dos commence à saigner, les entailles se font de plus en plus profondes mais elle ne s’arrête pas. La jument veut me sauver et elle risque de me tuer sans le savoir. Malgré son intelligence et sa sagesse d’animal vieux de millions d’années, elle ne peut m’aider. Je ne lui en veux même pas. Lorsqu’elle disparaît quelques temps, je sais qu’elle part au ravitaillement. Elle réapparaît alors avec de l’eau coulant de ses lèvres et rafraichit mon visage et ma gorge. Elle fait preuve d’une endurance incroyable qui me fait penser qu’elle doit être arabe ou barbe. Elle se positionne à nouveau derrière moi et me tire dans un effort saccadé qui rythme le temps qui s’écoule inlassablement. Les pierres s’attaquent les unes après les autres à dos déjà malmené. Jusque maintenant, aucune bête mortelle ne s’est encore retrouvée sur le chemin de mon corps mais cela ne saurait tarder. Je me mets à parler à ma jument, mon héroïne qui s’échine pour rien. Elle semble me répondre d’ailleurs par des hennissements de joie ou de peine selon la teneur triste ou humoristique de mes propos. Finalement, elle devient ma seule réalité.

Les heures passent quand une pierre tranchante m’entaille profondément la cuisse m’arrachant un cri de douleur. Je n’en peux plus ! Furieux, je m’emporte contre la jument qui s’est arrêtée. Inquiète, elle s’approche de moi avec son regard profond qui cette fois, ne m’apaise pas, bien au contraire. Je veux que cela s’arrête ! Je veux qu’elle me laisse en paix. Mes mains sur le sol cherchent frénétiquement un appui pour me redresser et ne rencontrent que des pierres. Sans m’en rendre compte, mes doigts ont agrippé l’une d’entre elles et dans un réflexe vengeur, la lancent sur la tête de la bête. Elle n’a pas bronché, n’a pas évité le projectile qui l’a atteint de plein fouet. Horrifié par mon geste, je vis une trace rougeâtre apparaître près de son œil droit. Honteux, je voulus m’excuser lorsque sans un bruit, la lèvre dédaigneuse, elle se détourna de moi et la tête haute, s’éloigna de sa démarche légère. Je ne pouvais qu’assister impuissant au désastre que j’avais provoqué. Cette jument, fière, sauvage, dotée d’un cœur que bien des humains ne possèdent pas, avait tenté de m’aider et moi, en retour, je l’avais blessée. Tenté de la supplier de me pardonner, j’ouvris la bouche mais la refermai immédiatement. Elle m’abandonnait à mon sort et elle avait raison. Lorsque je la perdis de vue, je me mis à fixer le ciel et à laisser vagabonder mon esprit. C’est un beau jour pour mourir.


Des sons, des voix incompréhensibles, des cris, des secousses … laissez moi dormir ! Fatigué, je suis fatigué ! Je ne ressens plus rien, c’est peut être cela le bonheur, ne plus rien éprouver ! Rien n’y fait, les voix se font plus fortes, les secousses plus violentes. A travers une paupière à demi ouverte, j’entraperçois des formes blanches et je décide alors de ne pas m’en préoccuper. Je sombre à nouveau dans une bienheureuse inconscience. 


A mon réveil, je crus encore être prisonnier d’une illusion : allongé sur un tapis en peau de mouton, j’observais les murs blancs d’une pièce au sol en terre battue. Aucune décoration ne venait égayer cet intérieur monastique à l’exception d’une statuette de cheval ressemblant étrangement à ma jument. Les secours avaient du finalement arriver à temps mais ou me trouvais je donc ? Surement pas à l’hôpital ! Un vieil homme, en djellaba, accompagné d’un adolescent entrèrent dans la pièce par une porte en bois que je n’avais pas remarquée. L’aîné prit la parole mais je n’y compris rien. Encore sonné, je demandai si quelqu’un parlait français et à ces mots magiques, le plus jeune s’anima et s’exprima dans un français scolaire mais compréhensible.

« Vous partez demain à l’hôpital ! L’ambulance va venir chercher vous. » « Je vous remercie. Mais comment m’avez-vous trouvé ? » « Moi, je promenais les chèvres et la Reine m’a appelé. Elle m’a montré où vous êtes et on vous a amené ici. » « La Reine ? Qui est ce ? » Au lieu de répondre à ma question, il se tourna vers la statuette et me la montra du doigt. Non, ce n’était pas possible ! Cela ne pouvait être elle. J’insistai alors « La Reine, c’est un cheval ? » « Oui, mais pas un cheval comme les autres. Cette jument aide tous ceux qui, dans la montagne, ont besoin d’aide. Elle a même un cœur rouge dessinée sur son épaule. Personne ne sait d’où elle vient et où elle vit. Elle est libre dans nos montagnes. » 


Malgré mon ingratitude, ma jument ne m’avait pas abandonné. Les villageois avaient raison de l’appeler la Reine car elle en a le cœur, l’élégance et l’indomptable fierté. 

  • Merci Lafaraday por ce commentaire qui me va droit au coeur. Je suis déjà bien heureuse que mon texte ait plu à certains d'entre vous et cela vaut bien tous les prix. Bon courage à toi pour la suite.

    · Il y a presque 11 ans ·
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    feryel--2

  • Très étonnée de ne pas vous voir lauréat. Mais bon, vu la piètre qualité des textes des gagnants, leur gniangnianterie, votre texte ne pouvait être gagnant, hein................ Bref, sincèrement déçue par les choix des "jurés" des différents concours, et l'ensemble de ce site pour diverses raisons, je vous souhaite bonne chance pour la suite, moi je quitte le navire, ras-le-bol de toute cette médiocrité ambiante et de ces copinages...

    · Il y a presque 11 ans ·
    Th  tre orig

    lafaraday

  • Merci figuiguia77 !

    · Il y a presque 11 ans ·
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    feryel--2

  • Jolie Histoire. est poussé à lire jusqu au bout. bravo !

    · Il y a presque 11 ans ·
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    figuiguia77

  • Salim, merci pour ton commentaire ! Si l'émotion est au rendez vous, c'est l'essentiel !

    · Il y a presque 11 ans ·
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    feryel--2

  • Excellent !!! Jolis! émotion au rendez-vous ! surprenant, Talentueuse la feryel ...

    · Il y a presque 11 ans ·
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    salim

  • Merci Drims ! Je suis touchée que cette histoire ait réussi à t'émouvoir. C'est encourageant.

    · Il y a presque 11 ans ·
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    feryel--2

  • Excellent !!! très beau ! très touchant, émouvant ! du suspense, de l'action. Beau.

    · Il y a presque 11 ans ·
    20100211 drims 465

    drims-carter

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