À un monstre

Corvus Corax

L'amour de mes nuits délirantes, et fin du cauchemar


   Un jour que je flânais dans la forêts d'humeurs,

   Allant de-ci, de-là, cherchant une rumeur

   Aux échos lumineux, je croisai une femme

   Au visage mangé. Tous deux nous avançâmes


   Dans la forêt d'humeurs, sans causer de l'horrible

   Apparat de sa gueule au visage illisible.

   Des yeux se regardants, une bouche sans lèvres,

   Juste un trou pour le nez, le tout puant la fièvre.

 

   Un monstre aux regard blanc, couleur de son iris,

   En voilà le tableau que garde mon souvenir.

   Quel étonnant dessin ! Tout un hymne à l'abysse

   Des choses désirées ! Et tout mon devenir


   Devait par la suite garder comme une muse,

   Cette chose mangée par des loups affamées.

   Et comme le sculpteur dont le modèle s'amuse

   A jouer de ses formes, mon esprit enflammé 


   S'attela à faire, d'un rapide croquis,

   L'ode de cette chose avant que d'autres vers

   Ne viennent faire repas de ces sinistres chairs.

   Mais -horreur !- ma raison, d'un désir exquis,


   Brûla d'un prompt chaos. Et, par une démence

   Que je ne sais comprendre, mon inspiration

   Ordonna à mes doigts la reconstruction

   De l'objet monstrueux. Alors, avec violence,


  Je fis de mes ongles l'outil de mon génie

  En déchirant des pans de ses joues caviteuses.

  Lorsque enfin fière de ma mon oeuvre bénie,

  J'arrêtai le travail sur sa face juteuse,


  Ma nouvelle madone, auréolée de sang,

  Me fit -ô quelle joie !- un sourire indécent.

  Puis enfin d'un long baiser, j'arrachai sa langue

  Et ria à la vue de cette muse exsangue. 


  Le monstre, en voilà l'objet du poème.

  Un Objet d'horreur, et exutoire de haine. 

  Une face immonde bouffée par la gangrène

  Dont la joie du poète en est le requiem.



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