Ach Cannes

Stéphan Mary

Festival de Cannes, édition 1992 ! Le grand jeu, mais si souvenez vous, Van Damme contre Lundgren. Petite altercation à peine arrangée avant de monter les marches, du grand n'importe quoi.

Par contre cette année là, c'est mon 1er festival, my first festival ladies and gentlemen, et comment m'y suis-je retrouvée, mhmm ? Très simplement, en pariant avec mon copain Gilbert qu'on y seraient ! Et pour y être, nous y sommes ! Il faut que je précise qu'à l'époque, Gilbert et moi sommes jeunes, beaux, inconnus mais talentueux comédiens, bref, nous sommes à point pour nous faire croquer...

Tout commence dans l'angoisse : c'est le jour de l'ouverture, nous sommes en plein après-midi, lui là-haut, toto le soleil, cogne comme un bourrin sur nos pauvres têtes dénudées (ach ces parisiens !!), la foule s'entasse autour du palais, ça devient énervant puis carrément crispant pour finir par être tellement insupportable qu'il ne nous reste qu'un échappatoire, le palais. Comment sommes nous entrés dans le saint des saints ? Mystère. Alzheimer, je ne m'en souviens pas mais nous y sommes et là bonne mère qu'il fait bon. La clim tourne juste ce qu'il faut, beaucoup de monde mais soyons juste, rien à voir avec les gueux du dehors, les ceux ce qui ne sont pas dedans ! Et oui, à Cannes c'est comme ça, ou tu es dehors, ou tu es dedans et je te promets que ça fait une sacrée différence.

Donc nous arpentons les étages et 1ère belle rencontre, une fille toute mimi me hèle devant le stand Canon et me propose de me tirer le portrait. Il n’y a pas à hésiter, allons y pour la photo du 45ème festival. Je prends la pose et elle me dit "Vous êtes allée au carnaval de Venise ?" Je la regarde follement intriguée "Nous étions dans le même wagon lit !" Mais oui, mais c'est bien sûr ! Nous étions 4 nanas réparties en deux couples lesbiens, nous nous étions regardées, jaugées, nous avions souri et hop dodo jusqu'à Venise. Et nous revoilà à Cannes ! Pas bien faite la vie ? Je la sens très avenante mais... mais Gilbert et moi avons prévu de repartir de cette ville de fous le soir même. Je me retrouve donc avec ma jolie trogne grand format placardée sur le mur qui affiche d'autres tronches d'illustres inconnus qui ne rêvent que d'une chose : monter un jour les marches ! Là tu peux courir camarade. Je ne connais dans mon entourage qu'une seule personne qui ait connu THE privilège : Lanac ! et pas n'importe quel soir, lors de la dernière, pas n'importe quand, lors du 48ème festival qui n'est pas n'importe lequel : on y célèbre le centenaire du cinéma ! Charlie doit même avoir la photo témoin. Ah Lanac... Mais je m'égare

Second choc, Gilbert me tire par la manche pour me montrer un attroupement de photographes. Nous nous immisçons devant les clics clacs et oh apparition : Victoria Abril et Almodovar (qui fait partie du jury). Hou lala, je rêverai la nuit même que Gilbert et Pedro chaud chaud et Victoria et moi.... Tiens, j'en ai encore des soupirs d'aise.

Nous montons dans les étages et plus nous visitons, plus nous nous perdons. Jusqu'à nous retrouver dans une immense pièce pleine de tables, téléphones, fax mais pas un chat. Impressionnant silence

- Gilbert, tu le sens le malaise là ?

- Gilbert un peu vert : Oui, ça doit être la salle de presse

- Une salle de presse sans journalistes, t'interprètes ça comment toi ?

- Moi je crois qu'il vaut mieux qu'on dégage tu vois

- Ok on fonce

Nouvelle surprise, quelques quidams à quelques stands mais où est passée la foule ? C'est étrange le palais calme, trop calme. Nous errons encore un moment, les portes de sortie sont fermées. Nous descendons un escalier et feu d'artifice : un bar ! un vrai bar de festival, tout en rouge, avec banquettes confort tout feutré. Le serveur est-il feutré lui aussi ? Gilbert merde, c'est pas le moment de draguer !! Oh Gilbert, c'est quoi ce bruit là ? Mais si, on dirait un micro. Tu parles, il est 19h et nous sommes juste derrière la scène pendant le discours d'ouverture c'est à dire que nous sommes un tout petit peu dans le caca ! Comment va t-on se sortir de là ? C'est tout simple : un rugissement nous parvient, Depardieu (président du jury) arrive en cavalant : "Champagne p'tit gars" Il nous mate deux secondes "Et sers donc mes deux copains là". On trinque, on reprend une petite coupe, puis deux et il rugit "bon allez, faut que j'y retourne". Il a une poignée de main à la hauteur de son physique le Depardieu, solide et chaleureuse, et nous on a quelques bulles dans le cerveau. Je n’ai pas le temps de me retourner que le Gilbert est toujours au bar à discutailler avec le serveur et j'entends que quelqu'un annonce le film qui suit. Remue ménage sur la scène, des filles pompom passent près du bar. Idée géniale "Gilbert, on y va" Je le saisis par le col et nous voilà au milieu d'une douzaine de Crazy Horse ? Folies Bergères ? M'en fous, le voilà le ticket de sortie et pour une sortie, quelle sortie !!! Nous nous sommes mêlés au cortège qui empruntait un tapis rouge sur le côté du palais, une foule énorme qui doit s'imaginer que nous sommes les nouveaux espoirs de ce 45ème festival, ça crépite dans tous les coins, il y a bien un ou deux flics qui nous regardent bizarroïde mais on s'en fout ! On s'éclipse avant d'être coincés dans de nouvelles aventures, hé, c'est qu'on a un train à prendre nous !

Tu vois, j'aurai pu m'épancher sur les sentiments, les sensations, les incroyables et les autres mais je ne te relate que l'action parce qu'il s'agissait de quelques heures de pure folie, tout dans l'imprévu, ce que tu vis une fois et une seule. Il n'en reste pas moins que c'était mon 1er festival, sans doute le plus beau, en tout cas le plus surprenant et le plus sympa. J'en garde un souvenir super, une affiche et un tee-shirt. On s'est pris pour des stars pendant quelques minutes et vin dieu que c'est bon.

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