Acte manqué

loua

Et pourtant c'est pas passé loin.

Il branche son casque, vérifie l'état des piles, tape un peu dessus pour aider la machine à démarrer. Il vérifie qu'il a ses clés dans sa poche, enfile un sweat un peu plus chaud, on n'est jamais qu'en avril, il respecte les adages. Il embarque sous son bras son journal de la veille où les petites annonces se colorent en rouge jaune bleu vert en fonction de l'intérêt et de la chance qu'il a d'accéder à l'un de ces postes. Assez maigre, encore une fois.

Il claque la porte de l'appart, dévale les escaliers, avale les marches et rebondit sur les paliers sans reprendre son souffle. Ses cheveux trop longs dansent la salsa sur sa tête, la musique à fond dans les oreilles, il entamerait presque une danse de la victoire en plein milieu du couloir mais la concierge ne serait pas contente. La journée va être bonne, ça fait pas un pli.

 

Elle termine son jogging matinal avec la vague impression qu'elle a un peu trop forcé. Elle se penche en avant pour reprendre son souffle, les mains appuyées sur les genoux. Trente secondes, et puis elle entamera les étirements. Elle se souvient de l'époque où elle courait deux fois plus longtemps pour le même prix, l'âge ça ne fait pas de cadeaux. Elle se redresse en ahanant, Hiroshima dans la poitrine. Nom de Dieu.

Pas convaincue elle pose son pied sur le banc à côté, partagée entre l'envie d'y laisser sa peau pour ne pas avoir à supporter cette horrible journée pleine d'hommes d'affaire miteux et l'envie d'y survivre juste pour les voir encore se taper dessus. Parfois c'est drôle.

Elle change de jambe, observe du coin de l'œil le soleil qui perce à travers les arbres du parc. Ça devrait aller, il va faire beau, c'est déjà ça.

 

En bas il a retrouvé son kiosque habituel, a acheté le journal du jour avec un sourire pour le vendeur, il est sympa il lui demande toujours comment ça va, lui, au moins, pas comme les voisins qui l'ignorent à qui mieux mieux depuis qu'il a emménagé.

La musique l'entraîne vers le parc, envie de vert et de bleu, un peu de jaune aussi avec le soleil, besoin de se réchauffer au contact humain, aider une maman à porter sa poussette, caresser un chien et discuter avec le propriétaire, croiser le gardien, ou n'importe quoi d'autre.

Mais évidemment, pas un chat. Son sourire disparaît, il regarde à gauche et à droite, non, personne. Il s'enfonce un peu plus loin sur le chemin terreux, les oies sont là ça oui, les canards et les pigeons aussi, mais à part de la volaille, personne. Zut.

 

Elle s'assied deux minutes, le cœur qui bat toujours la chamade. De fil en aiguille elle en arrive à penser que ça fait longtemps qu'elle n'est pas tombée amoureuse. Bah, pas que ça lui manque. Elle n'a pas besoin de ces connards prétentieux pour avoir une vie pourrie, merci bien.

D'un coup, elle opterait plutôt pour l'option y rester et mourir d'une crise cardiaque là maintenant tout de suite. Ou bien changer de boulot, peut-être. Voire déménager et partir sac au dos en Alaska ou au Pérou. Ouvrir un orphelinat au Zimbabwe, lutter pour la sauvegarde du koala en Australie ou du panda roux en Chine…

Non, mauvaise idée. Fuir n'arrange jamais rien. Ça permet juste parfois d'ouvrir une ou deux soupapes de sécurité. Elle soupire en se redressant, moins enthousiaste d'un coup. Elle baille, s'étire en regardant l'immensité verte devant elle. Bon, elle a un dossier à finir.

Elle repart en trottinant d'où elle est venue.

 

Il arrive à l'autre bout du parc sans avoir croisé personne. Finalement la journée risque d'être moins chouette que prévue. Il fait la moue en se rendant à son premier entretien, vaguement moins optimiste.

Tant pis.

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