ACTE VIII
Melvin Dia
Par un beau samedi ensoleillé de janvier, les gilets jaunes, Bordeaux, acte VIII. Vers 15h00 ayant décidé de prendre l'air, je me retrouve gare St Jean nez à nez avec le défilé. Je reste un moment à regarder ces manifestants, impressionné par leur nombre; le mouvement n'est pas mort, et la diversité des profils de cette foule joyeuse en témoigne.
Surtout, l'un de ces gilets jaunes m'intrigue, un jeune homme qui se tient en surplomb sur un bloc de pierre en plein “live vidéo” pour prouver que la mobilisation ne faiblit pas, même ici à Bordeaux. Une fois le pied à terre, je vais à lui pour lui poser une question simple: la foule est nombreuse aujourd'hui certes, mais quel est le débouché de ce mouvement ? Jusqu'où, jusqu'à quand ? “Jusqu'au bout, sans violence, mais avec une détermination intacte”, me répondent-ils.
En fait, ils sont deux. Lui et sa tout aussi jeune compagne, 28 et 26 ans respectivement. Je suis surpris par leurs profils. Surpris de retrouver là deux jeunes gens bien sous tous rapports; jeune couple d'ingénieurs qui pourrait vaquer à ses occupations du weekend: faire les boutiques, une balade à vélo, prendre un verre en terrasse… Leur réponse me rappelle qu'il ne faut jamais se fier à ses préjugés. Ils sont bien conscients de ne pas être en première ligne des difficultés économiques, mais est-ce une raison pour ne penser qu'à soi ? S'ils sont là c'est pour ne pas oublier sa grand-mère me dit-elle qui a travaillé toute sa vie pour 800€ de retraite à présent, pour les enfants qu'ils auront... Et pour une société qui tel qu'elle ne leur convient pas. Voilà la réponse pour les cyniques.
Cette première approche m'encourage à faire un bout de chemin avec eux, après leur avoir expliqué qui je suis, c'est dire personne. Ne roulant pour aucune rédaction ou médias, pour aucun parti, aucune chapelle. Juste écrivain du temps présent, et témoin subjectif mais non moins fidèle à la parole confiée. On s'avance sur le très laid Cours de la Marne, où ils me rappellent que leur arme cela n'est pas la violence, mais la détermination. Et regardant autour de moi cette foule baignée par ce clément soleil de janvier, oui je comprends qu'ils ne lâcheront pas. Ils reviendront la semaine prochaine.
Et, puis plus fondamentalement quand je leur demande ce qu'ils veulent, pourquoi les annonces du 10 décembre dernier ne les ont pas satisfaits ? Trop peu face aux enjeux, et surtout ils y voient une énième tentative d'enfumage du pouvoir. Ils sont trop conscients des injustices, profondes, qui minent notre société : trop pour trop peu, et trop peu pour le plus grand nombre.
Ils me rappellent aussi, au regard de mon préjugé initial qu'il faut aujourd'hui démystifier la carrière d'ingénieurs. À l'approche de la trentaine, ils tangentent tout juste les 2000 euros nets. Les gros salaires ? Ce sont les anciens qui les trustent… On n'ouvrira pas ici la fracture générationnelle.
Ce que j'apprécie chez eux, c'est qu'ils argumentent, et fourmillements d'initiatives, et de solutions face aux problèmes qu'ils soulèvent. Sur la “transition énergétique” ils ne sont pas dupes non plus, de l'arnaque du "tout électrique", qui consiste à délocaliser la pollution dans des pays pauvres. Ils évoquent l'importance d'offrir de véritables alternatives massives en termes de transports collectifs.
Ce qui me semble le plus prégnant dans leur discours, c'est bien la défiance à l'égard du pouvoir. Et elle vient de loin. Avec un marqueur, la forfaiture de l'après référendum de 2005 sur le traité constitutionnel européen, où la volonté du peuple a été bafouée par la suite le traité de Lisbonne. La fracture est bien là. Leur outil pour en sortir ? le RIC, ou le désormais célèbre Referendum d'Initiative Citoyenne. Je leur fait part de mes doutes scepticisme face à cet outil aux allures démocratiques mais qui dans un pays aussi fracturé que la France pourrait ouvrir la boîte de Pandore des mauvais génies. Mais pour eux inutile d'avoir peur du peuple, et surtout bien pensé, avec les garde fous. De toute façon a-t-on soumis réellement l'idée à la population ? Retourner au vote, direct, leur semble le meilleur moyen de reprendre une parole, et donc le pouvoir.
Place de la Victoire, je décide de les abandonner, et de les laisser continuer. Ce que je retiens de ces presque soixante minutes de conversation ? La qualité de nos échanges, et la fraîcheur de ces deux jeunes gens engagés, qui est tout sauf de la naïveté.
Cela appelle aussi plusieurs réflexions. D'abord, je ne peux m'empêcher de penser, je leur ai signifié, que s'ils veulent un changement profond, il leur faudra accepter eux, comme l'ensemble des gilets jaunes, la logique du pouvoir, et donc accepter d'y accéder. Avec le problème que pose l'incarnation de ce pouvoir : qui, quels visages ? Pour ma part, je suis convaincu depuis fort longtemps que les idées ne suffisent pas, que tout pouvoir a besoin de têtes identifiables.
Autre élément, le pouvoir en place est fini, non pas que cela soit un souhait mais plus un fait. Ce pouvoir est comme une monnaie qui aurait perdu sa valeur. Il a beau parlé, on ne l'écoute plus. C'est une question de semaines, ou de mois, mais tôt ou tard il devra se démettre. La haine, et ce de part est d'autre, et cela est inédit dans notre histoire récente, a atteint un niveau trop élevé pour que l'on puisse continuer longtemps ainsi.
Et, cela soulève un autre point qui ne lasse pas de m'interpeller: le rôle que joue la violence. On peut bien évidemment la condamner, mais l'essentiel n'est pas là. La violence est (re)devenue un moteur essentiel de notre histoire. Qu'on le déplore ou non, il faut reconnaître que ce sont les "violences", les intimidations physiques aux portes des grands bourgeois de la capitale, lors du samedi 01 décembre, qui ont fait bouger les lignes. Ils ont eu peur, l'ont signifié au gouvernement, et ce dernier a fini par céder, un peu, ouvrant là une brèche qui ne se colmatera pas.
Car il s'agit bien d'une révolution que nous sommes en train de vivre, même si cela peut surprendre dans notre 21ème siècle hyperconnecté, où l'on pensait la Grande Histoire derrière nous. Et que se dise bien qu'une révolution n'a jamais eu besoin de la majorité pour se dérouler, mais bien plutôt d'une minorité agissante.
Elle est en marche cette révolution, mais je sais trop que toute révolution dévore ses enfants, que le plus dure ce sont les lendemains, et qu'elle est tout sauf un dîner de gala. Voilà les pensées qui m'habitent alors que je fais le chemin inverse sur ce définitivement trop sombre Cours de la Marne par ce beau samedi ensoleillé.
Melvin DIA.
Les révolutions ne se font pas à la maison derrière un écran, mais comme avant dans la rue. ;o))
· Il y a presque 6 ans ·Hervé Lénervé
Salut Melvin comment tu vas ? Tu postes sur WeLoveWords maintenant....La comédie humaine en plusieurs actes ! C'est vrai qu'il y a un vrai truc en marche !
· Il y a presque 6 ans ·pierre-m
J'aime beaucoup votre démarche, votre réflexion. Il n'y a pas de solution mais que des réflexions et c'est déjà pas mal. L'histoire a toujours été un éternel recommencement. Après la guerre, un nouveau chef émergera en sauveur, en guide. Il sera adulé puis bafoué et tout recommencera.
· Il y a presque 6 ans ·daniel-m
Depuis le Führer, je me méfie des guides. :o))
· Il y a presque 6 ans ·Hervé Lénervé
C'est bien à lui que je pensais. J'ai toujours été sidéré par le fait que ce type ait réussi à entuber tout un peuple (l’Allemagne pour laquelle j'ai immensément de respect) alors que culturellement ce pays était au top avant guerre. Bon, aujourd’hui les allemands sont vaccinés contre l’esbroufe, mais les français en ce moments sont tellement cons et tellement manipulés que je me demande vers qui ils vont se tourner ... :o)
· Il y a presque 6 ans ·daniel-m
tout le problème, c'est qu'aujourd'hui une certaine caste s'est accaparée de l'état en oubliant que cet état est au service du peuple
· Il y a presque 6 ans ·Christian Le Meur
Je pense, si j'ai bien compris le problème, que cette caste reproche à l’état qui devrait être effectivement au service du peuple, est plus au service du capitale. Je n'ai rien contre le capitalisme, mais je pense qu'une plus juste répartition des richesses devrait être le moteur du capitalisme sinon cela devient du communisme. "Le capitalisme c'est l'exploitation de l'homme par l'homme, le communisme, c'est l'inverse" (Coluche)
· Il y a presque 6 ans ·daniel-m